Rédigée par sur l'ouvrage de FERRIER Jean-Paul : |
« Le Contrat géographique ou l'habitation durable des territoires » éditions Payot, Lausanne, 1998, ISBN 2-601-03227-8. 251 pages. |
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Cette "commune expérience d'habitants de la Terre qui nous fait tous géographes" va-t-elle "nourrir "la vieille science des territoires"" (p. 11), vieille science qui ne fut peut-être pas, quoi qu'on fasse dire à Hérodote, "inventée pour faire la guerre" ? Surtout si nous veillons à faire perdre à la géographie physique cette "simplicité physique" qui ignorait que nous vivons dans plusieurs espaces à la fois. "Comprendre l'aménité des lieux " ou plutôt, pour reprendre le mot que préfère J.-P. Ferrier, "des territoires", ces "territoires que nous aspirons à "habiter durablement", n'est-ce pas le projet que peut aujourd'hui se proposer une "géographie douce" qui enrichisse nos représentations du monde que nous habitons ?
J.-P. Ferrier symbolise ce projet par "le Contrat géographique", et il va nous le présenter dans sa diversité, au fil de cet ouvrage qui oscille sans heurts entre le traité du scientifique et l'essai du citoyen, voire du moraliste. Puisque nous nous reconnaissons "tous géographes", partageant tous cette même "expérience d'habitants de la Terre" - j'ai envie d'ajouter : " de la Terre-Patrie ", en regrettant que J.P. Ferrier n'ait pas peut-être pas assez relié son questionnement à la "prise de conscience de notre communauté de destin terrestre sur cette minuscule planète perdue dans le gigantissime univers" à laquelle nous invite Edgar Morin - nous ne pourrons qu'être attentifs et souvent émerveillés par cette exposition "des questions et des savoirs qui entourent notre habitation du monde". (Incidemment sait-on l'audience de "Terre Patrie" sur notre planète ? J'apprenais récemment que l'ouvrage d'E. Morin et A.B. Kern venait aussi d'être traduit en Chine, où il suscite déjà un vif courant d'intérêt).
J.-P. Ferrier a peut-être été maladroit en intitulant son riche ouvrage "Le Contrat géographique". Il ne nous entretient pas d'un bien hypothétique "contrat " à passer entre les humains et leurs territoires habitables, dont une instance juridique pourrait sanctionner les manquements d'un des contractants. Il nous invite non pas à un contrat mais à une uvre commune, "entreprise multiple dont la cohésion profonde n'est pas encore pleinement reconnue ", une entreprise de "géographicité" (p. 16) qui nous incite tous à explorer "cette relation concrète qui se noue entre l'homme et la Terre qui lie nature et culture dans notre action d'habiter".
C'est plutôt à une délibération collective sur le renouvellement de "nos conventions épistémiques fondamentales" et pas seulement à celle concernant une géographie enseignable, que nous invite cette discussion argumentée par tant de références.
Convenons qu'il n'est guère aisé d'annoncer aujourd'hui si explicitement un tel projet : les gardiens des temples de la science positive veillent, et le chaleureux préfacier de l'ouvrage, Yves Guermond, ne s'y est pas trompé, qui rassure d'emblée les lecteurs sourcilleux : "L'auteur sait être à la fois un positiviste convaincu et un humaniste acharné" (p. 7). Sourions au passage de l'inversion des attributs : d'habitude, ce sont les positivistes qui sont acharnés et les humanistes qui sont convaincus ! Et relevons que cette prudence initiale s'oublie vite. Dès la page suivante Y. Guermont convient qu'il s'agit d'un "domaine qu'il est difficile de cerner par une approche positiviste ce qui rend la géographie actuelle encore plus complexe".
Avec l'essai de M. Roux "Géographie et complexité", (cf. la note de lecture dans le même Cahier) cette belle et créative méditation de J.P. Ferrier va rejoindre pour notre plus grande intelligence de nos propres aventures sur et avec "la Terre Patrie" les rayons de notre vivante bibliothèque des nouvelles sciences de la complexité.
JLM.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003