Rédigée par JLM sur l'ouvrage de GERARD Christian & GILLIER Jean-Philippe (Coord.) : |
« Se former par la recherche en alternance » Ed. LHarmattan, 2002,ISBN 2-7475-1923-6, 274 pages |
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Voilà un livre fort original et consistant où se côtoient dans leur variété des façons dapprendre et de re-chercher, à la fois des apprentis, des formateurs, des ingénieurs et des chercheurs tous engagés, singulièrement, dans ce quil devient quasi banal de nommer lalternance en éducation. Tous engagés dans ce que les acteurs - auteurs de cet ouvrage désignent comme un double processus enchevêtré, la recherche et la production de savoirs, tendu entre des lieux distincts et rendus complémentaires que sont lécole et lentreprise. Un livre de plus sur lalternance, diront certains ! Certes, mais pas un livre tout à fait comme les autres, un livre original et différent , au moins pour trois raisons.
La première, dordre épistémologique, est à mon sens la plus importante. Ce livre est porteur dune idée qui mérite dêtre pensée dans tout acte de formation. LHomme, lêtre humain est responsable de sa pensée, de sa connaissance et de ce quil fait. Cette idée posée par E. Von Glaserfeld, (1988), dans linvention de la réalité, constitue une donnée fondamentale de la pensée constructiviste puisquelle prend à contre-pied une position plus couramment admise où la connaissance est considérée comme une réalité objective postulée indépendante du regard et de la conscience quen ont les apprenants et/ou les chercheurs. Dès lors, il sagit dans cet ouvrage, de concevoir la formation en alternance par et pour le sujet se formant, en prenant ses expériences, et le travail sur la valeur de ces expériences comme terreau de la formation. Ces conceptions de la formation ancrées dans « lingénium », cette étrange faculté de lesprit humain qui est de relier pour comprendre et pour faire, tendent à mettre le sujet humain en projet pour penser, rechercher, inventer ce quil est, à propos dobjets complexes : son histoire, son métier, ses actions, afin de connaître (co-naître). Ainsi, que ce soit pour lapprenant, le formateur, lingénieur ou le chercheur, lacte cognitif de concevoir sa formation relève de trois processus fondamentaux :
- il prend sa source dans lexpérience, conjonction de lacteur et de laction située dans le temps (sujet - objet - projet - trajet),
- il se raisonne par des heuristiques de recherches, raisonnements plausibles et convenables pour lacteur, laction, et lorganisation,
- il prend forme (formation) par des modélisations, cest à dire des productions de savoirs intentionnelles et contextualisées.
Ces trois grandes formes de processus à concevoir et à agir singulièrement, peuvent constituer des fondements pour des formations conçues et construites autour du triptyque : se former, par la recherche, en alternance. En cela, ce livre constitue un apport de premier ordre, puisquil tend à nous montrer comment et pourquoi ça marche, au moins du point de vue des acteurs concernés.
La seconde est dordre théorique. Ce livre nous conduit à penser lalternance dans ses rapports aux différentes formes de savoirs. Traditionnellement, le savoir formel, souvent théorique, constitue la référence à toute action de formation, mais on sait maintenant que ces rationalités appliquées ou conçues à priori, risquent de limiter le champ des actions et donc des significations possibles pour les sujets. Cet ouvrage nous montre dabord que lalternance conçue comme processeur et processus de recherche(s), fait exploser les conceptions plus classiques des rapports sociaux à la formation en redistribuant les cartes autour du « pouvoir de former » et du « pouvoir se former ». Ensuite, il nous conduit à reconnaître et à mettre en reliance la pluralité des formes de savoirs : informations, connaissances, compétences dès lors que ces formes de savoirs restent raisonnables, cest à dire quand elles engagent chez les sujets un vouloir, une situation et une décision ; ou encore, quand elles permettent au rationnel de devenir signifiant (raisonnable) et à la rationalité de devenir familière Que ces formes de savoirs restent aussi raisonnables dans lappréhension quon en fait, en évitant par exemple le piège de la transparence totale, ou du fantasme de maîtrise. Toute forme de rationalité à ses limites. Est-il possible par exemple, de rendre explicite, comment je my prends pour négocier un virage serré à bicyclette sans tomber, ni sortir de la route ? Quand bien même je peux le faire dune manière convenable, ni les théories, ni mes narrations, ni mes réflexions népuiseront les formes de rationalités à produire. Quand paradoxalement, faire, cest taire ! En revanche, celui qui re-cherche, quil soit apprenti, formateur ou chercheur (ou les trois à la fois), celui qui explore et tâtonne, qui admet quil ne sait pas faire (ou ne sait pas), devient celui qui est le plus apte à parler des savoirs et/ou compétences quil na pas, et devient ainsi apprenant-chercheur.
La troisième, est dordre pratique et opérationnelle. Ce livre nous incite à penser lalternance dans ce qui fait sa substance, cest à dire la rencontre de lautre (laltérité ), et de lautrement. Autres personnes, autres lieux, autres temps, autres savoirs, autres façons d apprendre Un bel exemple nous est fourni en ce sens par la rencontre dauteurs - acteurs écrivant lalternance chacun de son point de vue, mais avec en commun ses singularités dapprenant et de « chercheur de ce que je peux apprendre de lautre et de lautrement ». Ce grand principe peut constituer à lui seul un des fondements pour un développement de lautonomie et dune alternance à visage humain. Rappelons que lautonomie sacquiert de manière aléatoire par couplage entre les principes sélectifs de lêtre vivant et les éléments sélectionnés dans lenvironnement par échanges dénergie et dinformations. En effet, la capacité de lapprenant et/ou du chercheur à prendre en compte les différenciations, cest à dire la variété, lhétérogénéité dautres formes jusque là non repérables, et simultanément à transgresser la redondance interne, devient primordiale. Ces différenciations - appropriations permettent, à leur tour, en étant projetées sur lenvironnement, une nouvelle réorganisation interne et ainsi de suite. Voilà, en disant vite, comment on peut apprendre de, et dans lalternance, dès lors que lon adopte une posture de chercheur, ce que nous montrent de manière tout à fait convaincantes ces diverses et riches contributions.
Pour ces
trois raisons, bien que non suffisantes, ce livre peut ouvrir de multiples
voies aux apprenants, aux formateurs et aux concepteurs, mais aussi aux
chercheurs dans lalternance. Il contribue largement à la mise
en place dune théorie (mais aussi dune pratique), de la
formation pensée comme un équilibre
réfléchi entre lexigence duniversalité
( P. Ricoeur, 1990) et la
nécessaire cohésion systémique appartenant au
sujet se formant, construite entre expériences actions
connaissances, mises en recherches et modélisées
pour
concevoir sa formation
Jean Clénet
Fiche mise en ligne le 12/02/2003