Rédigée par J.L.Le Moigne. sur l'ouvrage de PRIGOGINE Ilya : |
« De l'être au devenir » Ed Alice, Bruxelles, et RTBF, Liège, ISBN 2-930182-09-1, 89 pages et SPIRE Antoine La Pensée-Prigogine, suivie de trois entretiens, Ed. Desclée de Brouwer, 1999, ISBN 2-220-04380-0, 206 pages. |
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Sur sa polémique avec R.Thom (p.27) ou sur sa réponse à J.Monod (p.50), par exemple, nous trouverons dans le premier ouvrage quelques formules fort bien campées, à mes yeux, très convaincantes.
Mais nous trouverons aussi quelques méditations sur les grandes questions qui hantent la recherche scientifique contemporaine. " Aujourd'hui, on arrive à une troisième conception de la réalité. Il y avait d'abord la réalité classique automate, puis la réalité quantique inconnaissable (déterminée essentiellement par nos mesures, donc relativisée...) ; et maintenant, la troisième conception. C'est l'idée d'un univers en construction. L'idée que le poète français Paul Valéry avait très bien exprimée... " (p.26).
Ou encore : " Et cela nous ramène à l'idée que les choix, les possibilités, l'incertitude, sont à la fois une propriété de l'univers et le propre de l'existence humaine " (p.80).
Pourtant nous dresserons parfois l'oreille en lisant d'autres formules, elles aussi prigoginienne : " Toute mon uvre, d'une certaine manière réhabilite la flèche du temps, non pas à partir de la métaphysique, mais à partir des lois de la physique classique ou quantique ". L'argument sous cette forme abrupte n'a t'il pas une teneur quelque peu scientiste ? Ces lois, dont la formulation est toujours contingente ("suivant les mesures que nous faisons, nous avons une autre réalité ", p.25), sont elles assez assurées pour faire la preuve et pour imposer à tout esprit humain raisonnant la certitude de l'irréversibilité de la flèche du temps ? N'est ce pas plutôt notre intime perception de la vie et de la mort qui in fine, nous rend intelligible et bienvenue cette hypothèse ? La science et ses lois présumées, ici ne sont pas plus définitivement probantes que la métaphysique. Pourquoi faudrait il leur demander plus qu'un argument de forte plausibilité légitimant aujourd'hui l'hypothèse ?
I.Prigogine "salue la mémoire de G.Bruno " qui fut brûlé à Rome il y a 4 siècles parce qu'il contestait une thèse métaphysique alors régnante, au nom d'une autre métaphysique. Mais métaphysique ou physique scientiste, devons nous demander à des croyances que tous ne partagent pas, des convictions éternelles sur la nature du Temps ? I.Prigogine en conviendra in fine : " Même en physique... nous ne comprenons que très peu de choses " (p.57). L'Irréversibilité est un des possibles, et il dépend de nous qu'elle soit notre choix .Notre choix, réfléchi , raisonné mais que n'imposent pas une universelle nécessité rationaliste.
Le deuxieme ouvrage permet un accès relativement aisé et documenté à l'ensemble de l'oeuvre d'I.Prigogine et propose un regard enthousiaste sur sa portée épistémologique, celui de son auteur, A.Spire. L'auteur a complété son exposé par trois entretiens avec trois chercheurs, le physicien, G.Cohen-Tanoudji, le philosophe, D.Bensaïd, et l'épistémologue - anthropologue, E.Morin. Ce qui permet à ce dernier de nous dire succinctement "ce qui (le) différencie de la pensée prigoginienne " (p.175). Distinction qu'il développe malheureusement trop brièvement, en se référant à une intelligence plus cognitive que physique de la complexité.
Mais son propos lui permet de revenir à une de ses idées fortes, celle d'un appel à une science qui veille à maintenir avec exigence "sa réflexion sur la science elle-même ". I.Prigogine ne nous y invite t il pas en des termes peu différents ?
J.L.Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003