Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de DAMISCH Hubert : |
« Traité du trait » Edition de la Réunion des Musées Nationaux. Paris 1995. 216 p. |
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Le "trait" n'est-il pas le seul procédé dont nous disposions pour nous exercer à la modélisation intelligible des phénomènes que nous percevons complexes ? Pourtant, rappelait P. Valéry, il nous faut "bien comprendre qu'il n'y a pas de "traits" dans la nature que le trait est une décision à prendre" (Cahiers II, p. 1579). Que l'on n'ait guère prêté attention jusqu'ici dans le discours scientifique à l'importance et à l'intérêt du "-trait-, index d'une activité protéiforme qui se manifesterait par priorité sous l'espèce graphique" (H. Damish, p. 143) pourrait nous étonner si l'on ne se souvenait que celui-ci s'est forgé depuis deux siècles sous la quasi exclusive emprise de l'analytique : une analytique en quête de "lignes prêtant à la description sous forme passive au sens où l'on dit d'un mobile qu'il décrit une (ligne) courbe" (p. 174). Dès lorsque "ce que le trait représente ou ce qu'il signifie importe moins que ce qu'il décrit, au sens actif du verbe (la ligne est décrite, le trait décrit)", on conçoit que la modélisation systémique, plus active, moins passive, ait cherché à s'approprier la fascinante puissance du trait : "Le trait comme opérateur... pour voir le discours faire alliance avec l'image" (p. 175).
Le prétexte à cette méditation sur la fonction modélisatrice du "trait" (un concept que l'anglais a emprunté au français, le définissant fort correctement comme "the act of drawing", et l'utilisant également en toute généralité : les traits du phénomène, ou les traits du modèle) est un passionnant "Traité du trait" rédigé par H. Damish, traité qui accompagne, en guise de catalogue, une belle exposition montée au Louvre en 1995 sous ce titre, titre qu'il emprunte sans doute au "Tractacus" de L. Wittgenstein lequel proposera quelques exergues bienvenus à cette méditation. Sans doute aurait-il pu faire davantage appel à P. Valéry aussi, mais il n'empêche nullement son lecteur de le faire librement. Et j'aimerais relever cette invitation initiale à faire du trait, cet artifice, une décision, en sous-titrant ce traité par synonymie : "traité du trait, traité de la décision" .Les jeunes sciences de la décision ne trouveront-elles pas là, par surcroît le prétexte à quelques renouvellements bienvenus ? En entendant "modélisé" par "traité", et en nous autorisant des mille jeux de miroirs que nous propose ce bel instrument "que l'oeil exige des mains de l'homme" (L. de Vinci), ce "traité du trait" devient pour chacun une source précieuse "non seulement de description, mais aussi de détection" (p. 143).
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003