Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Maurice Pasdeloup sur l'ouvrage de MASSOL Michel :
« La nutriprévention - La nutrithérapie »
     PUF, Médecine et société, 1997-1998

Une autre façon d'être chimiste et médecin aujourd'hui, sans se noyer dans la déferlante pharmacochimique actuelle, est-ce possible ? C'est en tout cas le défi que cherche à relever Michel Massol. C'est peut-être aussi s'inscrire dans une ancienne et solide tradition, depuis Paracelse et sa "iatrochimie", jusqu'à Pasteur et Pauling... qui n'étaient pas médecins !

Ce n'est plus le salut de notre âme qui nous préoccupe, mais bien plutôt notre santé ici-bas, à laquelle nous consacrons 10 à 15 % du PIB dans les pays développés. Aussi, les acteurs et les lobbies de cet énorme marché s'ingénient à entretenir et exalter cette obsession, en y maintenant une offre massive et toujours renouvelée. La médecine classique ayant épuisé les capacités du financement social collectif, d'autres offres rivalisent avec elle, en misant sur l'attrait de démarches alternatives pour lesquelles les gens accepteraient le non-remboursement.

Parmi celles-ci, l'alimentation et la nutrition forment un registre qui jouit d'un succès grandissant. Sans doute parce que l'argument santé fait vendre aussi dans ce secteur, mais de plus en plus en fonction de soucis légitimes du public et d'approches thérapeutiques originales et pertinentes auxquelles les médecins ne restent plus indifférents. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les petits livres de Michel Massol, chimiste et médecin à Toulouse. D'abord rompu à la chimie et à la biochimie, il peut exercer ses compétences de médecin dans un cadre conceptuel plus élaboré que la plupart de ses confrères, ceci depuis une quinzaine d'années en pratique libérale. Par exemple, une fois qu'on eut reconnu, vers 1970, la production in situ dans les cellules et la nocivité des super oxydes, il fallait une bonne familiarité avec ces espèces chimiques alors hors cursus pour concevoir une stratégie des rapports oxydants-antioxydants dans l'alimentation et le métabolisme.

Mais dans ce domaine, comme dans tous ceux auxquels il est confronté comme médecin généraliste, ce chimiste plaide pour une médecine "naturaliste", le moins possible médicamenteuse, à contre-courant de l'activisme pharmaco-chimique dominant. Et ce n'est pas là le moindre de ses mérites.

Le premier volume (La Nutriprévention) se veut une approche globale du maintien de la santé et de la prévention des pathologies liées au vieillissement par une attention éclairée portée à l'alimentation et à la nutrition, qui n'exclut pas la variation des plaisirs gustatifs et la convivialité, donc sans médicalisation excessive. Il est bien établi que certaines populations s'avèrent protégées contre l'infarctus ou des formes de cancer alors qu'elles ne diffèrent que par leurs habitudes alimentaires.

C'est la preuve que la démarche est pertinente, qu'il reste à trouver la méthodologie. Et transposer ce qui se passe dans une population à ce qu'on peut proposer à chaque individu ne va pas de soi. C'est quand même une bonne raison pour persévérer dans notre fameux régime "français" ou "méditerranéen" qui se corrèle si bien avec une faible prévalence relative des maladies cardio-vasculaires.

Passer à La Nutrithérapie (second volume) est encore bien plus délicat. L'argument fort et incontestable vient de ce que les aliments sont familiers à notre organisme, qui en utilise activement une partie (les nutriments) pour son métabolisme et ses multiples régulations. Ces nutriments y sont donc bien acceptés dans une large gamme de situations, et même les bienvenus s'il y a carence. Il y a donc là tout un champ de moyens d'action à la disposition du thérapeute. Ce qui n'est pas le cas avec la médication chimique, qui utilise quasi systématiquement des substances étrangères au vivant (xéno biotiques), plus ou moins actives mais trop souvent nocives, dont notre organisme se hâte de se débarrasser, au moins dans le meilleur des cas... Car à terme les médicaments causent ou aggravent de nombreux dérèglements, y compris certaines dénutritions, en particulier chez les personnes âgées dont on a fait de si gros consommateurs, ceci parmi bien d'autres effets secondaires iatrogènes.

Sans répudier la médecine classique, Michel Massol montre sur de multiples exemples comment et pourquoi le médecin ne peut plus avoir le réflexe de la prescription exclusivement médicamenteuse, qu'il doit faire précéder, accompagner de conseils diététiques précis, et faire suivre d'un bilan nutritionnel approfondi incluant éventuellement une complémentation ou une supplémentation en certains éléments. Parti en bon chimiste d'une médecine "orthomoléculaire" à la Pauling, sa stratégie est aujourd'hui résolument "holiste" et systémique : corriger et agir partout en même temps, en pensant au plus grand nombre d'interactions et de rétroactions possibles. On est bien loin des méthodes simplistes d'exclusion et d'interdits qui ont discrédité les fameux "régimes" prescrits par les médecins diplômés ou assénés à l'opposé par les activistes tenants de médecines fondées sur leurs délires ou leurs fantasmes et surmédiatisées par une certaine presse médicale qui a outrageusement proliféré ces dernières années.

La voie moyenne qu'il défend s'appuie sur une information fine, nuancée (il pose souvent des questions plutôt que des affirmations) mais aussi complète que possible, menée de façon active auprès du public, des patients et des médecins. Il vise à responsabiliser les gens dans leurs choix alimentaires, et même dans leur hygiène de vie, par rapport aux multiples incitations à se laisser aller, et ballotter au gré des modes et du marketing. Ainsi met-il en garde contre ce qu'il a raison d'appeler les OANI ("objets alimentaires non identifiés") dont on nous inonde, et dans lesquels il inclut les OGM.

On sait par exemple aujourd'hui que ce sont des carences alimentaires et non des excès qui constituent le facteur nutritionnel majeur de l'hypertension artérielle. Mais le modèle de la carence a certainement ses limites. D'abord, on est parfois amené à se demander si elle est une cause ou une conséquence : ainsi l'anémie vient le plus souvent d'un état inflammatoire et non d'une carence en fer. Ensuite, la supplémentation ou l'enrichissement au-delà de ce qui est reconnu comme nécessaire présente des risques comme la prise de médicaments : des cas récents ont amené les instances responsables à le rappeler fermement. Le danger est d'autant plus grand que l'apport utile est proche de la dose toxique, comme c'est le cas pour le sélénium, et même avec le fluor : s'il est réputé prévenir les caries, il induit aussi la fluorose dentaire. On retrouve ainsi la même difficulté qu'avec le lithium : utilisé avec succès depuis les années 60 comme médicament contre les psychoses maniaco-dépressives, il ne peut-être pris qu'en contrôlant strictement son taux dans le sang du patient.

Enfin, il y a beaucoup d'incertitudes sur les effets réels produits. Ce n'est pas parce qu'on a avalé tels ou tels éléments ou substances que l'organisme les retiendra, les assimilera correctement et en fera ce que prévoit la biochimie, aussi bien pensée soit-elle... On peut regretter que ces questions ne soient pas explicitement posées, ou tout au moins que les effets très variés qu'on peut attendre ne soient pas quelque peu hiérarchisés. On souhaiterait qu'il apparaisse des priorités, sans que l'approche cesse d'être globale... pari difficile à tenir compte tenu des trop rares données disponibles dans cette perspective.

Si le rôle du médecin prescripteur est de "mettre en scène, d'organiser une rencontre entre des molécules et un organisme vivant et pensant", l'innocuité peut être plus importante que l'efficacité strictement biologique. De ce point de vue, la nutrithérapie est merveilleusement placée pour déboucher sur une "nutrimédecine", thème que propose l'auteur pour un troisième volume, à paraître. On disposera alors de trois livres avec un contenu solide, riche et diversifié qui s'ajouteront aux quelques ouvrages sérieux qui font heureusement contrepoint aux "tabloïds" des médias (presse, radio, télé) qui sévissent dans ce domaine.

Maurice Pasdeloup

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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