Rédigée par JLM sur l'ouvrage de DILLON, J.T. (Ed.) : |
« Deliberation in education and society » Alex Pub. Corp., Norwood N.J., 1994. 268 pages. |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
Allons-nous enfin produire collectivement une théorie enseignable et praticable de la délibération, ce mode le plus judicieux de détermination de l'action collective ? Depuis "L'Ethique à Nicomaque" la pensée humaine n'a guère exploré les ressources pourtant fascinantes de la délibération, s'attachant à l'inverse à élaborer d'autres formes de décisions beaucoup moins satisfaisantes dans leur principe au moins. On a raison deciter J. Dewey, qui, restaurant le pragmatisme, nous rappela les vertus oubliées de la délibération, mais qui, en Europe au moins, lit sérieusement l'oeuvre de J. Dewey malgré sa manifeste pertinence pour le citoyen contemporain ? Ce sera le premier mérite de J.T. Dillon que d'avoir accepté de s'étonner de tant d'inattention, et d'avoir courageusement proposé de "mettre l'ouvrage sur le métier". Le second sera d'avoir fait appel au concours de quelques praticiens expérimentés qui acceptent, autour de lui, de tenter de transformer leur expérience en science. (Parmi eux, D. Génelot, qui assurera, trop seul hélas, le rappel de la "complexité de la délibération", irréductible à une théorie finie ou fermée). Il faut insister sur ces mérites plutôt que sur les quelques regrets que suscite le constat de l'incomplétude du propos de J. Dillon et de la plupart de ses coauteurs : en ignorant que la délibération se construit dans l'interaction cognitive complexe de l'invention des fins par le choix des moyens et de l'invention des moyens par le choix des fins, ils semblent souvent la réduire à un processus linéaire et normable, un jeu dont il suffirait de respecter les règles pour qu'il se joue lui-même, sans gagnant ni perdant. Critique un peu injuste, objecteront les auteurs qui feront valoir la difficulté qu'il y a à présenter et à enseigner de tels raisonnements récursifs : j'en conviens avec eux, mais je persiste à penser que l'on pourra avancer dans cette difficulté en reprenant les réflexions de W. James, de J. Dewey et d'H.A. Simon sur "la rationalité délibératrice" : la parabole du comportement du peintre "tâtonnant" devant sa toile presque inachevée, si bien évoquée par H.A. Simon, illustre me semble-t-il ce propos.
Mais l'important est que "la théorie de la délibération" soit à nouveau inscrite dans nos programmes de recherche : le chapitre de D. Génelot ("Le monde complexe de la délibération"), nous montre, s'il en était besoin, que la délibération est au coeur des stratégies intelligentes en situation perçue complexe, et donc de "la modélisation de la complexité".
JLM
Fiche mise en ligne le 12/02/2003