Rédigée par André Demailly sur l'ouvrage de QUILICI Jean-François : |
« Cent ans d'ailes et de pneus" & "De la roue celte à l'aile en arc". » Revue Analyse de Systèmes, 26, n°1-2, Mars-Juin 2000 (revue du GITASS),69007 Lyon, ISSN 0242-7443, 86 pages. |
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La démarche de ce dernier est systémique à plus d'un
titre :
1) elle ne sépare pas le corps et l'esprit : le système humain est entièrement mobilisé pour capter, goûter et décoder les sensations que provoque tout déplacement dans un environnement donné.
2) elle ne sépare pas les mots et ces expériences intérieures, pas plus que les signes et leur objet : toute langue et tout système de notation recèlent des trésors de sapience (savoir + sagesse) qui nous sont légués par nos ancêtres.
3) elle ne sépare pas les artefacts humains et les produits de l'évolution naturelle : les uns s'inspirent des autres mais en révèlent aussi des aspects inaperçus ou étonnants.
4) elle ne sépare pas non plus les choix techniques et les orientations
sociales : l'inventeur individuel ou collectif propose mais la
société dispose et le jeu des hiérarchies en place
pèse souvent très lourd sur le destin d'une invention.
Elle est également systémique dans ce qu'elle se refuse à
conjoindre :
1) la technique n'est pas la science : l'une précède l'autre et l'alimente en questions fondamentales ; l'une et l'autre sont certes complémentaires mais cela ne signifie surtout pas que la technique soit subordonnée à la science ou qu'elle n'en soit qu'un domaine d'application.
2) le degré n'est pas le genre : trop de gens pressés se fixent
sur des améliorations en degré et ne voient littéralement
pas l'émergence ou les potentialités d'un nouveau genre
d'artefact.
3) la carte n'est pas le territoire ou la représentation ne reflète jamais totalement la réalité d'un système ; ce qui est encore plus vrai des représentations formalisées qui sacrifient souvent la richesse de la matière ou de la vie aux commodités du calcul.
4) la réflexion théorique n'équivaut pas et ne peut se substituer à l'humble observation phénoménologique : dans bien des cas, le petit détail d'un système naturel ou artificiel en action en dit long sur son architecture d'ensemble ou sa place dans une classification générale.
5) la fonction ne découle pas nécessairement de la composition
ou de l'agencement; et leurs rapports doivent toujours être mis en
relation avec l'environnement externe du système.
Au-delà de ces repères, Jean-François Quilici nous
ramène surtout aux richesses du concret et aux atouts de qui sait
s'en émerveiller et en saisir les potentialités. S'il attire
notre attention sur des objets techniques apparemment banals (une roue, un
pneu, une aile), c'est pour nous montrer que ces "pièces
détachées" font système avec l'ensemble du véhicule
et de son milieu porteur. Et contrairement aux grands penseurs qui soliloquent
avec des systèmes plus éthérés mais bien plus
muets, il se régale de voir ou d'entendre ses petits systèmes
"marcher"; et, si ceux-ci "ne marchent pas", il part aussitôt en
quête de solutions alternatives. Au passage, il égratigne bien
sûr ceux qui n'ont rien vu ou rien osé car, en bon
systémicien, il considère que les leçons de choses en
disent long sur les voies de la sagesse individuelle et collective : qui
trop embrasse les rouages de l'ascension sociale risque de mal étreindre
les processus bien plus subtils de la portance ou de la dérive...et
réciproquement....à ceci près que les plus sages ont
rarement l'occasion de s'exprimer et d'être entendus...
Dans un premier texte, intitulé "Cent ans d'ailes et de pneus", J.F.
Quilici prend prétexte du centenaire des Pneus Michelin et de
l'Aéro-club de France pour comparer l'évolution respective
des pneumatiques et des ailes. Il montre combien les problèmes de
liaison au sol et de déplacement dans l'air présentent de points
communs, en soulignant que les indéniables progrès dans la
manière de les poser et de les surmonter reposent souvent sur
l'exploitation de divers facteurs contingents par quelques individus
caractérisés, semble-t-il, par un mélange de
sérendipité (préparés à trouver sans vraiment
chercher) et de capacité "à passer du perçu au conçu"
ou à concrétiser celui-ci. Il insiste aussi sur le poids des
idées reçues, notamment dans le secteur aéronautique
où un genre dominant (architecture à deux appuis combinés
et vol par incidence) a longtemps occulté ou étouffé
d'autres solutions.
Dans le second texte, "De la roue celte à l'aile en arc", il reprend la même trame comparative en montrant que les progrès de la roue tendent vers un accroissement de la
compliance au sol. Passant à l'avion, il s'interroge sur ce qu'il
en serait d'une compliance de contact avec l'air. Il nous convie alors à
un remarquable exercice de conception "à haute voix" (ou pleines lignes)
qui part des limites du modèle classique pour évoquer les divers
avantages de solutions alternatives (aile libre, déformable et auto-stable
; pilotage par courbure), sans en cacher les zones d'incertitude ou le type
d'application (l'aviation légère).
Le lecteur, même s'il se sent peu concerné par le domaine aéronautique ou automobile, ne peut qu'être séduit et instruit par ces exemples de conception systémique "en train de se faire", qui ne cesse de jouer sur le rapport des formes et des milieux, des sensations intimes et des stimulations physiques, des mots et des choses. Et il en attendra impatiemment la suite (qui portera sans doute sur les voiles, les carènes et les rames) pour ressentir à nouveau le souffle d'une pensée authentique....
André Demailly
Fiche mise en ligne le 12/02/2003