Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Pierre Peyré sur l'ouvrage de MIRAMON Jean-Marie, COUET Denis et PATURET Jean-Bernard :
« Le métier de directeur. Techniques et fictions »
     , éditions ENSP, Rennes, 2001, 272 pages.

Dans le champ sanitaire et social, il convient de saluer tout particulièrement la deuxième édition qui vient de paraître du livre de Jean-Marie Miramon, Denis Couet et Jean-Bernard Paturet : Le métier de directeur. Techniques et fictions. Fruit du travail commun d'un directeur d'association, d'un psychologue et d'un philosophe, ce livre continuera certes à intéresser, tous secteurs confondus, les directeurs en place et futurs directeurs, mais aussi tous les cadres intermédiaires, tous les formateurs et autres partenaires qui interviennent dans ce champ d'activité.

Il ne peut être que revigorant, en effet, pour la profession et tous ceux qui gravitent autour d'elle, d'aborder de plain-pied le métier de directeur d'établissement social et médico-social du double point de vue des techniques qui le fondent et des fictions qui l'entretiennent et le font évoluer. Statut, rôle et fonction sont ainsi convoqués à travers l'organisation, à ce point de rencontre précis mais parfaitement virtuel qui relie l'homme à l'institution qui l'empoie. Rencontre stratégique s'il en est, puisqu'au-delà de la seule technique, c'est à ce nœud gordien que se jouent toutes les destinées individuelles et collectives qui déterminent ensemble l'efficacité du système quelle que soit la nature matérielle, imaginaire ou symbolique des énergies déployées sur fond de rigueur méthodologique et d'éthique résolument orchestrées.

Sans même que le mot ne soit prononcé ou galvaudé, la complexité (complexus : ce qui est tissé ensemble) est au cœur de l'ouvrage. Du global au local, la fonction de direction (deuxième partie) et le pouvoir du directeur (troisième partie) sont finement contextualisés entre une analyse didactique du panorama du secteur social (première partie) et une construction théorico-pratique livrant une synthèse éclairante des champs d'action (quatrième partie) constituant le " noyau dur du métier managérial ".

Décider, déléguer, planifier, mobiliser, diriger, communiquer, vivre avec le pouvoir, on n'en finirait pas de mesurer à leur juste valeur les multiples partitions de la fonction de directeur d'étalissement social et médico-social qui, en bien des points, confine à celle de directeur d'hôpital. Un métier de responsabilité tout en nuances, en somme, un métier de compétences de motivations et de culture technique et humaine enchevêtrés, nécessitant de savoir réfléchir (globalement) et agir (localement, c'est-à-dire de comprendre la complexité au sens cognitif, éthique et pragmatique où " travailler à bien penser, comme le disait Pascal dans Les Pensées, voilà le principe de la morale " (cf. J.L. Le Moigne : "Après-propos", in L'intelligence de la complexité, L'Harmattan, 1999, pp. 321-325. Un métier complexe, assurément, dont l'asymptote se situe au nouage de l'éthique et du politique, mettant ainsi l'accent sur " l'impossible réduction du métier de directeur à la fonction de manager et de gestionnaire " (P. 107).

" Penser globalement, agir localement " (René Char) : c'est, tout bien pesé, ce que nous enseignent ces " techniques et fictions " judicieusement mêlées dans ce livre, pour apporter un autre regard au lecteur sur le métier de directeur dont le point d'orgue est une qualité accrue du service rendu aux personnes que l'âge ou la maladie handicapent : un regard qui embrasse ce que le mot "sujet" veut dire, c'est-à-dire comme l'avait si bien exposé Edgar Morin à l'occasion des XXVIèmes Journées Nationales d'étude et de formation de l'A.D.C./E.N.S.P. à Antibes Juan Les Pins les 18,19 et 20 juin 1997, un regard capable de produire " une pensée qui n'élimine pas la compréhension au profit de la seule explication [au sens où] expliquer c'est connaître un objet en tant qu'objet alors que la compréhension fait intervenir dans la connaissance un élément d'identification, de projection, de sympathie, d'empathie, qui permet de comprendre un sujet en tant que sujet par un autre sujet." (Actes des Journées, p. 245 et, pour un développement de ces idées porteuses de reliance épistémique autant qu'interindividuelle, voir E. Morin : La tête bien faite, Seuil, 1999, pp. 55-56).

Ni traité de gestion, ni essai de psychosociologie appliquée, mais un peu des deux ici bien équilibrés, c'est à toute cette complexité d'un métier pas tout à fait comme les autres, à ses stratégies du management et de l'éducation spécialisée, du technique et de l'humain, de l'aide et de l'accompagnement, du certain et de l'incertain, du quantifiable et du qualifiable, du formel et de l'informel, que nous ouvre cet ouvrage vers un nouveau contrat social. " Sur ce point, les dirigeants du secteur social, de par leur expérience auprès des handicapés et des marginaux, en savent long. Voilà qui devrait constituer pour eux un atout majeur pour "réussir" dans ce métier." (P. 82), expliquent les auteurs.

Ce savoir, capital, les directeurs d'établissement social et médico-social le mettent certes à profit pour leur réussite personnelle, nul ne le constestera. Mais ce capital de savoir, en termes de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être, et qui n'est en fait qu'un savoir-savoir en construction permanente, il leur restera toujours à le pôlir et à le repolir sans cesse, tel Sisyphe poussant son rocher, pour aider les " dirigés ", eux-mêmes, à atteindre leurs objectifs personnels et professionnels, à ce niveau où le micro-personnel s'enchevêtre dialogiquement (cf. la notion d'" ambi-systèmes " chez E. Morin qui montre, par exemple, que " complémentairement individu et société sont constitutifs l'un de l'autre tout en se parasitant l'un l'autre ", in Le Paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, p. 45) avec le macro-social.

Un " métier impossible ", assurément, à l'image de ceux qui consistent, selon S. Freud, à psychanalyser, à éduquer et à gouverner (" L'analyse avec fin et l'analyse sans fin ", 1937, in Résultats, idées, problèmes, II, PUF, 1985, p. 263.

Ainsi, au-delà de tout réductionnisme à une ingénierie pure et dure, par le sujet dont il traite entre " technique et fiction ", par le souci de relier les connaissances, les faits du quotidien, le partiel au global et le global au partiel, bref par le risque qu'il prend à tenir compte des incertitudes et des logiques qui dépassent la logique, ce livre, nous montre bien (en paraphrasant Hayek : " Personne ne peut être un grand économiste qui soit seulement un économiste.", cité par E. Morin, in La tête bien faite, p. 16) que nul ne peut être directeur d'établissement social et médico-social qui soit seulement un directeur d'établissement social et médico-social.

Pierre Peyré

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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