Rédigée par J.L.Le Moigne sur l'ouvrage de MATHIEN Michel : |
« L'Information dans les conflits armés, du Golfe au Kosovo » Ed. L'Harmattan, Coll. Communication & Civilisation. 2001, ISBN 2 7475 1132 4, 526 pages |
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Est-ce seulement par curiosité gratuite ou hédoniste que tant d'êtres humains cherchent quotidiennement à "s'informer" des événements affectant leur planète "ici et maintenant", consacrant à cette activité une part importante de leur temps disponible et une part non négligeable de leurs budgets ? La question intrigue légitimement, d'autant plus que les effets induits par cette hypothétique curiosité collective, tant dans l'ordre politique que dans l'ordre économique, sont aujourd'hui manifestes.
Michel Mathien propose ici une autre réponse non moins plausible : "La fonction sociale première de l'information est la réduction de l'incertitude environnante " (p.26), et il va nous inviter à la considérer à partir d'une famille d'études de cas tous familiers pour ses lecteurs contemporains l'Information dans les conflits armés, du Golfe au Kosovo : Type de situations suscitant "anxiété, malaise, peur des lendemains, " qui vont "mettre à mal l'activité des professionnels de l'information que sont les journalistes et les responsables de la communication publique". Entre "l'information de guerre" et "les guerres de l'information (compétions entre les médias, propagandes etc..), le rapport est manifestement dialogique et récursif. Et l'information dans (et sur) les conflits armés contemporains devient un exceptionnel révélateur de l'extrême complexité de l'acte d'informer et de s'informer sur des événements dont on présume qu'ils sont riches de sens : Les "crises", et en particuliers les conflits armés, deviennent pour chaque informateur qui sait souvent mieux informer que s'informer, cet "ultime recours du lancinant désarroi des diagnostics et des pronostics", selon le mot d'Edgar Morin que cite judicieusement M.Mathien.
Il introduit pour illustrer l'argument et pour susciter les interactions innombrables qu'appelle notre intelligence collective de l'information médiatique, une collection d'études de cas, rédigées le plus souvent par des professionnels de l'information impliqués, souvent de prés, dans la production, le traitement et la critique de l'information dans et sur les conflits dits du Golfe et du Kosovo. (Ils étaient réunis à l'occasion d'un Colloque du Centre d'étude et de recherches interdisciplinaires sur les médias en Europe (CERIME), organisé à Strasbourg en mars 2000.)
Ce riche matériau empirique met les lecteurs devant la situation classique du journaliste d'investigation : Comment interpréter de façon fiable ces interprétations que chaque auteur a voulu fiable, mais dont nul ne sait évaluer la fiabilité ? Certes dans une solide et nutritive introduction, M.Mathien nous propose des clés de lectures qui aident le lecteur à organiser sa réflexion, mais les exercices de critique épistémiques internes de chaque récit restent difficiles. Chaque auteur expose, mais les auteurs ne délibèrent pas entre eux, ni avec leurs lecteurs, et la question initiale, sur laquelle les sciences de l'information et de la communication buttent encore n'est pas aisément discutée : Pourquoi les sociétés humais contemporaines consacrent-elle tant d'efforts à s'informer sur des événements et des crises qu'elles déclarent mériter attention, tout en sachant que la première victime d'une guerre est la vérité des informations qui la décrivent ?
C'est je crois un des mérites de ce dossier que de nous inciter collectivement à reprendre cette discussion épistémologique. L'étude de B Lang sur la question de la prédictivité des crises internationale en fournit une illustration encore timide mais bienvenue ("Épistémologie de la fonction prédictive appliquée au domaine socio politique" ). M. Mathien, en nous rappelant dés l'ouverture la formule souvent oubliée de R Escarpit, "la parfaite cohérence rationnelle est la négation même de l'information", souligne d'emblée ce défi épistémologique auquel les sciences contemporaines sont confrontées : aussi longtemps qu'elles feront du critère de cohérence formelle le seul et exclusif garant de leur légitimité socio-culturelle, elles s'interdisent de mettre à la disposition des citoyens bien des connaissances légitimes et fort rigoureusement argumentées. Les études que rassemblent cet ouvrage ne nous montrent elles pas que les sciences de l'information et de la communication peuvent désormais montrer l'exemple en restaurant "l'idéal de complexité de la science contemporaine : restituer aux phénomènes toutes leurs solidarités". L'appel de G. Bachelard à un "Nouvel Esprit Scientifique"et à "une épistémologie non-cartésienne" (1934), pourra alors être entendu : nous en avons tous tant besoin, et c'est un des grands mérites de ce livre nous permettant de réfléchir sur l'intelligible complexité de " l'Information dans les conflits armés contemporains " de nous le rappeler de façon fort pragmatique. Aussi longtemps que les journalistes ne s'attacheront pas à la critique épistémologique interne des informations qu'ils diffusent, comment les citoyens pourront-ils exercer leur intelligence ?
J.L.Le Moigne
Fiche mise en ligne le 17/02/2003