Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.-L. Le Moigne. sur l'ouvrage de VULLIERME Jean­Louis :
« Le Concept de Système Politique »
     Ed. PUF­ Paris 1989
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Peut-on penser séparément les notions de politique et de système ? Le politique n'est-il pas le lieu paradigmatique au sein duquel se nouent avec la plus forte intensité les couples matriciels de la modélisation systémique : le naturel et l'artificiel, la commande et l'autonomie, l'individu et la totalité, l'agrégat et la complexité, le savoir subjectif et l'objectivité... ? (p. 558).

La politique n'est pas simplement un système parmi une myriade d'autres, puisqu'il remplit une fonction primordiale, auprès de l'être sans lequel aucun système ne serait reconnu, à savoir l'homme... (p. 559).

A ces interrogations et à bien d'autres connexes qui passionnent les systémiciens au moins autant que les politistes, le monumental traité de J.-L. Vullierme va proposer, plus que des réponses, des instrumentations de recherche d'une richesse et d'une généralité exceptionnelles. D'autant plus exceptionnelles qu'elles apparaîtront souvent inattendues tant les rapports de la science politique et de la science des systèmes semblaient irrémédiablement condamnés à la sclérose depuis les tentatives tristement avortées des premiers politologues cybernéticiens nord-américains des années cinquante (K. Deutsch, D. Easton, T. Parson, G. Almond ... ). Le procès qu'en avait fait H. J. Metaxas en 1972 (publié en 1979, sous le titre Systémisme et Politique) était à juste titre tenu pour convaincant : il s'agissait sans doute plus de montrer les idéologies dissimulées dans un systémisme tenu pour une doctrine en "isme", que de discuter de la légitimité d'une science des systèmes et de sa pertinence pour la compréhension du politique. Mais le lecteur avait quelque peine alors à différencier la science des systèmes ou Systémique, des avatars idéologiques des systémismes (difficulté qui persiste encore aujourd'hui dans quelques cercles si l'on en juge par l'audience des textes d'E. Laszlo qui vantent un systémisme, vision nouvelle du monde (Pergamon Press, Paris, 1981).

Il reste que la première rencontre de la première systémique et de la Science Politique n'avait pas laissé de traces encourageantes ni pour l'une ni pour l'autre des deux disciplines. Depuis 30 ans, comme échaudés par cet échec, ni l'une ni l'autre n'avaient tenté de rapprochement sérieux, malgré l'évidence sensible du caractère systémique de la Politique. Les quelques chercheurs qui s'y étaient hasardés au début des années soixante-dix (J. W. Lapierre : L'analyse du système politique, P.U.F.-S.U.P., Paris, 1972; Ch. Roig: "La théorie générale des systèmes et ses perspectives de développement dans les sciences sociales ", Revue Française de Sociologie, 1970, p. 47-97; L. Spez: Critique de la Décision, A. Colin, Paris, 1974 ... ), concluaient par de solides appels à la prudence propres à décourager les deux parties!

Si bien que l'on vivait une situation paradoxale où la discipline qui aurait dû, presque par définition, contribuer de façon privilégiée aux développements de la systémique, était celle qui semblait le plus ostensiblement l'ignorer.

Au prix d'un travail considérable, enrichi par une vaste culture d'honnête homme du xxI' siècle, Jean-Louis Vullierme fait magistralement la preuve du caractère contingent et accidentel de cette bien inutile séparation; si la Science Politique a, aujourd'hui en particulier, grand besoin en effet de l'instrumentation conceptuelle que la systémique peut lui apporter, la Science des Systèmes, à son tour, trouve dans les questionnements contemporains de la science politique, des matériaux précieux pour son propre enrichissement et surtout pour la catalyse de sa propre épuration épistémologique.

Contribution d'autant plus pertinente pour la systémique qu'elle lui est donnée par surcroît : c'est un politiste (chercheur et enseignant en science politique, une "science recherchée, riche de 24 siècles d'une littérature abondante et souvent profonde " (p. 9) qui réfléchit, se documente et s'interroge sur " la valeur pour la pensée " d'une discipline qui veut " à toute force devenir scientifique au lieu de rester philosophique " (p. 11). Il ne cherche pas d'abord à enrichir la science des systèmes, mais à trouver " une nouvelle catégorie de sciences portant sur la modélisation " (p. 21).

" Auparavant, conclut-il, il n'y avait en fait de sciences de la modélisation, échappant par nature à la " régionalisation ", que la mathématique et la philosophie ... Le grand rêve de la Modernité fut de rendre mathématiques toutes les sciences sans exception et de réserver à la philosophie la spéculation sur la modélisation scientifique ... Les temps modernes s'achevèrent sans parvenir à réaliser ce rêve... Souvrit alors le territoire mixte des sciences sociales, dans lequel aucune des sciences ne se raccordait totalement ni à la philosophie, ni à la mathématique... Et la science politique devint pour ainsi dire le mixte de tous les mixtes " (p. 2).

Il en résulte une " dérive des continents scientifiques ", et une " bakanisation " de chacun des continents, qui affecta également les " sciences mathématisées " : fléau susceptible d'interdire à tout jamais l'unité de la connaissance" (p. 22). C'est ainsi, s'interrogeant, de discipline en discipline, sur le projet et la légitimité de la science politique, puis bientôt de toute discipline scientifique, que J.-L. Vullierme va réidentifier " une compréhension nouvelle de l'activité scientifique, appelant une modélisation renouvelée ". La " théorie des systèmes " devenant " science des systèmes " entre 1945 et 1975 sut " développer cette modélisation en cristallisant autour du petit nombre de concepts qui structuraient sa compréhension qu'elle importa d'abord de la cybernétique. La théorie des systèmes, n'ayant pas d'autre domaine d'objets assignables que la modélisation, prit ainsi le chemin d'une science de la modélisation, distincte de la philosophie, de la mathématique et des sciences dédoublées " (p. 22).

Voilà d'emblée la science des systèmes identifiée par son noyau le plus dur : elle n'est pas science regionale, elle est science de la modélisation. Cette pierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs est enfin retrouvée, et elle est la pierre d'angle. Par la richesse de sa culture philosophique comme par l'exigence de sa compréhension du politique et de la science politique, J.-L. Vullierme parvient à dégager, au terme d'une impressionnante immersion-imprégnation en systémique, mieux que bien des systémiciens issus des sciences sociales classiques, des sciences biologiques, des sciences de la nature et même des sciences de l'ingénierie, la forme de la pyramide systémique : " ordinairement une recherche scientifique prend la forme d'une pyramide renversée qui repose sur sa pointe, c'est-à-dire sur un problème très aigu dont la résolution débouche sur de vastes perspectives. En l'espèce, le contraire est vrai. Si pyramide il y a, elle, repose sur sa base ?... En sorte que l'on ne peut en attendre d'avantage que d'aboutir à une situation dans laquelle les problèmes pourront être reposés plutôt que résolus " (p. 37). Que cette base soit " le concept de système politique " ou le " concept de système en général " : la science des systèmes est science de la modélisation, ou des méthodes de modélisation. Il importe que ce soit la science politique, potentiellement, en effet la plus systémique de toutes les disciplines, qui re-décape ce message essentiel au moment où il disparaissait dans un brouillard verbal que vaporisent bien des discours qui s'afrirme systémique pour s'auto-assurer de leur propre modernité.

C'est en ce sens que la réflexion de J.-L. Vullierme sur le " concept de système politique " enrichit dès l'abord les développements contemporains de la systémique; en se proposant une compréhension épurée et en montrant que c'est sous sa forme paradigmatique la plus réfléchie (en passant de la " notion au concept de système ", selon la très heureuse argumentation qu'il propose au chapitre 1) qu'elle s'avère effectivement féconde. L'interprétation qu'il donne de " la déconvenue " tant des politistes que des systémiciens, lors du premier mariage de la science politique et de la science des systèmes dans les années cinquante, est à cet égard très convaincante (p. 22-23 en particulier).

S'étant aisément approprié ce référentiel paradigmatique qu'il maîtrise désormais avec brio, il va redérouler pour son propre compte, avec un plaisir manifeste la carte de la " première systémique " avant de proposer une contribution spécifique (consacrée à l'interaction spéculaire (p. 221-275) à la construction d'une " deuxième systémique " qu'au demeurant il différencie encore malaisément de la " seconde cybernétique "; difficulté compréhensible dans la mesure où la montée en puissance épistémologique de la systémique est aujourd'hui encore généralement perçue de façon effervescente et buissonnante plutôt que lisse et verticale.

Cette appropriation intelligente est si allègre qu'elle devient rassurante; il ne serait plus nécessaire de cautionner chaque proposition en la référant à ses fondateurs ; elle relèverait désormais du patrimoine culturel commun, une sorte de " Common Knowledge " qui serait universellement tenu pour " allant de soi " et que l'on ne rappellerait que pour mémoire, dans l'intention délibérée de le mettre au service de la modélisation du système politique et donc de la science politique? Optimisme que l'on tiendra sans doute pour prématuré, mais dont on ne saurait faire grief à l'auteur : sa propre conviction suscite souvent l'adhésion. Tout au plus regrettera-t-on qu'ayant pris le parti de minimiser à l'extrême les références aux travaux qui l'ont inspiré, il explicite surtout, par un paradoxe involontaire ceux qui n'ont affecté que marginalement ou incidemment la construction paradigmatique qu'il décrit. On devine les contraintes éditoriales usuelles qui expliquent ces silences, trop ostensibles pour être délibérés. (Il faut incidemment féliciter l'éditeur qui a su présenter ce gros traité sous la forme presque parfaite d'un manuel sans coquilles typographiques, sobre et relativement économique... dans sa catégorie : 240F.) Mais le résultat seul importe : le chapitre consacré à " la première science des systèmes et la théorie de la commande " (p. 89-120) constitue désormais un des exposés les plus achevés dont on dispose pour présenter la première systémique dans sa forme classique. La plupart des concepts essentiels, leur architecture et leur histoire y sont exposés de façon dense et en général suffisamment critique.

Il faut pourtant regretter que l'auteur ait, à son insu semble-t-il, restreint cet exposé à celui d'une première systémique trop strictement définie; en ne s'intéressant qu'à la seule généralisation bio-socio-anthropologique de la cybernétique, il " perd " le bénéfice de la contribution décisive du paradigme du " système de traitement de l'information " et de la " décision organisationnelle " à la systémique. En soulignant la pertinence de la critique de Cyert et March de la conception analytico-cybernétique de la Décision, critique qui date de 1963, il frôle sans la voir la contribution décisive de H. Simon et du paradigme du STI (lequel inspirait explicitement Cyert et March), à la science de systèmes. Inattention que paradoxalement, il rattrapera ultérieurement en consacrant, à la fin de la seconde partie une riche réflexion aux rapports difficiles du Politique et de l'Economique (p. 343-404). Il reconnaîtra alors la qualité et l'importance du paradigme de la modélisation procédurale de H. Simon, réflexion qui corrobore, il en convient volontiers, sa propre thèse sur la place originale de l'économique dans le système.politique et sur le statut épistémôlogique des relations entre la science économique et la science politique. Pour ce faire il se référera à la célèbre " Conférence Nobel " d'H. A. Simon, qui date de 1978, sans remarquer qu'elle n'est que l'explicitation, dans le langage usuel de l'économique, d'une problématique... systémique très réfléchie illustrée dans de nombreux domaines depuis 1945 au moins (et donc parallèle à celle de la cybernétique). Si bien que ce légitime développement sur le paradigme de la rationalité procédurale (ou du Système de Traitement de lInformation) va apparaître presqu'incongru au lecteur qui s'étonne de voir soudain apparaître un argument en effet essentiel pour l'intelligence du concept de système politique, qui pouvait être ignoré pour l'intelligence du concept de système.

Cette " défaillance " n'est en aucune façon propre à l'auteur : je reconnais volontiers que rares encore sont les systémiciens qui accordent aux paradigmes proposés par H. A . Simon l'importance qu'ils méritent pour l'intelligence de la systémique. On pourrait d'ailleurs faire la même observation en interrogeant les contributions à la systémique des paradigmes proposés par J. Piaget et G. Bateson : J.-L. Vullierme ne les mentionne que très incidemment (p. 190), comme des contributions " secondaires " à la deuxième systémique, loin derrière celles de la biologie interprétées par H. von Forester et F. Varela : sans noter l'importance que ces biologistes accordent, eux, depuis longtemps, aux paradigmes piageliens de l'épistémologie génétique.

Il faut je crois chercher dans cette inattention, dont les communautés de systémiciens sont plus responsables que celles des politistes, les difficultés qu'a rencontré J.-L. Vuillerme à présenter et surtout à interpréter la seconde science des systèmes au service de la science politique (des politistes lui reprocheront sans doute d'avoir réduit à la portion congrue une dizaine de lignes en conclusion générale, la discussion de " l'ingénieuse adaptation du modèle de l'autopoïese proposée par le sociologue N. Luhmann", (p. 575) par exemple, alors qu'elle est usuellement présentée comme un prototype original et prometteur de la modélisation des systèmes politiques).

Ce diagnostic d'une possible insuffisance locale ne rend que plus enthousiaste l'appréciation de la performance globale : le concept de système politique est désormais, pour quiconque a lu le traité de J.-L. Vullierme un concept dense, solide, argumenté et surtout instrumentable. La science politique redevient apte à opérer des ingénieries sociales (p. 15). Elle autorise une compréhension du " ce sur quoi " un modèle est à établir et des déterminations du " comment " il peut être élaboré (p. 23). Que la modélisation systémique incite le politiste à relire Aristote plutôt qu'A. Comte et à nous enrichir, ô combien, de ses réflexions, me semble constituer un des beaux satisfecit dont nos disciplines puissent rêver ! Je présume que les prochaines générations d'étudiants en sciences politiques, et je le suggère, plus généralement les étudiants, en sciences sociales, trouveront dans le traité de J.-L. Vullierme le manuel de base sur lequel ils pourront développer leur culture. Cette pyramide est, à leur intention, posée sur sa base plutôt que sur une pointe qui les spécialiserait prématurément en " sciences politiques ". Et je fais le voeu que leurs enseignants fassent eux aussi, du concept de Système politique ainsi reconstruit dans nos cultures contemporaines, le socle épistémologique par lequel nos multiples disciplines sauront et pourront communiquer.

Socle épistémologique qu'il faut vouloir sans cesse inachevé. Parmi les veines que J.-L. VuIlierme propose d'explorer désormais, " maintenant que la systémique s'est ... dégagée du stade primitif qui était le sien quand l'analyse politique commença à s'en inspirer..., en s'orientant vers une théorie de la complexité ... et la notion de système auto-observant ... " (p. 509), je suggère de reprendre le débat sur les épistémologies de la science politique et de la science des systèmes. Faut-il postuler quelques " conditions ontologiques de la science " (p. 563) voir une " ontologie du politique "? Peut-on éviter une remise en question des épistémologistes positivistes en se contentant d'allusions désapprobatrices à l'encontre un " positivisme dans ses versions les plus bornées " (p. 562) ? Existe-t-il des versions non trop bornées du positivisme ? Je suis de plus en plus tenté de répondre non, dès lors que l'enjeu est celui de la modélisation d'un système complexe ; et de proposer la réformation d'une épistémologie constructiviste qui n'implique nulle ontologie essentielle. A ces questions J.-L. Vullierme ne propose pas de réponse explicite mais un détour intéressant par l'hypothèse d'une " précompréhension du monde de la vie " (p. 17), préalable inné (ou positif ?) en quelque sorte, à partir duquel se développerait, par construction cognitive, une compréhension (modélisation-théorisation) du monde qui définirait l'activité même de la science. Quelle épistémologie et quelle axiomatique, dès lors, légitimeraient les connaissances enseignables (les compréhensions) ainsi engendrées ?

Comme les sciences de la cognition, la science politique et la science des systèmes ne devraient-elles pas se déclarer, loyalement, " interdites aux épistémologies positivistes " (fussent-elles post-néo-positivisme) et donc ouvertes aux épistémologies constructivistes. Lesquelles sont peut-être, par construction, en constiuction ?

Interpellations délibérément provoquantes, qui ne visent, on l'a compris qu'à passionner assez le débat. Car le concept de système politique, les thèses qu'il développe et les questions qu'il pose, sont aujourd'hui passionnants pour quinconque s'efforce de raison garder dans les complexités multiples par lesquelles nous percevons nos rapports au monde de la vie.

Mon vif intérêt pour cette contribution majeure aux sciences sociales et à la science des systèmes est sans doute avivé par le fait que sa lecture succède celle de deux autres ouvrages dont le projet peut être tenu pour fort voisin de celui du traité de J.-L. Vullierme : l'une et l'autre, poursuivies également avec un vif intérêt, m'avaient presque convaincu de la nécessité pour les sciences sociales et pour les sciences de l'ingénierie contemporaines, de la vaste et solide discussion des concepts de systèmes politiques, sociaux, juridiques, anthropologiques ... qu'enfin nous propose J.-L. Vullierme. Le premier ouvrage (M. Van de Kerchove et F. Ost : Le Système Juridique entre ordre et désordre, P.U.F., Paris, 1988)interroge le concept de système juridique, en annonçant explicitement son hypothèse : " la théorie contemporaine des systèmes est susceptible de jeter un éclairage nouveau sur les interrogations traditionnelles concernant la nature systémique du droit : le droit constitue-t-il un système " ouvert " ou " fermé " " auto " ou "hétéro-régulé ", immobile ou évolutif ? "

Etude vivante qui, à bien des titres, intéressera les juristes qui y retrouveront la plupart de leurs références familières. Mais on reste au sein de la science du droit entendu comme une discipline régionale : " en quel sens précis le droit est-il système ? Voilà la question centrale ". Il reste à définir la " notion de système " (et pas, hélas, " le concept ") par un ensemble d'éléments (chap. 2) en relations mutuelles (chap. 3), structuré dans un environnement (chap. 4) et évoluant au fil du temps (chap. 5), pour disposer d'une grille commode pour " décrire " le droit Chemin faisant, les auteurs découvrent et interprètent sommairement la théorie varélienne de la clôture opérationnelle exploitée par N. Luhmann, ce qui leur permet de faire redécouvrir aux juristes que " tout ordre ne peut s'établir qu'au prix d'un certain désordre " (p. 240). Mais le temps de la méditation sur les fondements épistémomogiques de la modélisation systémique leur a manqué et leur présentation du système juridique est pour l'essentiel une analyse de l'objet juridique et une discussion documentée des théories (analytico-positivistes) qui participent aujourd'hui à la définition du droit. Je crois qu'après avoir découvert les chapitres que J.-L. Vuillerme consacre à la présentation de la modélisation systémique et les premiers tomes de " la Méthode " d'E. Morin, ils pourront reprendre leur projet de façon originale, en lui apportant la valeur ajoutée d'une modélisation systémique. Et si d'autres chercheurs se lancent dans l'entreprise, ils bénéficieront du matériau déjà rassemblé par les courageux auteurs du " système juridique ".

Le second ouvrage (N.Rouland, Anthropologie juridique, PUF, 1988) ne prétend pas interroger le caractère systémique de la science juridique : son projet, au coeur des sciences sociales, est délibérément trandisciplinaire : il s'agit de susciter une anthropologie juridique qui ne se réduise pas à la philosophie du droit ou à la sociologie juridique. Entreprise courageuse et remarquablement argumentée, qui risque de ne rencontrer que lentement, l'audience qu'elle mérite : les pionniers de la trandisciplinarité sont habituellement tenus pour des marginaux par les tenants de chacune des disciplines d'appui ! En progressant dans sa lecture, je prenais conscience de l'économie cognitive que devrait permettre aux entreprises d'interfaces de ce type, la pratique d'un référentiel systémique commun. Non seulement par la commodité de l'usage d'un même concept de système, mais aussi par la nécessité d'une explicitation épistémologique qui " libère " la réflexion du carcan positiviste. Car faut-il le souligner, le positivisme définit une classification immuable des disciplines qui interdit les interdisciplinarités et afortiori la trandisciplinarité.

Ces deux exemples ne suffiront sans doute pas à convaincre le lecteur de la pertinence du traité de J.-L. Vullierme. Mais on m'accordera qu'à tout le moins ils corroborent l'argument : la modélisation systémique des phénomènes sociaux est aujourd'hui une action intelligente.

J.-L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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