Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de DE ROSNAY, Joël : |
« L'homme symbietique ; regards sur le troisième millénaire » Editions du Seuil, Paris, 1995. 350 pages. |
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Par son titre, le dernier ouvrage de Joël de Rosnay se présente comme un essai de prospective optimiste qu'il faudrait donc ranger dans nos bibliothèques aux côtés de ceux de H. Kahn, d'A. Tofler ou de Th. Gaudin... Option que privilégieront à juste titre les lecteurs de la troisième partie (chapitre 5, 6, 7) "Vouloir l'avenir" (laquelle constitue près de la moitié du livre).
Pour l'originalité de son contenu, il faudrait plutôt le tenir pour une présentation richement documentée des nouvelles technologies de l'information que l'on pourrait qualifier de "cybiontique"; en référence à la théorie de "cybionte, organisme hybridebiologique et mécanique " par laquelle J. de Rosnay organise l'essentiel de son propos : les lecteurs de la fin de la première partie et de la seconde partie (chap 2, 3 4) privilégieront cette interprétation et sauront gré à l'auteur de la masse d'informations qu'il rassemble pour eux sur les développements en cours de l'éthologie entomologique, de la télé-vidéo-matique, de la biotique et de la néobiologie (ou vie artificielle), des technologies (en cours et en projet) qui en dérivent, et des fonctions de "laboratoires portables de simulation" que ces techniques permettent et vont permettre d'assurer.Cette seconde partie sert sans doute à illustrer localement la prospective de la troisième partie, mais elle ne lui est pas indispensable... et elle pourrait tout aussi bien illustrerdes essais de prospective "pessimiste" (c'est précisément pour proposer "au moins un" discours optimiste dans une ambiance trop souvent pleurnicharde que J. de Rosnay a écrit son livre !).
Par son projet enfin, tel qu'il apparaît dans le premier chapitre, ce livre voudrait être un ouvrage présentant "les nouvelles sciences de la complexité" (et, à ce titre il appartient à la bibliothèque que nous constituons collectivement sur ce thème). Peut-être parce qu'il réduit un peu trop systématiquement ces nouvelles sciences à la présentation pédagogique qu'il en donnait déjà il y a vingt ans dans "Le Macroscope", (en y ajoutant quelques pincées de théorie de l'auto-organisation et de théorie du chaos), ses lecteurs s'étonneront du caractère un peu trop exclusivement cybernétique (de premier ordre :"une seule finalité, le maintien de la structure", p. 38) de cette présentation. Présentée sur un ton un peu magistral (qui tranche avec le style très "personnalisé", à la première personne, du reste du livre), cette exposition théorique ne différencie pas assez ce qui relève de la métaphore commode, de l'hypothèse personnelle, et du discours épistémologiquement argumenté : sur le mode interrogatif du "que se passerait-il si... ?", le texte serait sans doute plus convaincant qu'il ne l'est sous le mode affirmatif, voire catégorique. Les "réserves" que l'on peut formuler en lisant ce chapitre n'affecteront guère il est vrai les interprétations que l'on pourra élaborer en lisant les suivants : il s'agit d'un essai personnel et nullement d'une thèse scientifique, un essai qui fourmille d'informations encore rarement rassemblées sous cette forme, et d'idées originales et souvent pertinentes ("apprendre l'homme à l'ordinateur" p. ex.), et qui est plus destiné à catalyser des réflexions qu'à proposer un modèle du "bon" troisième millénaire. Sera-t-il si important que l'homme développe une symbiose efficace avec ses ordinateurs ? Et s'il y parvenait, cette symbiose pourrait-elle être stable ? On est tenté de penser que ces questions sont plus complexes encore, et on remercie J. de Rosnay de nous inciter à les re-lancer, en regrettant peut-être son inattention fréquente aux bases épistémologiques de son propos : mais peut-on être "à la fois au four et aumoulin" ? : J'ai compté au moins quinze concepts "nouveaux" qu'il s'est attaché à former pour mieux "faire voir" son projet. Ainsi progressent les pionniers; à l'intendance épistémologique de suivre... lorsqu'ils repéreront un bon filon. Le risque du pionnier, lorsqu'il arrive "derrière" H. Von Foerster, J. Piaget, H.A. Simon ou E.Morin... est d'oublier qu'il a quelques devanciers qui ont parfois déjà jalonné les itinéraires : décrit-il un nouveau chemin, ou décrit-il différemment un chemin déjà repéré ?
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003