Rédigée par D. Violet sur l'ouvrage de GERARD C. : |
« Au Bonheur des maths » Editions LHarmattan, Paris , 2000, ISBN , pages |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
A lévidence les mathématiques demeurent une discipline majeure dans le domaine scolaire. Tissant lanalogie entre lécole et le jeu déchec, on se rappelle que dans les années 70 Stella Baruk avait publié " Echec et math ". Avec une intention humoristique qui rappelle le " Bonheur des dames " de Zola, C. Gérard tente de contrer le malheur de léchec et nous invite à aspirer " Au bonheur des maths ".
Derrière un titre attrayant et réconfortant pour ceux qui voient les mathématiques comme une maladie génétique, lauteur nous propose un ouvrage qui veut montrer la pertinence dans une approche " constructiviste " de la complexité de lenseignement et de lapprentissage de cette discipline scolaire incontournable. Pour ce faire, les travaux de systémique réalisés par J. L. Le Moigne et G. Lerbet, entre autres, sont largement convoqués.
En sefforçant de composer avec différents repères conceptuels liés à une épistémologie constructiviste, C. Gérard élabore progressivement une sorte de plaidoyer pour une méthodologie de la formation par alternance. En effet, il semble bien que selon lauteur lalternance doit permettre de passer " de la résolution à la construction des problèmes ". Fortement inspiré par la pensée constructiviste piagétienne, C. Gérard reprend la dynamique du système des apprentissages élaboré par G. Lerbet il y a une vingtaine dannées. Par le biais des processus de " problématisation " et de " problémation ". C. Gérard semploie à modéliser une organisation cognitive analogue à celle dun apprenant qui donne du sens et de la signification au travail scolaire quil réalise.
Entre et avec " problémation " et " problématisation ", entre et avec déduction, induction, abduction et transduction, les processus cognitifs modélisés par Gérard inclinent à reconsidérer les pratiques didactiques désormais habituelles pour les enseignants de lécole fondée sur les principes de la philosophie dA. Comte. Ainsi pourrait-on passer du malheur au bonheur des mathématiques ? Mais ne soyons pas dupe de lutopie qui consisterait à faire de lalternance la source du bonheur dapprendre.
Liée au travail scolaire, et dans cet ouvrage au travail qui consiste à apprendre les maths, lidée de bonheur peut-être entendue dau moins deux manières. Un première approche du bonheur pourrait consister à entrevoir celui-ci comme lexpression de labsence de contraintes, de difficultés, en un mot déchec. Ainsi certains courants pédagogiques évoqués dans le livre auraient-ils pu se nourrir de la crédulité qui conduit à vouloir remplacer le malheur du travail par le bonheur du jeu.
En franche opposition avec cette première lecture du bonheur, une seconde lecture tendrait à concevoir le travail, leffort, léchec de façon moins dramatique. Dès lors malheur et bonheur ne seraient plus antinomiques mais consubstantiels. A la manière de J.-P. Dupuy qui considère que la crise contient lautonomie, ne pourrait-on pas envisager que le malheur soit contenu dans le bonheur, et/ou inversement ? Une telle posture épistémologique suppose de concevoir le bonheur comme une tragédie dans laquelle le malheur participe dun processus initiatique. Mais notre humanisme prométhéen nous incite davantage à disjoindre quà conjoindre le bonheur et le malheur.
A lévidence, la réflexion de Camus ne nous est guère familière pour dégager une herméneutique de léducation. Et pourtant le fameux mythe de Sisyphe nous aide à comprendre que malheur et bonheur se conjuguent bien ensemble. En effet, ne peut-on pas comprendre que cest en acceptant de souffrir sans cesse sous la charge du rocher quil pousse vers le sommet, sans jamais atteindre le basculement sur lautre versant, que le brave Sisyphe échappe au repos et à la mort ? Ici le malheur de leffort ne serait-il pas le ressort du bonheur de la vie ?
Transposé dans le domaine scolaire, le mythe de Sisyphe offre une herméneutique qui nexclue pas la possibilité dinstaurer lépreuve de léchec au rang des épreuves éducatives. Dans cet esprit, M. Serres demande que lon considère que lécole a surtout réussi sa tâche auprès de ceux quelle a fortement contrariés. Cest sans doute quelque chose de cet ordre qui sexprime quand des parents persuadés de navoir rien appris à lécole conseillent à leurs enfants de faire de longues études .
Au terme de la lecture de louvrage de C. Gérard le lecteur est assurément convaincu par " le caractère éminemment paradoxal des mathématiques ". En outre, ce même lecteur devine que le bonheur des apprentissages scolaires, et plus globalement celui de la vie bio-cognitive se dissimule aussi sous des facettes paradoxales. Pour tout cela, ce serait un " malheur " de ne pas lire " Au bonheur des maths ".
D. Violet
Fiche mise en ligne le 12/02/2003