Rédigée par Philippe Boudon. sur l'ouvrage de HANROT Stéphane : |
« A la recherche de l'architecture, Essai d'épistémologie de la discipline et de la recherche architecturales » L'Harmattan, Paris, 2003, 252 p., ISBN 2-7475-2837-5. |
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En allant chercher chez Kandinsky un exergue qui est censé témoigner de la " base scientifique " de l'architecture, Stéphane Hanrot dévoile à son insu que les vocables " science ", " recherche ", " discipline " sont chez lui d'une grande extension malgré la scientificité " disciplinée " et le cadre épistémologique que son ouvrage prétend imposer.
Ce cas de la peinture permettra au lecteur d'en apprécier en raccourci l'épistémologie sous-jacente : " La peinture peut aussi être considérée comme une discipline. C'est un art qui est centré sur la production picturale et sur le développement de positions esthétiques et théoriques. La connaissance de la peinture, tant de sa production que de son activité, est développée par les peintres eux-mêmes, qui s'appliquent à soutenir et préciser les arguments et les moyens de leur uvre, et par ceux qui en font l'analyse : historiens, critiques, philosophes, théoriciens de l'art. Dans cette forme de recherche, des méthodes scientifiques peuvent être alors employées. Cette branche de la connaissance et ce domaine d'activité sont considérés comme matières d'enseignement et d'étude dans les petites classes jusque dans l'enseignement supérieur des universités comme des écoles d'art " (p. 48).
Si tout ceci, à une expression près que nous allons voir, est factuellement vrai et, sommes toutes, assez banal, la raison d'être de ce passage l'est moins. L'unité de ladite " discipline " que traduit l'expression " cette forme de recherche " - au singulier - procède de l'assimilation du travail du peintre, de celui du critique, de celui du philosophe, du théoricien de l'art à cette supposée même forme, gommant ainsi ce qui fait justement, à ma connaissance, que l'histoire est une discipline différente de celle du peintre laquelle est différente de celle du philosophe. Si le champ commun auxquel ont affaire ces représentants de diverses disciplines suppose qu'ils en partagent quelque connaissance empirique commune, on ne saurait assimiler leurs travaux à mon sens à une " même " forme de recherche et faire de la peinture elle-même une discipline hors d'un sens seulement artistique du terme. Si l'on admet ceci, l'objectif partagé et réitéré de l'auteur et de son préfacier de tenir l'architecture " aussi " pour une discipline au prétexte que la peinture en serait une tombe un peu à plat.
Car tout le problème du livre de Stéphane Hanrot est bien de vouloir faire de l'architecture une discipline, dont il s'assigne de décrire les champs d'une manière qui fait à la fois penser à Auguste Comte et à Vignole. Pour ce faire il ne veut rien omettre de ce qui a nom " architecture " ni d'un ensemble qui réunit architecture navale et architecture des ordinateurs en passant par l'architectonique de la raison pure de Kant.
Dans cette optique il est naturellement amené à se demander si la discipline qu'il postule résiderait dans l'architecturologie et l'écarte au motif qu'elle ne serait pas claire, étant brouillée en raison de son " appartenance " aux sciences de la conception. (p 76). Il est vrai que l'auteur ne semble pas partager le caractère inaugural, sur le plan épistémologique, de l'idée simonienne d'une nécessité de " sciences de la conception " et il livre par ailleurs un tableau qui à mes yeux rend effectivement l'architecturologie incompréhensible, en la mettant en (non)-rapport avec " architectonique ", " critiques ", " sciences humaines ", " architecte ", " vie " " usage ", " émotions ", " sciences humaines ", " sciences dures ", " arts plastiques ", " artisanat ", " ingénierie ", et enfin " autres disciplines ". L'extension d'une telle ambition, qui ne veut rien omettre de ce que touche l'architecture, n'a effectivement rien à voir avec le souci de focalisation de l'architecturologie sur la conception et sur la mesure qui en sont comme les deux postulats. Plutôt que de vouloir tout brasser et brasser le tout, l'architecturologie au contraire cherche travailler sur des questions précises là où certaines recherches en architecture ne veulent rien abandonner de ce qui a nom " architecture ". Or en se donnant un objet, au sens scientifique de ce terme, l'architecturologie se voit reprocher de ne pas avoir prise sur les objets architecturaux ! C'est là confondre objet scientifique et objet concret, qu'il soit naturel ou culturel.
Cette indifférence à la question de l'objet scientifique et même à celle de l'objet de recherche spécifique qui ne peut être confondu avec l'objet concret fût-il architectural, mène l'auteur à examiner indistinctement, pour les évaluer épistémologiquement suivant le cadre qu'il propose en l'empruntant essentiellement à Hempel, des textes aussi différents que le Modulor de Le Corbusier, New York delire de R. Koolhaas, les Pattern language de Ch. Alexander et De l'ilôt à la barre de J. Castex et Ph. Panerai. Seul ce dernier me semble être de l'ordre de la recherche et pouvoir, à ce titre, faire l'objet d'un examen épistémologique. Mais pourquoi donc les autres devraient-ils l'être ? L'attention que j'ai portée jadis au Modulor et que rejoint le propos de S. Hanrot a procédé de l'objet de questionnement de l'architecturologie, la mesure, mais Le Corbusier n'a pas, malgré sa visite à Einstein, la prétention de faire une recherche scientifique et ainsi il ne paraît pas devoir passer devant un tribunal épistémologique (le peu de cas qu'il fait des observations qu'il sollicite du mathématicien René Taton indique suffisamment que son " scientisme ", s'il existe, est tout relatif). Les Pattern language poursuivent de leur côté un but pratique plus que théorique. Quant à Rem Koolhaas il dit expressément ne pas faire de théorie. Si l'on admet la distinction entre théorie et doctrine, commune à A. Rénier et à S. Hanrot et à laquelle naturellemment j'adhère pour avoir moi-même douté du caractère " théorique " des " théories " d'architecture dès 1975, il ne me semble pas que la doctrine ait à relever d'une quelconque évaluation épistémologique, lorsqu'elle n'a pas, et c'est le cas le plus courant, de prétention à la connaissance ou à la scientificité. Seul l'ouvrage de J. Castex et Ph. Panerai mérite sans doute une attention épistémologique, mais j'imagine que les auteurs réagiront eux-mêmes à l'évaluation qui en est proposée.
Philippe Boudon.
Fiche mise en ligne le 17/02/2003