Rédigée par JLM sur l'ouvrage de ROUX Michel : |
« Géographie et Complexité. Les espaces de la nostalgie » Ed. L'Harmattan, Paris. 1999., ISBN 2-7384-7452-7. 335 pages. |
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La liste semble interminable, nous révélant combien les "métaphores spatiales" sont quasi constitutives de nos modes d'expression et de pensée. Leur usage nous est si familier qu'il ne nous étonne plus souvent, et ce va être une des vertus de cet essai original de M. Roux que de nous inviter à nous émerveiller de cet étrange pouvoir des images de l'espace dans nos cultures et nos représentations du "Monde de la Vie".
Ne risquions-nous pas de les banaliser, de les réduire à leur
plus simple expression ? "L'Espace comme le Temps, une variable comme
les autres ?", diront les géomètres : n'a-t-il pas
suffi d'inventer le mètre étalon pour le mesurer en le
réduisant à une seule dimension ? nous disent-ils. Mais allons-nous
alors réduire aussi nos espaces imaginaires, celui de nos usages
métaphoriques du vocabulaire de la géographie (comme ailleurs
du vocabulaire de l'architecture), à ces interprétations
mono-dimensionnelles, simplificatrices, destructrices de sens ? La tentation
est grande, et M. Roux nous cite bien des exemples contemporains de
cette dégénérescence dans nos cultures des métaphores
de la géographie (il va parler de "la déterritorialisation
généralisée"), en nous invitant à retrouver
"les multiples formes de la reterritorialisation", métaphorique
: ludique, sportive urbaine,
Le discours n'est-il pas, lui aussi un
espace complexe, multidimensionnel, polyphonique ?
C'est cette complexité de nos conceptions de l'espace, qu'il soit
entendu par le géographe explorant et décrivant les déserts
ou les milieux marins, les massifs montagneux ou les estuaires, les glaciers
ou les lacs, ou par les citoyens décrivant leurs projets, que M. Roux
va nous proposer d'explorer en s'interrogeant sur les paradigmes de la
géographie, sur leur portée comme sur leur dépendance
avec les autres grands paradigmes disciplinaires, les uns et les autres tentant
encore malaisément de se dégager de l'oppression du "Grand
Paradigme d'Occident" si bien identifié par Edgar Morin
(réducteur, niveleur, linéaire, fermé ).
Ce sont sans doute les pages que La Méthode consacre à "l'Hyper-paradigme de la complexité" (t. 2, p. 434+) et à la formation d'une "Paradigmatologie" (t. 4, p. 211+) qui ont catalysé cette réflexion de M. Roux qui, malgré son titre, ne s'adresse pas seulement aux géographes (et aux économistes) de profession, tout en leur proposant quelques matériaux importants pour cette "critique épistémologique interne" dont leur discipline ne peut plus se passer. (Il est rejoint dans cette entreprise par un autre géographe, J.-P. Ferrier qui a publié il y a peu : "Le Contrat géographique ou l'habitation durable des territoires"2, Payot, 1998). Catalyse dont les effets sont sans doute un peu brouillons, ce qui facilite une lecture quelque peu désordonnée au gré des instants disponibles, mais qui affecte parfois l'image académique de l'ouvrage qui, lu d'une seule traite, a tendance à se boucler sur lui-même : ainsi les dernières lignes (p. 316) reprennent dix lignes d'une très belle métaphore d'E. Morin (1977) sur "l'organisation neg-entropique (qui) suscite ce qu'elle combat : elle renouvelle le mal qu'elle refoule", que l'on a déjà lue et méditée à l'ouverture (p. 53).
Mais l'espace n'est-il pas à la fois merveilleux et compréhensible,
sans que les multiples compréhensions que nous en formons réduisent
l'émerveillement qu'il nous vaut ? Simon Stevin déjà
disait cela de la Loi du plan incliné (encore une métaphore
spatiale !), nous rappelait H.A. Simon en introduisant "Les sciences
de l'artificiel" (1969-96).
1. Dans "Système et Paradoxe, autour de la pensée d'Yves Barel", Ed. du Seuil, 1993.
2 Cf. la note de lecture sur cet ouvrage dans le même Cahier
des Lectures MCX n° 21.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003