Rédigée par Pierre Peyré sur l'ouvrage de MAGNON René : |
« Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers, Le bilan d'un siècle » Ed. MASSON, Janvier 2001, 198 pages |
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Originalité soit, puisque le système de soins n'est pas abordé, ici, du point de vue médical dominant comme c'est souvent le cas dans les études du genre, mais très complémentairement de celui de la profession infirmière. En nous livrant " Les infirmières : identité, spécificité et soins infirmiers, Le bilan d'un siècle " (Masson, 2001), René Magnon, qui fut infirmier général et directeur technique du programme de maîtrise des sciences et techniques sanitaires et sociales de l'université de Lyon II, met à profit sa connaissance du terrain et son expérience de la recherche pour nous donner une vue globale du monde de la santé à travers des analyses qui ne tombent en effet, jamais, dans le piège de la déliaison.
Bien au contraire, et même si l'auteur limite formellement l'objet de son étude aux soins infirmiers (son champ de compétence et de légitimité), même s'il ne se préoccupe nullement de "systémiser" son approche et encore moins d'en interpréter explicitement la complexité, René Magnon "surfe" de fait sur la vague du complexe en épanouissant sa pensée dans l'écume des réseaux, des connaissances à relier et autres hiérarchies individuelles et collectives enchevêtrées avec lesquelles l'histoire lui donne à composer, pour mieux révéler l'unité de ce bien qui nous concerne tous : la santé.
Se plaçant donc du point de vue délibéré des soins infirmiers, René MAGNON recense les découvertes médicales et scientifiques ; du XVIe au XXe siècle, il interroge les événements de la société et de la profession afin d'expliquer les lents cheminements qui ont conduit à la transformation conjuguée de la profession infirmière et des soins aux personnes malades. De la structure des soins au système de santé, il balaye ainsi le champ des évolutions de l'enseignement, des pratiques infirmières et des organisations dans leurs rapport aux changements observables au niveau de la littérature, de la recherche, de la réglementation et de l'éthique.
Toutes ces convergences, et c'est là que réside leur force à l'orée du XXIe siècle, constituent un bilan historique qui n'est pas simplement descriptif et explicatif. Au-delà de la simple mise à jour des faits, elles prennent sous la plume expérimentée de l'auteur toute l'intelligibilité d'une modélisation ouvrant à la compréhension (cf. J.L. LE MOIGNE : "La complexité est-elle modélisable ?", in La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990, p. 10-11). Compréhension non pas réduite de façon partielle et partiale à un corps professionnel isolé, mais compréhension véritable (cum prehendere : prendre ensemble) au sens où le livre de René MAGNON, parce qu'il nous conduit à connaître les étapes de l'histoire des soins, à identifier le rôle des pionniers et à prendre conscience des influences de la société, nous éclaire sur cet enjeux capital aujurd'hui : " la santé de l'homme avant tout ".
Qu'est-ce qui est complexe, dans le fond ? interroge Edgar MORIN mettant l'hôpital en observation (op. cit., p. 41) : " Ce qui est complexe, c'est que les malades sont à la fois des objets et des personnes. Et le problème de la non-complexité, c'est de voir le malade comme un objet et d'oublier que c'est une personne. Qu'est-ce qui est complexe ? C'est que les gens qui travaillent dans l'hôpital - médecins, infirmières - ce sont des gens qui ont une fonction, une situation fonctionnelle, mais en même temps, ils ont une mission, parce que ce qui concerne la vie et la mort de l'humanité a quelque chose de missionnaire. Qu'est-ce qui est complexe ? C'est que dans le fond, c'est un univers de demande extraordinaire, le monde de l'hôpital, le besoin de savoir, le besoin de connaître, le besoin immédiat de tel ou tel soin."
Manifestement et quasi paradoxalement parce qu'il ne s'interroge pas sur la complexité, mais parce qu'il va directement et modestement à la complexité même de la fonction infirmière au sens où le conçoit Edgar MORIN, le livre de René MAGNON est - au-delà de toute idée de corporatisme ici hors de mise - une véritable clé, efficace et authentique, pour quiconque cherche à comprendre la complexité à la fois2 dialogique (qui associe des termes à la fois complémentaires et antagonistes), récursive (qui marque la rupture avec l'idée linéaire de cause/effet, produit/producteur, structure/superstructure, dans la voie des phénomènes en boucle auto-constitutifs, auto-organisateurs et auto-producteurs propres à toute organisation) et hologrammatique (qui se définit, en termes de connaissance, à travers les qualités émergentes du tout) dans les organisations de soins
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1. Pour reprendre, ici, le titre de la plaquette d'Edgar MORIN et Jean-Louis LE MOIGNE, mise en forme pa Michel CUCCHI (ASPEPS Edition, 1997).
2. Selon Edgar MORIN, les trois principes du paradigme de la complexité : le principe dialogique, le principe de la récursion organisationnelle et le principe hologrammatique sont liés entre eux. Ils signifient que le tout est dans la partie qui est dans le tout. C'est en ce sens que la relation anthropo-sociale est complexe (cf. Introduction à la pensée complexe, ESF, 1992, p. 98-101).
Pierre Peyré
Fiche mise en ligne le 12/02/2003