Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par Frédérique Lerbet-Sereni sur l'ouvrage de TRICOIRE Bruno :
« La médiation sociale : le génie du " tiers " »
     Editions L'Harmattan, 2001, ISBN 2-7475-1970-8, 304 pages.
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC

Disons-le d'entrée : la question est politique et éthique. Comme toute entreprise de conceptualisation-modélisation d'une notion qui dit " l'autre ". Elle est donc aussi épistémologique. Ici, c'est dans un voyage en médiation que nous emmène Bruno Tricoire, son voyage, celui qu'il s'est concocté, d'expériences professionnelles (formateur-intervenant dans divers champs du travail social) en lectures assidues, de questionnements en modélisations. Pour des propositions souvent en contre-pied, parce que la complexité avance parfois mieux à rebrousse-poil ou de biais que linéairement droit devant soi.

Bruno Tricoire est un lecteur d'Alain Badiou. C'est (peut-être) son point d'ancrage, à partir duquel il fait jouer l'inter-multi-trans-disciplinarité,- qu'il suggère " indisciplinaire "-, à la mesure de sa très grande culture, quand le travail social se pense au croisement de toutes les sciences humaines. Alors le projet scientifique de modélisation se trouve enchevêtré au projet d'action concret de médiation, sans pour autant qu'ils se confondent, et le processus de modélisation, qu'une certaine narration peut satisfaire, est susceptible de devenir en lui-même médiateur, assurant des fonctions tierces variées. Ce qui suppose d'être en mesure d'élucider le paradigme de référence dans lequel se pense et s'actualise cette fonction tierce, et donc d'assumer la position épistémologique et éthique des herméneutiques ouvertes : l'indécidabilité avec laquelle il nous faut cependant décider ; la priorité de la question et l'obligation d'une réponse ; la force créatrice des possibles utopiques si l'on accepte l'engagement de les nommer, etc. Les chemins tentent de se rassembler en tableaux synthétiques : Tableau… " approximatif " des occurrences et modes de traitement du tiers (p.95), Des " modèles ", cartes, chemins et passages…vers d'autres versions de l'histoire (p.111), pour se mettre en scène, dans une seconde partie intitulée " Pragmaxiologies ", au travers de " cas " théoriquement et pratiquement travaillés. Alors, il devient possible de poser quelques pierres à l'édifice de Recherche du Tiers inclus , reconnu comme " épreuve du dilemme et création du sens ", parcours en " chemins d'utopie " (tableau synthétique p.270).

Cet ouvrage de Bruno Tricoire me parle tout particulièrement, puisqu'il poursuit une quête théorique, éthique et épistémologique semblable à la mienne : fonder une pensée et un agir du tiers-inclus qui renouvelle les assises des " métiers impossibles ", sans les laisser absolument s'abîmer dans l'indicible, le silence, et le seul " ressenti ", et sans, pour autant, croire à une possible transparence des acteurs, de leurs échanges, de leurs mondes communs et singuliers. Il est essentiel en réponse à tous les discours ordinaires qui prennent le mot pour la chose, et qui font de la médiation un terme magique et simple, qui devient alors empêchement de penser les difficultés et les potentialités fécondes qu'il porte en lui. Car il y a mille et une façons de faire tiers, chacune étant porteuse d'un projet politique singulier qui trouve sa validité en contexte, à condition que ce " faire tiers " soit interrogeable, et non plus seulement proclamé. Car l'intervention sociale n'est pas réductible à un geste technique appris, mais est bien l'incarnation, par un sujet, de sa vision du monde, de lui-même, de l'autre, des autres.

L'exigence éthique signifie alors, pour chaque professionnel du champ social, de s'appliquer pour lui-même à cette interrogation. Bruno Tricoire contribue là à donner des éléments majeurs pour que chacun mène à son compte ce questionnement, en même temps qu'il témoigne de la forme que cela peut prendre pour lui. Il montre ainsi qu'il y a bien des possibles dans l'impossible, ce que j'ai tenté d'aborder aussi en termes d'in-possible, possible fondé pour chacun dans/par sa propre intériorité. La médiation de deuxième ordre que développe avec force Bruno Tricoire s'approche de cela, mais peut-être sans y entrer tout à fait, hésitant entre le bien-fondé d'une " éthique de l'être " empruntée à M. Balmary (p. 236) et la nécessité de " surmonter le désordre unaire " en référence à D. R. Dufour (p. 249). En somme, si la question de la médiation se trouve ainsi clairement sortie de problèmes binaires qu'un tiers externe réparateur va résoudre, pour devenir une capacité à problématiser, en en passant par des tiers inclus ternaires qui permettent de reconnaître l'intermédiation propre à la médiation, c'est peut-être pour nous ouvrir maintenant à celle de l' " auto ", du " se ", et, donc de l' " in " comme " un ", celle de solitudes non solipsistes, dont le fond est horizon .

Frédérique Lerbet-Sereni

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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