Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L.Le Moigne sur l'ouvrage de VON WRIGHT Georg :
« Le Mythe du Progrès (Traduit du suédois, 1993, par Ph.Quesne ) »
     Ed. l'Arche, Paris, 2000, ISBN 2-85181-471-0, 221 pages

La postface du traducteur et admirateur de G.von Wright, Ph.Quesne, nous informe et nous met en garde : "Le titre du livre de von Wright pourrait facilement induire en erreur. Sur le tard, le philosophe couvert d'honneur mais mis sur la touche, jetterait un dernier regard pessimiste et négatif sur son époque (et) disqualifierait ses espoirs progressistes … N'oublions pas toutefois que cette critique de la notion de progrès est ici l'œuvre d'un homme de science qui a œuvré toute sa vie dans les parages de la philosophie analytique et de la logique. Von Wright a élaboré de manière logique la division radicale entre fait et valeur, et il voit dans la notion de progrès un exemple de confusion entre ces deux domaines …f (p. 214).

Mais ajoute t il "l'intérêt de l'étude de von Wright est de suivre à la trace cette idée de progrès dévalorisée et chosifiée, ainsi que d'en signaler le dernier avatar: l'idéologie politique de la croissance. Elle consiste à croire que l'augmentation des ressources économiques et financières nous mène vers le "mieux"f (p. 215) .

Dés lors, le philosophe qui a tant contribué à fonder notre croyance en la science comme facteur de progrès (la quête de la vérité scientifique étant sans doute le meilleur garant de la quête du bien moral, pense t on encore souvent dans les académies si flattées de leur droit à morigéner les politiques), va s'inquiéter : Ne devrions nous pas prendre conscience des effets pervers de ces invocations de la croissance que nos gouvernants ont empruntées aux scientifiques (lesquels depuis des lustres revendiquent en priorité la croissance des budgets consacrés à la recherche scientifique) ?

"Les problèmes que pose la croissance vont croissant , et c'est au nom de la résolution de ces problèmes que la croissance doit sans cesse s'intensifier, tout en provoquant sans cesse de nouveaux problèmesf.

Le "pessimisme provocateurf du père de la logique déontique est certes salubre et bienvenu . Mais nous suffit-il de convenir que les citoyens ont eu tort de faire confiance aveuglément aux scientifiques pour raisonner leurs politiques de civilisation , et de regretter que les scientifiques n'aient pas encore été capables , sinon lorsqu'ils arrivent à un age avancé, de s'astreindre à cette critique épistémique interne qui aurait pu légitimer leur assurance ? N'eut-il pas été plus fécond de ne pas tant se résigner au clivage des connaissances scientifiques en deux catégories disjointes, celles de l'explicable (les sciences de la nature) et celles du compréhensible (les sciences de l'homme) (p. 210, et son livre "Explanation and Understanding", 1971)? Ne lui faut il pas convenir :"Quoi qu'il en soit, un fait demeure : Nos représentations de l'imprévisibilité des phénomènes naturels est en train de se modifier. L'image classique de la science y perd encore une partie de ses nimbes déterministesf (p. 179) ? S'il nous faut convenir de "l'imprévisibilité essentielle " des phénomènes (P.Valéry), ou de leur complexité, la prétention des sciences de la nature à l'établissement de lois explicatives et déterminantes peut-elle encore etre tenue pour légitime

La substitution d'une logique déontique (et logique des normes) à la logique classique des propositions nous sera t elle ici d'un grand secours (H.Simon avait déjà rappelé cette question dans "La science des systèmes, sciences de l'artificiel", 1969-trad. 1991, p. 116-117) . C'est, je crois, une des faiblesses de la pensée de Von Wright que de n'avoir pas su entendre l'invitation à l'exercice récursif de la raison humaine, dans les termes où la philosophie pragmatique (J.Dewey "La logique de l'enquête ", 1938 trad. 1963) : Ne peut-on correctement raisonner en convenant que les moyens mis en œuvre pour atteindre une fin transforment cette fin, laquelle, récursivement, suscite l'invention de nouveaux moyens ?

Ce qui, en effet ne permet plus d'argumenter aisément "le Mythe du Progrès" , mais laisse ouvert et émerveillant , le projet de "l'aventure humaine" , cette "exploration du champ des possibles " à laquelle Pindare nous invitait-il y a 25 siècles .

Vais-je dissuader le lecteur pensif de s'interesser à ce bref et vivant témoignage d'un des plus remarquable penseur de ce siècle, en soulignant d'emblée et trop exclusivement ces questions que son essai laissent ouvertes ? Je le regretterais. Ce philosophe et logicien finlandais, successeur à Cambridge de Wittgenstein, nous livre ici un témoignage passionnant par une sorte d'auto biographie riche de rencontres inattendues et de réflexions stimulantes sur nombre d'évènements qui ont jalonné la deuxième moitié du XX° Siècle.

De ce texte, von Wright nous dit qu'il est une sorte de postface à son ouvrage "Science et raison" . mais il ajoute qu' "il n'est pas de la science au sens rigoureux du terme" (p. 212). C'est cette restriction qui me chagrine : Devons nous nous résigner à etre "moins" rigoureux lorsque nous exerçons notre esprit à raisonner dans les affaires humaines que lorsque nous l'exerçons dans affaires de la science ? Qui donc dispose d'une échelle universelle de la parfaite rigueur, lui permettant de classer les raisonnements non pas par leur exercice intrinsèque, mais par leur domaine d'application ? La rigueur n'est-elle pas dans notre acharnement à "travailler à bien penser" (Pascal) ? On verra alors que les raisonnements cartésiens, tenus pour scientifiques, ne sont pas toujours très rigoureux sous la plume de Descartes !

J.L.Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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