Rédigée par Alain Lavallée, (Québec) sur l'ouvrage de BOUCHARD Gérard : |
« - Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, Essai d'histoire comparée » , éd. Boréal, Montréal, (2000), 503 pages. |
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Ne peut-on restituer une plus grande complexité à ce que l'on
nomme de manière un peu trop monolithique, l'Amérique? C'est
le projet que nous propose Gérard Bouchard par ses ouvrages et d'abord
par Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde, un ouvrage
qui a été couronné en novembre 2000 du prix littéraire
canadien le plus prestigieux, le Prix du Gouverneur Général
du Canada, catégorie essai. En cette période où
l'Europe se construit, où le mot mondialisation est sur toutes les
lèvres, ce livre pose un regard macroscopique sur les suites d'une
mondialisation enclenchée il y a cinq siècles lorsque les
monarchies européennes (France, Angleterre, Espagne, Portugal...)
ont entrepris d'essaimer dans le Nouveau Monde.
Dans cet essai, Bouchard tente de retracer la genèse des nations et
la formation des nouvelles identités au cours des siècles qui
ont suivi ces conquêtes et colonisations européennes. Il va
de soi qu'une place importante dans cet essai est consacrée au parcours
collectif ainsi qu'à l'imaginaire identitaire des descendants de ces
quelques 70 000 Français qui, au milieu du 18° siècle,
tissaient une Amérique franco-indienne. Grâce à leurs
alliances avec les peuples amérindiens, ils confinaient plus d'un
million et demi de colons anglais à un territoire compris entre
l'Atlantique et les Appalaches.
Afin d'éclairer l'itinéraire de cette collectivité
neuve qu'était la Nouvelle-France, Bouchard choisit de la placer
en parallèle avec les autres collectivités du Nouveau
Monde. Des chapitres sont consacrés aux parcours, faits de
continuité et de ruptures, des collectivités neuves
qui se sont constituées en Amérique Latine, suite aux
conquêtes des monarchies espagnoles et portugaises (Mexique,
Brésil...etc.), en Amérique anglo-saxonne (États-Unis
et Canada), etc. Comment se sont formées les consciences nationales,
les identités collectives? Quels rapports ont entretenus les descendants
européens et les autochtones, les élites et les classes populaires,
les élites locales et les élites métropolitaines? Comment
ont évolué les rapports entre ces collectivités neuves
et les autorités métropolitaines? " Comment pèse
et se transforme le lien colonial au fur et à mesure que s'affirment
les nouvelles identités continentales ? (p. 9) "
En comparant l'évolution de ces collectivités neuves
et le déploiement de leurs cultures nationales, il nous incite à
faire directement ou indirectement plusieurs constats, mais surtout, il trace
un portrait un peu plus complexe de ce que l'on nomme souvent l'Amérique,
comme s'il s'agissait d'une entité homogène. Il nous amène
à distinguer américanité et
américanisation.
L'américanisation consiste en une extension d'une culture
étatsunienne au-delà des frontières nationales des
États-Unis (valeurs, langue, produits culturels, mode de vie,
marchandisation). Elle invite à une homogénéisation
des modes de vie. L'idée d'américanité quant
à elle évoque à la fois convergences et divergences.
Convergences parce qu'au sein de ces sociétés se développe
de plus en plus le sentiment qu'une partie de leur identité réside
dans une appartenance à ce continent qu'elles partagent, les
Amériques. Convergences parce qu'américanité
rime en partie avec modernité et nation moderne. Dans le déploiement
de son regard macro-historique sur le Nouveau Monde, l'auteur constate
que la majorité des descendants de sociétés
européennes ont construit tout au long des 18è, 19è
et 20è siècles des nations souveraines dans le Nouveau
Monde (à l'exception du Québec et de Porto Rico). Il note
l'existence de cas de ruptures " inversées " (Cuba
et Haïti) où ce ne sont pas les descendants d'Européens
qui ont pris le pouvoir. Il écrit alors: " Il est remarquable
que, à aucun moment de son histoire, la volonté souverainiste
du Québec n'ait pu bénéficier d'appuis ou de
circonstances (...) " qui auraient pu l'amener à la formation
d'un état souverain.
Diversités aussi parce que cette idée
d'américanité réfère à
l'originalité des adaptations culturelles qui ont contribuées
à former les imaginaires identitaires des populations: le métissage
brésilien, l'indigénisme mexicain, l'équilibrisme canadien
(comment quitter graduellement l'empire britannique, sans rompre, tout en
se rapprochant des États-Unis sans s'américaniser), la valse
hésitation-distinction québécoise... Cette idée
d'américanité évoque la diversité parce
qu'elle nous rappelle que l'expression société
américaine ne devrait être utilisée qu'au pluriel
(sociétés américaines). Cette expression
réfère aujourd'hui à plus d'une trentaine de
sociétés nationales dont les parcours politiques sont faits
de continuités et de ruptures, et que la société
étatsunienne, malgré son importance et son influence, n'est
que l'une d'entre elles.
À la fin de son examen de ces itinéraires nationaux, il conclut
à la fois à la fragilité et à la flexibilité
des identités de ces nouvelles nations. Fragilité des
identités car elles ont un " passé relativement
court " et " elles ont été incapables d'imposer
à la diversité culturelle la vigueur d'une tradition et d'une
norme nationale (p. 395) ". En cela il rejoint Karl Deutsch qui,
en 1969 au moment de la décolonisation de l'Afrique, doutait que le
processus complexe de mobilisation sociale et d'assimilation culturelle qui
avait mis des siècles à produire les nations françaises
et anglaises puisse parvenir en une ou deux générations à
produire des identités nationales fortes en Afrique.
Flexibilité des identités, parce que " le doute qu'elles
ont toujours entretenu sur elles-mêmes y a créé des
conditions favorables aux compromis identitaires (p.395) ". Les
nations du Nouveau Monde font preuve de créativité.
Elles tentent de " concevoir des voies originales " afin
d'accommoder l'hétérogénéité de leurs
populations: métissage en Amérique latine, multiculturalisme
en Australie et au Canada anglophone, interculturalisme au Québec,
biculturalisme en Nouvelle-Zélande, etc. Le portrait tracé
permet de saisir la diversité des parcours identitaires et d'aller
au-delà de l'image homogénéisante de
l'américanisation.
Cette vaste fresque comparative nous invite à récuser une
thèse qui a eu beaucoup de succès dans les milieux intellectuels
américains, celle de l'exceptionnalisme américain,
" thèse en vertu de laquelle il est posé a priori que
ce pays diffère en tous points des autres; il s'y ajoute parfois
l'idée qu'il leur est carrément supérieur. (p
.47) " Il ne faut pas oublier que pendant que l'américanisation
progresse dans de nombreux pays, elle connaît des ratés aux
États-Unis. L'homogénéisation proposée par le
modèle d'un melting pot américanisant fait de moins
en moins recette auprès des récentes vagues d'immigrants. La
culture étatsunienne subit les influences de la culture mexicaine
et des autres cultures latino-américaines. Certains états
(Californie, Texas...) craignent une latinisation de la culture
étatsunienne. Même la nation étatsunienne a ses
fragilités et ses doutes.
Mais comment peut germer dans l'esprit d'un historien, l'idée d'un
projet aussi ambitieux: réaliser un essai d'histoire comparée
des américanités qui se sont construites au cours des siècles
qui ont suivi la rencontre des sociétés de l' Ancien Monde
européen et des populations autochtones du Nouveau Monde. Ce
projet lui est venu d'une recherche précédente. Historien
formé à l'histoire sociale dans l'esprit de l'historiographie
française de l'École des Annales, Gérard Bouchard
avait entrepris dès 1972, le projet de réaliser pour sa
région d'origine, le Saguenay (région du Moyen Nord du
Québec) une vaste enquête historique visant à comprendre
le changement social, plus précisément le passage d'une
société saguenéenne paysanne vers une société
moderne industrialisée. Dans cette recherche, Quelques arpents
d'Amérique (1996), alors qu'il cherchait les traces de filiations
coutumières françaises, il a découvert certaines facettes
de l'américanité.
Bouchard pensait disposer d'un sujet de rêve pour un historien. Il
pouvait espérer étudier tout le processus de peuplement de
cette région: sa genèse pionnière, son déploiement
et sa transformation. La région du Saguenay n'avait été
ouverte à la colonisation que vers 1840. Elle s'était
développée au sein d'un immense territoire amérindien,
contrôlé à ce moment-là par la Hudson Bay
Company. En rassemblant tous les fichiers d'état-civil, l'auteur
pouvait espérer réaliser une " histoire sociale
totale ". Il a donc entrepris la prise en compte de tout le processus
de colonisation et du peuplement de cette région pour la période
de 1838 à 1971. Cette tâche s'est avérée ardue.
Il a d'abord fallu monter un fichier (Balsac) contenant les 125 000
familles qui, à un moment ou un autre, ont vécu dans la
région du Saguenay (environ 700 000 actes de baptême, de mariage
et de sépulture ont été recensés et conciliés).
Afin de compléter ces données quantitatives du fichier
Balsac, il y a joint un corpus de 1500 entrevues (mémoires
d'anciens) menées auprès de 550 familles de la région.
Il y a aussi greffé des échantillons volumineux d'actes
notariés (donations, testaments, actes de vente, contrats de mariage,
etc.). Ces corpus lui ont permis de reconstituer la dynamique démographique
de reproduction, les itinéraires professionnels et migratoires des
familles dans la région. Il a pu établir les caractéristiques
démographiques, socioculturelles, économiques de cette
ruralité canadienne française qui s'établissait en milieu
forestier, puis oeuvrer à repérer les voies par lesquelles
des processus de transformation se sont immiscés dans les modes de
vie des habitants de cette région pionnière. Ces pionniers
se sont retrouvés de plus en plus insérés puis
intégrés aux dynamiques économiques, sociales et culturelles
interrégionales, nationales et internationales.
Il a dû s'entourer de chercheurs, participer à la mise sur pied
de centres de recherches, animer, diriger (centre SOREP, puis
IREP, Institut inter universitaire de Recherche sur les Populations).
Cette recherche pionnière a ouvert de nouvelles avenues
insoupçonnées... Au cours des deux décennies qu'il a
consacrées à cette recherche, il a dû établir
des procédures méthodologiques afin de traiter ce corpus
multidimensionnel qui lui permettait d'espérer réaliser une
histoire sociale totale. Cette approche historiographique l'a amené
à travailler avec des dizaines et des dizaines de variables
écologiques, démographiques, économiques, culturelles,
etc... afin de tenter de mesurer l'importance, l'influence de chacune de
ces variables sur la transformation du mode de vie de la population
saguenéenne.
La recherche progressant, il s'est retrouvé face à l'un des
problèmes que pose la complexité à la connaissance
analytique, le problème de " l'information infinie ".
Les années passées à traiter de multiples façons
ces données empiriques l'ont amené à conclure que
" le chercheur fait face au défi de rendre compte de l'ensemble
des changements survenus dans cette société paysanne depuis
le début du XXè siècle: changements dans la reproduction
démographique, le rapport à la terre, les modes de production
économique, la reproduction familiale, les modalités de l'alliance
matrimoniale, la solidarité communautaire, les pratiques
coutumières, l'alphabétisation, la vie religieuse.
Mais il faut qu'on en soit de nouveau prévenu: nous avons dû
renoncer à la quête d'un modèle simple à
géométrie séduisante, préférant sacrifier
à la complexité (p.469) ". Les interactions entre
ces multiples variables créent " une dynamique plutôt
imprévisible ". " Le changement social, pris dans
sa globalité, court sur plusieurs trames relativement indépendantes
à l'origine, mais qui en viennent à s'entrecroiser, à
mêler leurs efforts. C'est la logique de ces croisements qui est difficile
à expliciter: on est devant une structure de causalités à
plusieurs faces et à plusieurs vitesses qui dans l'ensemble doit beaucoup
aux hasards des conjonctures. (p. 470) ".
Comme l'écrivait Jean Marie Legay, cette complexité de nos
milieux de vie pose des problèmes à la causalité classique:
" il n'y a plus d'effet qui n'ait qu'une cause, et plus de cause
qui n'ait qu'un effet ". Une action posée dans un système
complexe engage un processus dynamique d'interactions, de rétroactions
dont il est impossible de calculer de manière précise le devenir.
Il nous faut alors renoncer à nos ambitions de réduire la
complexité à des causes singulières. Le chercheur peut
au mieux tenter de comprendre le système, retracer son évolution
globale. Face à une réalité qui apparaît
incompressible et imparfaitement explicable de manière analytique,
il y a lieu de recourir à des imageries, ou mieux à des
modélisations qui peuvent aider à saisir, à
appréhender les dynamiques évolutives du système
global.
Face à cette complexité inattendue, le sociologue et historien
conclut qu'après 1940, la société paysanne saguenéenne
" quitte ses retranchements et s'intègre pour de bon à
ces ensembles plus vastes que sont l'économie et la société
québécoises, canadiennes nord-américaines. (p.
470) " parce qu'elle était minée de l'intérieur
et de l'extérieur. Elle était coincée dans son milieu
spatial, écologique (saturation de l'espace agraire), ce qui
l'a amenée à réaménager son organisation
(réformer le système de reproduction familiale). De
plus, l'alphabétisation par de multiples voies finit par miner
la culture paysanne traditionnelle. Manière d'être et
manière de connaître et de se connaître sont
ébranlées. Sans oublier que ces nouvelles manières de
connaître, d'être, d'échanger, d'entrer en relation ont
de plus en plus pénétré ou transformé les milieux
nord-américains, canadiens et québécois. Les interactions
entre la population saguenéenne et l'extérieur se multipliant,
leur mode de vie économique, social, culturel s'en est trouvé
sapé.
De ses deux décennies consacrées à l'analyse du changement
social de cette région, Gérard Bouchard en a retenu la
complexité. Complexité de son déploiement temporel
(multiplicités, déphasages et rythmes différents des
transformations) ainsi que de son déploiement spatial et organisationnel.
Il a mis en évidence la difficulté de problématiser
ces jonctions, ces emboîtements d'une réalité sociale
locale avec des réalités plus vastes, la difficulté
de problématiser ces entités systémiques dont Yves Barel
disait qu'elles sont toujours constituées "d'autres
systèmes ".
Bouchard tire des conclusions méthodologiques lourdes de
conséquences pour l'historiographie française: " Quel
que soit le cadre spatial adopté (paroissial, régional, national),
si l'on voulait rendre compte correctement de la société à
l'étude dans une perspective de changement, il faudrait pouvoir postuler
qu'elle est une totalité. Or, nous savons bien que ce n'est pas vrai.
L'histoire sociale fait toujours face à des ensembles partiels qui
trouvent leurs compléments et leurs articulations dans des ensembles
plus vastes, selon des emboîtements difficiles à reconstituer.
Ainsi, la démarche de synthèse est sans cesse relancée
vers d'autres horizons. Il faut bien le reconnaître aussi: il y
a quelque chose de terriblement exigeant, sinon d'un peu chimérique,
dans le projet d'histoire sociale (au sens d'une histoire " totale ")
qui donna naissance en France à ce qu'il est maintenant convenu
d'appeler l'école des Annales. D'abord, parce qu'il faut disposer
d'une richesse de données exceptionnelles et d'une énorme
instrumentation pour reconstituer toutes les composantes du social; ensuite,
parce que la logique qui est censée ordonner les interactions entre
ces composantes relève peut-être autant du postulat que de la
véritable démonstration. (p. 473-474, nous
soulignons) "
Cette citation un peu longue, souligne bien les limites de la connaissance
analytique, et constate que l'espoir d'une démonstration indiscutable
est " un peu chimérique ". Bouchard prend acte de
la complexité des dynamiques socioculturelles et de leur déploiement
temporel. C'est alors qu'il entreprend d'ouvrir la science historique en
mettant en oeuvre une démarche comparative, ce qui nous vaudra sa
Génèse des Nations et cultures du Nouveau Monde (2000).
Au lieu de mettre le focus sur le lien entre une métropole et sa colonie,
l'approche comparative qu'il utilise favorise une certaine distance. Elle
permet de dégager une vision macroscopique de la dynamique des liens
de dépendance métropole-colonie (Angleterre-États-Unis,
Espagne-Mexique, Portugal-Brésil, Grande-Bretagne-Canada...), une
vision macroscopique du déploiement des dynamiques de continuité
ou de ruptures entre l'Ancien Monde et le Nouveau Monde.
Ce vaste projet d'histoire comparée est frère d'une pratique
de modélisation systémique. Bouchard construit une
" modélisation de la formation et de l'évolution des
collectivités neuves ainsi que des imaginaires collectifs (p.
74). " Il plaide pour la scientificité de cette démarche
en soulignant que la science n'est pas la quête d'une
" hypothétique neutralité ", ou la quête
d'une vérité historique et de sa promesse " jamais
tenue, impossible à tenir, d'une adéquation parfaite,
définitive et universelle entre les énoncés du chercheur
et la réalité (p.75) ". Une " connaissance
peut être dite scientifique uniquement en vertus des procédés
d'objectivation (relatifs à la collecte et au traitement des
données, à la construction des concepts, à la formulation
et l'évaluation des hypothèses...) qui président à
sa production "(p. 75). Ces procédés rigoureux
d'objectivation réfèrent " à une méthode
de construction de l'objet, et le savoir qui en résulte doit être
évalué en relation avec les règles commandant cette
opération (p. 75) ".
En milieu complexe, la multiplicité des acteurs, des variables, des
interactions directes et indirectes fait qu'une démonstration
systématique, une démonstration vraie hors de tout doute
raisonnable est hors de portée. Les itinéraires comparés,
les modèles et configurations dynamiques peuvent nous aider à
appréhender la réalité. À défaut de constituer
une démonstration, ils nous proposent une " monstration ".
Ils nous montrent un cadre construit qui peut servir à étayer
une argumentation, être soumis à des discussions, faire face
à des réfutations, susciter des délibérations.
Des constructions rigoureuses permettent de s'engager dans un processus
d'objectivation.
Bouchard a défini des concepts puis il les a argumentés: nations
et identités, américanisation et américanités,
mondialisation et fragilité des identités nationales. Il a
tracé des itinéraires nationaux puis il les a comparés.
Il en a fait des modèles de continuité ou de rupture. Il nous
convie maintenant à discuter de leurs mérites, de leurs
conséquences, il nous invite à en délibérer.
De la délibération peut naître des constructions, des
représentations plus éclairées de phénomènes
complexes, mais aussi des projets démocratiques. À sa
manière, il contribue au renouveau de la pratique de ces
épistémologies constructivistes qu'a bien présentées
Jean-Louis Le Moigne.
En terminant, étant donné l'ampleur des thèmes
abordés, cela va de soi que certains aspects ne sont qu'esquissés,
il nous semble malvenu de faire des remarques trop pointues. Néanmoins,
il est certain que certains concepts pourraient faire l'objet de discussions.
Par exemple, des historiens ou des anthropologues pourraient discuter la
distinction qu'il propose entre les concepts d'enclave coloniale et
de collectivité neuve dans sa Genèse des nations
(2000). Des échanges ont déjà cours ici sur le concept
d'américanité.
Si nous avions à faire une remarque elle irait dans le sens suivant.
Gérard Bouchard constate aujourd'hui que nombre de ces nations du
Nouveau Monde sont encore confrontées à une impasse
autochtone. Ces nations ont des difficultés à négocier
avec, ou à faire une place à ces populations (peuples, nations?)
qui ont longtemps été victimes d'injustices. Cette impasse
autochtone contribue à fragiliser leur identité nationale.
Si il pouvait aujourd'hui réécrire ses Quelques arpents
d' Amérique (1996), probablement qu'il y ajouterait quelques pages
sur les Amérindiens (Montagnais) qui vivaient sur les terres du Saguenay
bien avant la colonisation de 1830. Il ne faut pas oublier que dès
1580 le port naturel de Tadoussac situé à l'embouchure de la
rivière Saguenay servait de lieu de traite important pour le commerce
des fourrures. Les bandes de chasseurs montagnais allaient y échanger
les fruits de leurs activités contre des produits européens.
Puis au siècle suivant, quelques autres postes de traite ont jalonné
ce territoire. Les forêts boréale et laurentienne du Saguenay
étaient d'une certaine manière aménagées par
ces Amérindiens chasseurs, pêcheurs et cueilleurs. Avant 1840,
le territoire du Saguenay n'était pas un territoire inhabité.
Les premiers Saguenéens étaient Amérindiens.
Alain Lavallée, (Québec)
Fiche mise en ligne le 12/02/2003