Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de GALLOUJ Faïz : |
« Economie de l'innovation dans les services » Ed. L'Harmattan. Paris. 1994. 256 pages. |
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Sur l'économie de l'innovation, il existe, depuis Schumpeter (1912) une impressionnante littérature, qui concerne pour l'essentiel l'innovation technologique ou industrielle. L'innovation est-elle la cause ou la conséquence de l'activité économique, mille experts en débattent, préférant souvent qu'elle soit la cause (le déterminant) sans doute pour satisfaire l'ego des techniciens, des ingénieurs, et des scientifiques qu itrouvent ainsi une belle justification sociale ?
Sur l'économie des services, la littérature est moins abondante et beaucoup plus récente (une quinzaine d'années) et elle se consacra longtemps à l'étude des services considérés comme des "sous-produits", ou comme un cas particulier des produits tertiaires. En France, c'est principalement une équipe lilloise animée par J. Gadrey, à laquelle F.Gallouj appartient, que l'on doit les premiers travaux sur l'économie des services en tant que tels. Cf., dans le Cahier des Lectures MCX de la Lettre MCX n- 19, nov. 93, une note de lecture du livre de J. Gadrey, 1992).
On est dès lors tenté d'appliquer l'économie de l'innovation (... technologique) à l'économie des services (... organisationnels ou inforrnationnels) et de s'interroger sur la pertinence de cette application : c'est ce que fait avec brio F. Gallouj, pour conclure que cette pertinence est bien faible... et que le service que peut rendre l'économie des services à l'économie de l'innovation est de la sortir de son paradigme technologique traditionnel. Ce qui conduira à considérer l'innovation autrement.
Autrement, c'est-à-dire comme un processus multidimensionnel complexe, irréductibleà un modèle fini. Ce que pressent F. Gallouj, au terme d'une analyse scrupuleuse des publications sur ces thèmes et d'une longue série d'entretiens dans des entreprises de service "pures", les sociétés de conseil. Il le pressent mais il n'ose l'avouer, si bien qu'il présente son projet dans des termes bien ambitieux : "Notre objet ici est la construction d'un modèle explicatif général des différentes dimensions et caractéristiques de l'environnement (dans un sens très large) en tant que déterminant de l'innovation dans les activités de conseil" (p. 189). Modèle explicatif qui se réduit en peau de chagrin aufur et à mesure de sa construction, pour nous conduire à une conclusion modeste "l'innovation est liée à la capacité d'écoute (et parfois de reconstruction) de ces différents niveaux du "besoin"" (p. 208). Il paye sans doute ici le prix de "l'analytisme" et du "déterminisme" auquel, explicitement, il a voulu se référer. Pour son lecteur, il s'agit d'une très dense synthèse qui intéressera souvent les responsables de sociétés de conseil, et qui servira certainement d'excellente base de départ critique pour de futurs travaux sur ce thème. Mais il leur faudra être plus délibérément systémique, en assumant la conjonction des complexités des processus d'innovation et des phénomènes de prestations de service, qu'ils soient marchands ou solidarisant ("Service public").
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003