Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par JLM sur l'ouvrage de BRAUN A. & H. :
« Le bal des chômeurs »
     éditions Descartes & Cie, Paris, 1999, ISBN 2-84446-007-0, 328 pages.

Quand le comte philosophique prend les allures d'un thriller d'économie-fiction, sans doute sommes-nous d'abord un peu surpris. Mais quand le thriller est bon, l'intrigue bien ficelée, les rebondissements nombreux et la fin inattendue et pourtant heureuse, on se laisse vite prendre au jeu : une ou deux bonnes soirées en perspective. Puis on revient au projet entrevu, celui d'une société qui ne ferait pas du seul travail salarié son moteur d'intégration des citoyens à leur cité.

Puis on se souvient du célèbre dialogue de Socrate et de Protagoras que nous rapporte Platon : "Comment vas-tu me démontrer que le mérite est une chose qui s'enseigne, demande Socrate ? (Le débat de l'inné et de l'acquis était déjà familier aux grecs !). "Eh bien ! répondit Protagoras, je ne me déroberai pas ! Mais cette démonstration, faut-il que je vous la donne en homme d'âge qui parle à de plus jeunes, sous la forme d'une histoire ? Ou bien que je vous l'expose rationnellement ? " Or il y en eut beaucoup parmi les assistants, pour prendre la parole et lui dire de faire son exposé de celle des deux façons qui lui plairait le mieux. "Alors, dit-il, m'est avis qu'il sera plus agréable que je vous raconte une histoire". (Platon, Pléiade, tome 1, p. 88).

Je ne sais si A. & H. Braun se sont effectivement inspirés de ce merveilleux détour rhétorique de Protagoras pour nous faire entendre la pauvreté de nos conceptions du travail salarié, valeur devenue sacrée au point que l'excommunication (le licenciement sec !) engendre une irrémédiable déchéance et souvent le suicide. Mais ils l'ont magistralement utilisé et on ne peut qu'inviter économistes, technocrates et managers à écouter cette étonnante histoire… qui pourrait être prémonitoire, plutôt que de s'acharner à nous convaincre de la qualité formelle de leur raisonnement (" Les ventes baissent, les coûts augmentent, donc vous êtes viré ").

Je ne vais pas bien sûr vous raconter l'histoire, mais je peux vous mentionner un bref dialogue qui éclaire une de ses facettes :

"- Payer pour travailler ! Ca va pas la tête !

- T'énerve pas. A partir du moment où tu as de l'argent, où ça revient au même pour toi, financièrement de travailler ou pas… tu fais ce que tu veux de ton argent. Et si ce qui te plaît c'est de travailler, tu t'achètes du travail" (p. 314).

Allez voir, vous verrez que cela peut fort bien se concevoir. Comme on pouvait concevoir une démocratie à Athènes, où le forgeron avait les mêmes droits et devoirs que les riches notables : Hermès n'avait-il pas distribué à tous les humains ce don de Zeus qui est de savoir administrer ensemble leurs cités ? Lorsque les sages conteurs prennent plaisir à inventer et à narrer leur fable et que celle-ci est si colorée qu'elle nous paraît plausible, ne sommes nous pas aisément attentif ? Bien plus que lorsqu'un logicien austère veut nous démontrer qu'il n'est de solution que dans la simplette résignation aux dégâts du progrès ! Et comme A. & H. Braun ont manifestement pris plaisir à nous narrer ce scénario de prospective incongrue, ils nous font aisément partager leur entrain. Le détour rhétorique est décidément une heuristique précieuse pour qui veut enrichir sa propre intelligence de la complexité.

JLM.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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