Rédigée par BANDELIER René sur l'ouvrage de PEYRE Pierre : |
« Compétences sociales et relations à autrui. Une approche complexe » Editions LHarmattan, Paris 2000, ISBN 2-73384-9100-6 , 229 pages |
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C'est à cette "compétence sociale" que Pierre Peyré consacre une recherche approfondie dans son livre "Compétences sociales et relations à autrui - Une approche complexe". Le Professeur Peyré, psychologue des hôpitaux et ancien directeur d'établissement médico-social, enseigne à l'Université de Pau et des pays de l'Adour - département des sciences sanitaires et sociales - et est très actif dans le déroulement du Programme européen MCX "modélisation de la complexité" piloté par Edgar Morin et Jean-Louis Le Moigne, au sein duquel il anime tout particulièrement l'Atelier MCX 20 : " Complexité et ingénierie des systèmes sanitaires et sociaux "...
L'idée générale de compétence la fixe comme savoir-faire relationnel et en marque ainsi la limite et la relativité dans l'appréciation de son efficacité. Il faut ouvrir la boîte noire par l'analyse systémique qui, dépassant "le comportementalisme réducteur", révèle ce qu'est la compétence, ce qu'elle produit, ce qu'elle reçoit en retour des résultats atteints et des relations à autrui. La compétence est alors vue comme un construit culturel dans le mouvement des interactions. Elle ne mobilise pas que des comportements, mais des besoins et valeurs, des motivations, des conduites, des aptitudes L'auteur peut, à ce point, définir les compétences sociales comme "l'efficacité relationnelle que l'on gère pour avoir une conduite sociale". Le pluriel, utilisé désormais, souligne la dialectique entre la compétence comme capacité d'un individu - "social skill", domaine du faire - et l'état de son expérience personnelle - le vécu des potentialités, domaine de l'avoir.
L'analyse nous conduit à repérer d'une part la place du sujet, son intentionnalité et la situation, contexte de l'action. et d'autre part la place d'autrui, qui réagit et juge. Ce qu'activent les compétences sociales, c'est de la " reliance", de la " vie en temps partagé", de la socialité.
Image parfaite et satisfaisante ? L'auteur, comme malicieusement, introduit alors le temps et l'espace, dans lesquels le sujet tente de gérer sa compétence. Les évolutions touchent à la fois l'individu lui-même, dans son ego, et le milieu dans lequel il agit. Les éléments de la culture mais aussi les modes acceptables d'action et pourquoi pas les humeurs personnelles expliquent les hésitations, les tâtonnements, les insuccès. La gestion du projet impose sa réévaluation permanente.
Et voilà que surgit autrui, celui qu'on veut amener à partager notre démarche. Dans l'exercice de la compétence, le jeu n'est pas solitaire : il se joue à plusieurs. Quels référentiels sont-ils communs ? Quelles valeurs ? Les situations sont-elles vues de la même façon ? Et l'effet que je veux obtenir est-il concédé par l'autre ? Sont impliqués les niveaux cognitif, stratégique, affectif, spatio-temporel. Les relations interpersonnelles - et de groupe, ajoutera-t-on - sont à gérer au sein d'un milieu
"socialement, culturellement et organisationnellement structuré" et selon des évolutions qui tiennent à la fois au jeu des interactions et de la dynamique des rapports individuels et collectifs.
L'auteur développe les applications en particulier dans" l'entreprise apprenante" et propose diverses définitions synthétiques des compétences sociales.
Dans sa conclusion, il insiste sur la nécessité d'une écologie du concept de compétence sociale et souligne les efforts à entreprendre pour apprendre à se conduire, à s'adapter, à s'ouvrir aux autres : il reconnaît la part de subjectivité inhérente à tout jugement dans ce domaine. La pierre de touche, c'est la reliance, conclut Pierre Peyré.
L'ouvrage est complété par une importante annexe de trente trois mots-clés commentés. Il ne s'agit pas d'un dictionnaire de définitions télégraphiques, mais de notules soignées, suffisamment détaillées pour assurer un référentiel commun.
L'index permet de référencer des lectures complémentaires.
Ce livre est important par le sujet abordé, d'une lecture aisée par la précision du langage et la progression des idées, d'une pédagogie active qui force le lecteur à l'interrogation et à la critique.
Il s'agit d'un travail de recherche et non pas d'une vulgarisation. Les apports documentaires sont très variés.
On pourrait - mais pour le plaisir de la controverse - formuler quelques réflexions. La première a trait à la performance. L'auteur met la compétence au service de l'homme, dans une éthique qu'on ne peut que louer. Peut-on se demander si la compétence sociale est ainsi connotée de "bien faire" et selon quelles valeurs ou si Hitler à Nuremberg, Attila ou Moon ne sont pas des exemples inverses de compétences tournées vers ce qu'on jugerait comme le mal. Notre seconde réflexion pourrait porter sur la formation de ou à cette compétence : l'auteur part du biologique, puis de l'apprentissage; mais qui va déterminer les valeurs auxquelles doit se soumettre la compétence et qui va faire la typologie du " socialement correct " ? Enfin, cet acteur doué de compétence est-il véritablement l'acteur principal du jeu des relations ou est-il le " sujet" de l'environnement et de la culture ambiante ?
Ces questions trouvent des éléments de réponse dans l'ouvrage, mais le lecteur, par la maïeutique même utilisée, veut aller plus à fond dans les réponses.
A ce point, on ne peut que souhaiter un prolongement de la recherche de Pierre Peyré dans un deuxième ouvrage.
Nos premières interrogations portent sur les identités individuelles et collectives. Si l'individu construit petit à petit son identité propre, comment s'avance-t-il dans la représentation sociale où il va exercer ses compétences ? Ne se compose-t-il pas personnalité - un personnage d'acteur -et, inversement, n'est pas un personnage composé par autrui, selon des typologies commodes pour la sûreté des relations ? Ainsi, le patron, le syndicaliste, le bon vivant, selon une imagerie populaire ? Il faut alors user d'une compétence fabriquée sur le modèle, comme le font, semble-t-il, les hommes politiques. Si maintenant cet individu entre dans un groupe déjà formé, garde-t-il son individualité ou se coule-t-il dans un ensemble groupal, doté d'une identité collective ? Dans l'affirmative, comment se forme, se développe, agit cette identité ? Quelle compétence sociale peut être celle d'une collectivité ?
Interrogeons-nous sur la formation des valeurs collectives et individuelles. Comment les reconnaître ? Sont-elles le plus petit commun dénominateur dans l'assurance d'une paix sociale ? Observant leurs fluctuations ou leur anarchie (Valadier), retrouve-t-on la trace de l'action des individus et leur affirmation d'une adhésion ou reste-t-on dans un flou entretenu par le vide des slogans ?
Exercer une compétence sociale devient alors - et c'est notre troisième dilemme - un choix entre un attachement à des principes ou une navigation à vue dans les compromis successifs qu'impose un principe " supérieur" : ne pas faire de vagues. C'est ouvrir la réflexion sur la négociation et les justifications (Boltanski-Thévenot). La performance de l'individu ou du groupe se juge-t-elle par rapport à une normativité (comment se détermine-t-elle) ou par rapport à quelque bénéfice nouveau dans les relations ?
On pourrait également s'interroger sur l'influence des technologies, non par effet de mode, mais parce que le téléphone mobile, les messageries vocales, le mèl induisent de nouveaux rapports sociaux.
Plus fondamentalement, la recherche d'une compétence sociale permet-elle un progrès dans la construction de la réalité sociale (J.Searle) ou construit-elle un monde normé dans lequel l'innovation, la résistance, la rébellion n'ont plus de place ?
René Bandelier, directeur général honoraire de CHU
Fiche mise en ligne le 12/02/2003