Rédigée par BIAUSSER Evelyne sur l'ouvrage de TESTART Jacques et GODIN Christian : |
« Au Bazar du Vivant » Ed du Seuil, ISBN 2 02 051234 3, 2001, 150 pages. |
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" Bazar " où l'on voit Christian GODIN, philosophe, interroger Jacques TESTART, biologiste notamment connu pour avoir réussi le 1er bébé français par fécondation in vitro, dit " bébé-éprouvette ", sur ses positions de chercheur et de citoyen devant les avancées de la biotechnologie. Dans son rôle d'interviewer, le philosophe allume ici et là quelques phares propres à réveiller notre conscience dans la nébulosité envahissante de la soft éthique.
Jacques TESTART affiche sans aucune fuite des convictions fortes.
Contre le clonage et le diagnostic préimplantatoire (parce qu' outils de sélection eugénique), contre l'insémination avec donneur (parce que mensonge social et juridique), mais pour l'ICSI (injection de spermatozoïde dans un ovule) parce que véritable progrès facilitant la procréation sans nuire à l'éthique, sa position de chercheur est ferme : refuser que l'objet de la recherche soit en désaccord avec l'intelligence ou la survie de l'espèce.
Le biologiste lance alors une charge nourrie contre l'éthique " molle " du moment, contre-pouvoir trop faible à opposer aux vieux fantasmes collectifs que les biotechnologies font ressurgir : amélioration de la race, volonté de puissance, désir déique d'immortalité.
Son expérience dans le domaine de la fécondation animale, puis humaine, le porte aujourd'hui à une sévère critique, très argumentée, de la recherche en biologie moléculaire, génomique et médecine. Aux biotechnologies en effet, il reproche la perte de toute complexité. Perte de complexité dans l'objet même de leur recherche : le génome n'est qu'une analyse, gigantesque certes, mais attitude analytique seulement, qui ne conduit qu'à une " science d'ânes " ! (p 31) Perte de complexité aussi dans les méthodes et outils qu'elles utilisent : y a-t-il une seule réflexion épistémologique dessous l'utilisation de l'informatique mathématique au service de la biologie ?
Quant à l'enjeu social réel, il est le plus souvent camouflé : quiconque veut s'informer sur le sujet commence à comprendre que le souci humaniste des thérapies géniques est certes plus valorisant à dire que le réel enjeu boursier qui fera bientôt rage grâce à leur développement.
Et il sera difficile de lutter contre une appropriation du vivant si bien déguisée
Pour les auteurs, la médecine prédictive, vers laquelle on a commencé de s'acheminer, bien que parée de progrès scientifique et démocratique, n'apportera que l'inverse de ce qu'elle annonce : un renouveau d'élitisme et la mort de la diversité par la réduction de notre biotope. Comment, en effet, des normes édictées par quelques-uns (et qu'importe qu'ils soient chercheurs ) pourraient-elles supporter l'aléatoire jusqu'alors présent dans la construction de notre espèce ? Espèce que nous mettons en péril, par la confusion que nous faisons entre l'exploit et le besoin. Une grossesse à 70 ans est-elle nécessaire au progrès de l'espèce ?
C'est que la science, nous dit Christian GODIN, " est passée de la réponse aux besoins, à la réponse aux désirs, et maintenant à la réponse aux fantasmes. " (p 58)
Réponse à courte vue, ajoute Jacques TESTART, car dans les gènes qui nous paraissent à supprimer aujourd'hui, il y a peut-être ceux qui seront thérapeutiques pour les maladies de demain.
L'empire du " tout gène " , pseudo offensive du libéralisme scientifique éclairé, est en fait un retour au déterminisme à causalité simple et réductrice, que le grand public assimile, forcément, à la fatalité, à laquelle il ne demande qu'à remettre son destin, encore et toujours.
Que 99% de ses gènes soient communs avec le chimpanzé ne vient pas perturber l'hégémonie fantasmatique de ce nouveau Maître : le gène !
Non, le grand public n'est pas inquiet de cette prison dorée qu'on lui prépare en haut lieu scientifique, car il n'a pas compris encore que plus le milieu qu'on lui propose sera " rationnel ", et plus il ne pourra s'en échapper que dans l'excès inverse. " La rationalisation est la forme de délire opposée au délire de l'incohérence, mais plus difficile à déceler. Ainsi homo trop sapiens devient ipso facto, homo demens. " (Edgar MORIN, La Méthode, T. 5, p 109)
En dernier lieu, mais non le moindre, Jacques TESTART reproche aux Comités d'éthique de seulement " acclimater " les idées au départ propres à effrayer : moratoire, casuistique, mise à l'essai, ne sont que des responsabilités différées par des gens qui sont à la fois juges et parties, et ne peuvent, ne veulent, se décider à des choix fermes. Il ne sont guère soutenus dans leur tâche, il est vrai, car ils connaissent la pression des politiques et des media, dont la croyance peut passer d'une chose à son contraire (par exemple favorable ou non à la vivisection selon ses applications), en fonction du vent que l'on a intérêt à faire souffler. On est donc bien éloigné encore de l'éthique planétaire que souhaiterait le biologiste, antidote possible à l'erreur et l'illusion, ces deux gangrènes de l'esprit
Enfin s'interrogent les auteurs : comment le respect de la personne humaine, fondement de l'éthique, pourrait-il aussi fonder la biologie, alors que celle-ci l'ignore ?
En définitive, les convictions de Jacques TESTART- largement partagées par Christian GODIN- sont éminemment émouvantes. Loin de l'argumentation déshumanisée de la Raison seule, on sent qu'il les a construites avec ses naïvetés, ses frustrations, son intelligence et son honnêteté d'homme-chercheur, frottées au silex d'un quotidien sans facilités.
Et c'est de cet acquis expérientiel que naît cette interrogation fondamentale à partager : quels savoirs pour penser, faire et continuer à se respecter ?
Evelyne BIAUSSER
Fiche mise en ligne le 12/02/2003