Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Patricia Signorile sur l'ouvrage de ROBINSON-VALéRY Judith (éd.) :
« Quelle médecine demain ? Sous le regard de Paul Valéry »
     Hommage à Jean Bernard, (textes réunis et présentés par Judith Robinson-Valéry avec la collaboration de François-Bernard Miche), Ed. Privat, Toulouse, 1998, ISBN 2-7089-0410 - 8, 293 pages

Valéry partage avec quelques autres une étrange infortune. Comme Montaigne, Diderot ou Alain, les spécialistes ont du mal à le classer : est-il écrivain ? philosophe ? Les aréopages académiques rechignent à l'admettre dans leurs rangs : à quelle théorie a-t-il donné son nom ? quel concept a-t-il inventé ? à quelle école se rattache-t-il ? Aussi, faut-il saluer d'entrée le remarquable travail de Judith Robinson-Valéry, tant l'association de ce grand penseur avec les chercheurs les plus éminents de la science médicale a de quoi surprendre le lecteur dont les schémas de pensée sont encore tributaires des cloisonnements disciplinaires. C'est là un vrai travail de mise en réseau de la pensée valéryenne qui impressionne par sa cohérence, frappe par sa puissance de synthèse. L'ouvrage est le résultat d'un projet initialement porté par des liens tissés entre Judith Robinson-Valéry (littéraire passionnée de sciences) et Jean Bernard (professeur de médecine épris de littérature). D'éminents spécialistes sont sortis de leur frontière disciplinaire pour aborder sous le regard de Paul Valéry des prospectives et des perspectives relatives aux mutations de la médecine et de l'éthique médicale des prochaines décennies. Parfois, le lecteur peut être incommodé, par un montage éditorial de pure circonstance, tant certains de ces spécialistes ont éprouvé de vives difficultés à citer Valéry dans le texte. Il n'en demeure pas moins vrai que l'objectif annoncé est atteint : démontrer l'acuité du regard valéryen à l'égard de tout fondamentalisme, dénoncé déjà par Philon d'Alexandrie, et qui consiste à s'enfermer dans un système en voulant de surcroît y enfermer les autres. Les articles réunis par Judith Robinson-Valéry nous rappellent que sans amour et sans la conscience qui rendent l'homme hospitalier à l'homme et l'invitent à prendre soin de son être, le monde ne saurait subsister.

L'ouvrage est composé de onze chapitres qui abordent aussi bien les problèmes de l'épistémologie médicale, les recherches récentes entre la corrélation du cerveau et de la pensée que le traitement de la douleur sous ses aspects polymorphes, ou encore l'éthique, la médecine humanitaire et la maîtrise des dépenses de santé. L'accompagnement des mourants, le devenir de l'internement ne font pas partie des thèmes abordés. Peut-être doit-on faire l'effort de lire entre les lignes, mais il est vrai que le "regard" valérien n'investissait pas précisément ces domaines... Ces quelque quarante contributions émanent d'une rencontre entre médecins, chirurgiens et chercheurs réfléchissant sur l'avenir de leur discipline, qui s'est déroulée dans le cadre de l'abbaye cistercienne de Fontfroide (la date de cette rencontre n'est pas mentionnée). Dans l'"avant-propos" Judith Robinson-Valéry considère l'œuvre valéryenne avec une remarquable clairvoyance critique et démontre qu'une lecture unilatéralement déterministe de sa genèse ne suffit pas à rendre compte intégralement du projet initial et de sa signification. Surtout, en associant la réflexion valéryenne à une épistémologie médicale prospective, elle ouvre un champ. C'est à ce but que s'attache finalement "Quelle médecine demain". Il y a dans cet ouvrage matière à créer un ordre de thérapeutes à venir "sous le regard de Valéry". Aujourd'hui bien peu d'instituts considèrent l'homme dans sa globalité. Médecine, psychologie, philosophie sont devenus des domaines séparés qui développent la fragmentation de l'homme plus qu'ils ne souscrivent au serment d'Hippocrate. Un Ordre des Thérapeutes reste sans doute à créer, qui rappellerait les exigences d'une approche multidimensionnelle et favoriserait une pratique moins fragmentée, moins sectaire, de la médecine, de la psychologie, de la philosophie et des autres sciences. Il s'agirait alors de rendre à l'homme son corps et sa parole, et prendre enfin soin de l'homme. L'humanisme valéryen montre la voie.

Patricia Signorile

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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