Rédigée par JLM sur l'ouvrage de HEURGON Edith & Josée LANDRIEU, coord. : |
« Prospective pour une gouvernance démocratique " (Colloque de Cerisy, 1999) » Editions de lAube, (84240), 2000, ISBN 2-87678-540-4, 382 pages. |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
Ce nest pas seulement parce quils sont publiés par le même éditeur et quils traitent de questions fort connexes, que lon associe ces trois ouvrages dans cette note de lecture : un gros pavé rassemblant une quarantaine de contributions, et deux brochures qui enrichissent la vivante Collection " Société et Territoire ". La conjonction de leurs problématiques, autour des mêmes mots-clefs, Prospective, Aménagement et Urbanisme, Gouvernance, Action collective , problématique que le Centre Culturel de Cerisy sattache à promouvoir dans nos cultures depuis plusieurs années, incite aussi à les conjoindre.
Que cette problématique mobilise toujours les mêmes experts en prospective dont on lit les mêmes articles depuis trente ans ne surprendra guère : Edith Heurgon parvient à résumer en une introduction dune dizaine de pages lessentiel de leurs propos habituels sur la prospective et la stratégie, tout en suggérant, au conditionnel, les voies dun renouvellement qui lui semble se manifester : " A une prospective fondée sur lextrapolation de tendances, positionnée en amont de la décision publique, se substituerait une prospective continue et interactive, apport de connaissance et gestionnaire dincertitude ( ?) , stimulant un processus dintelligence collective " (p.5). Dans cette veine on trouvera en effet quelques arguments renouvelant le discours sur la Gouvernance tel que celui de " laction collective " proposé par A. Hatchuel (" afin de cacher de vieilles antinomies sous des noms modernes ", p.29) ou celui d "économie du lien " proposé par Josée Landrieu (" plusieurs formes économiques devraient pouvoir coexister et entretenir des liens dynamiques entre elles " in L. Van Eeckhout, p.99). Les lecteurs familiers des activités de lAtelier MCX " Prospective et Complexité " quanime P. Gonod ne seront pas surpris par cette conception dune prospective devenant " un art de létonnement qui ne craint même pas les liens entre la prospective, la poésie, lart ou la relation amoureuse " (J. Landrieu, p. 376-377).
Mais on nest pas certain que ces propos aient convaincu les hommes dentreprise qui participaient à ce colloque : lun dentre eux ne souligne-t-il pas : " Il ny a pas de prospective sans formalisation : il faut être sérieux. France Télécom comporte 800 polytechniciens. On ne peut faire de la poésie en disant que cest de la prospective. Donc tout est quantifié " (p.153). Comment entendra-t-il alors la conclusion que J. Landrieu propose en guise de nouvelle voie pour la prospective ? :
" Mais peut-être la prospective nest-elle pas seulement la complice du décideur, du " pilote dans lavion " ? Sans doute faut-il des pilotes éclairés, mais ne faut-il pas aussi que lensemble dune entreprise les salariés, les syndicats, les clients, les usagers, les actionnaires pensent et produisent collectivement le changement ? les projets dans lesquels ils vont sengager ? La prospective ne serait donc pas une "prospective du prince, mais une prospective de lêtre collectif. Avec pour mission de formuler lobjet de son action et non de détecter la "solution optimale". Pourquoi ? Quest ce que nous cherchons ? Quel est le sens de notre action ? Ce sont des questions bien plus importantes que "quest-ce que nous décidons ?" " (p.377).
En lisant ces lignes je me souvenais de linvitation que proposait déjà Pierre Calame il y a trois ans (Dans " LEtat au cur ", Desclée de Brouwer, 1977), dans un chapitre quil intitulait " Les lieux délucidation des enjeux collectifs " (p.68+). Nest-ce pas cela que pourrait être une prospective et une gouvernance entendues dans leur intelligible complexité : P. Calame intitulait significativement son chapitre suivant " Vers une éthique de lintelligibilité ". Linvention, ou lingénierie de ces " lieux délucidation des enjeux collectifs reste encore à poursuivre, ces ouvrages récents en témoignent : même les exemples que citait P. Calame ne semblent pas encore familiers : nos experts en prospective navaient pas encore appris à inventer " des lieux délucidation des enjeux collectifs " au sein desquels se formeraient des projets dont ils ne pourraient plus sattribuer la paternité ! Reprenant la solide conclusion de cette " Prospective pour une gouvernance démocratique " que leur propose E. Heurgon et J. Landrieu, vont-ils franchir enfin le Rubicon épistémique qui sépare lexpert et le citoyen ? On peut rêver
Il faudrait pour cela quils soient plus attentifs à " cette émerveillante capacité de lesprit humain ", qui est de contextualiser ce que nous percevons, et ainsi de comprendre lautre ". Nos cultures depuis trop longtemps nous incitent à réduire le moralement bon au syllogistiquement vrai, appauvrissant " notre ingenium, cette faculté qui a été donnée aux humains pour comprendre cest-à-dire pour faire ". Nest-il pas regrettable que manque à ce gros ouvrage (" faute davoir été remis à temps ") larticle de R. Laufer, qui " affirme que " la prospective devient une rhétorique ", alors que sont en crise les deux fondements de laction collective (le droit et la science) et que seffondrent les systèmes de légitimité " (p.8) ?
JLM.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003