Rédigée par Frédérique Lerbet-Sereni sur l'ouvrage de DEMOL Jean-Noël : |
« Histoire et citoyenneté en formation » Ed. L' Harmattan, 2000, ISBN 2-7475-0000-4.178 pages. |
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Les questions d'incivilités et de violence scolaire sont, depuis quelques années, récurrentes chez tous les éducateurs. A travers elles, c'est la question de l'éducation à la citoyenneté qui est souvent posée, que le système éducatif tente de résoudre en la renvoyant prioritairement et souvent exclusivement à l'enseignement de l'histoire. L'éducatif s'y trouve ainsi pris en charge par l'enseignement, celui d'une discipline par ailleurs aux prises avec un renouvellement de ses préoccupations épistémologiques et, donc, didactiques. En resituant ces questions classiques dans le champ des formations par alternance, cet ouvrage leur donne une coloration nouvelle, une coloration que l'on aimerait d'ailleurs plus souvent présente dans le système classique. En même temps, la centration ici proposée sur l'enseignement de l'histoire dans ses liens avec la formation du citoyen en particulier, permet d'appréhender les problématiques majeures de l'enseignement par alternance et de sa pédagogie singulière : quel statut donner aux savoirs constitués si la finalité est la construction de la personne et le sens de ces savoirs pour elle-même ? De ce point de vue, ce sont les enjeux politiques de tout enseignement que révèle cette discipline en particulier. Histoire et citoyenneté peuvent alors tout aussi bien se nommer didactique et pédagogie, instruction et éducation, école et politique, autant d'articulations d'une éternelle actualité. Mais la particularité de l 'alternance qui tente de se penser est qu'elle ne peut pas, contrairement à d'autres systèmes, se leurrer elle-même en renvoyant aux seuls contenus disciplinaires le rôle essentiel de la fonction citoyenne, puisque sa pédagogie spécifique vise à donner d'emblée aux savoirs un autre statut, plus complexe que celui-là. Les questions d'épistémologie des disciplines comme celles d'éthique du formateur ne sont plus si facilement escamotables, dès lors que les ingénieries pédagogiques se centrent sur un " sujet-se-formant " devant également satisfaire à des examens normés.
L'intérêt de cet ouvrage déborde donc largement les seules formations alternées, puisqu'il permet aux enseignants plus classiques de renouveler le questionnement de leur propre pratique en la déplaçant dans un autre contexte. Mais son intérêt majeur, de mon point de vue, réside aussi dans le fait qu'il propose un discours pédagogique qui sait se donner les moyens de sa scientificité, puisqu'il émane de quatre recherches- actions : l'enseignement de l'histoire et l'éducation à la citoyenneté sortent ainsi des seuls discours théoriques et souvent idéalisants ou alarmistes, pour acquérir un statut plus scientifique. Soutenus par des corpus issus de la pratique, questionnés et travaillés, ce ne sont plus d'élèves et d'enseignants fictifs qu'il s'agit, susceptibles de se plier à n'importe quel modèle du penseur, mais bien plutôt, à l'inverse, des praticiens-chercheurs devant penser avec eux-mêmes et ces élèves-là pour proposer des intelligibilités nouvelles. Les ingénieries pédagogiques sur lesquelles débouchent les différents chapitres deviennent non plus des modèles que le lecteur serait tenté d'appliquer, mais sont des " ingénieries ouvertes " (J.-N. Demol), questionnantes, questionnées et à questionner : situation-problème (Pascal Perrais), histoires personnelles et histoire savante (Gilles Barge), " espace d'objectivation " et mise en mouvement de l'esprit critique par une fonction pédagogique accordée au contradictoriel (Cécile Martin-Chavigny), rôles de l'enseignant et modèle du " contrat historien à l'école " (Eric Gohlen), acquièrent ainsi un statut de problématique professionnelle et d'objet de recherche en élaboration, et non de recette didactique.
A travers cet ouvrage, c'est un accès à une pensée complexe de l'enseignement de l'histoire dans ses liens avec l'éducation à la citoyenneté qui est proposé : les grands " y'a qu'à " et les virulents " faut qu'on " sont balayés, au profit d'un questionnement sans concession du sens tant de " l'apprendre " que de " l'enseigner ". Un sens qu'aucun des auteurs ne tente de circonscrire une fois pour toutes, mais que chacun s'emploie à nourrir et à ouvrir, afin que les ingénieries pédagogiques soient au service de citoyens à venir qui construiront leur monde de demain, inconnu de quiconque aujourd'hui : incertitude, incomplétude, enchevêtrement, paradoxe, auto-référence, tels sont les fondements mouvants des auteurs qui, peut-être, les laissent parfois un peu trop aisément dans l'implicite de leur discours. Ces positions épistémologiques demeurent encore, ici, souvent trop sous-jacentes. Des travaux ultérieurs pourront certainement les affirmer plus fermement, ouvrant ainsi à des discussions intéressantes. Ce sont alors les débats pédagogiques initiés et générés par l'ouvrage qui se trouveront enrichis, puisqu'ils ne seront plus seulement méthodologiquement et théoriquement référés, mais aussi heuristiquement.
Frédérique Lerbet-Sereni
Fiche mise en ligne le 12/02/2003