Rédigée par JLM sur l'ouvrage de NICOLIS Grégoire et PRIGOGINE Ilya : |
« A la rencontre du Complexe » Traduit de l'anglais (1989) sous la direction de J. Chanu, P.U.F. Paris, 1992. |
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"Cette monographie est consacrée à une courte introduction aux méthodes inventées au cours des dernières décennies afin d'explorer la complexité, qu'il s'agisse du niveau des molécules, de celui des systèmes biologiques ou méme de celui des systèmes sociaux. Nous insisterons sur le rôle joué par deux disciplines qui ont bouleversé dramatiquement notre point de vue sur la complexité : la physique du non-équilibre... et la théorie moderne des systèmes dynamiques..." (p.4). Le projet d'I. Prigogine et de G.Nicolis est explicitement campé dès les premières pages de ce nouveau manifeste des sciences de la complexité, un manifeste écrit par des physico-chimistes éminents et publié, signe des temps, dans l'austère collection "Philosophique d'aujourd'hui".
Il y a sans doute un peu d'exagération dans la formulation : ce ne sont pas "les" nouvelles méthodes d'études de la complexité, mais "quelques" méthodes, celles mises en évidence par la théorie des bifurcations (ou des structures dissipatives) et par la théorie de la dynamique des systèmes non linéaires (ou du chaos), qui vont être ici présentées, justifiées, et illustrées grâce à un effort pédagogique courageux. En consacrant leur chapitre deux au "Vocabulaire de la complexité", les auteurs vont à la fois enrichir la discipline... et inquiéter les chercheurs et les praticiens soucieux avec eux de "comprendre" (plutôt que d'expliquer) "l'environnement dans lequel nous vivons" (p. 4). Il est bien sûr d'autres concepts que ceux de conservation et de dissipation, d'équilibre et de rétroaction, de bifurcation et de corrélation, auxquels les nouvelles sciences de la complexité font aujourd'hui appel. Mais ils nous rendent un excellent service en nous permettant de mieux entendre et de discuter avec plus de soin ceux que nous livre l'expérience désormais centenaire de la Thermodynamique, de Boltman à Prigogine ; et en nous délivrant ainsi de l'oppression simplificatrice de l'interprétation classique du "deuxième principe" : "un des thèmes répétitifs de ce livre est que la production d'entropie implique à la fois ordre et désordre avec la dualité complice de notre univers" (p. 362). Cet "à la fois" ne va-t-il pas s'avérer l'argument constitutif des sciences de la complexité, redécouvrant que l'important est dans la conjonction et non plus dans la disjonction cartésienne ?
Il ne semble pas que les animateurs de "l'Ecole de Bruxelles" introduisent par ce livrede nouveaux "résultats". La plupart des arguments qu'ils développent se fondent sur le paradigme prigoginien de l'irréversibilité, qui constitue sans doute un des grands acquis scientifiques de ce demi-siècle. Malgré une très timide allusion (p. 305), ils ne le reconsidèrent toujours pas à la lumière du paradigme de la téléologie systémique, pourtant si manifestement connexe du paradigme d'irréversibilité (entre Hasard et Nécessité, ne peut-on concevoir le Projet ? : quelle finalité peut orienter ce mystérieux "optimum global" des sociétés humaines ?). On peut même penser qu'ils ont tenté cette synthèse de leur contribution pour rappeler leur rôle dans l'essor contemporain des nouvelles sciences. Certains silences sur les contributions connexes de R. Thom, de H.Atlan, de H. Von Foerster, d'E. Morin etc... sont sans doute trop insistants pour n'être pas délibérés : mais il est bien difficile pour un chercheur de communiquer avec ses pairs et d'avoir conscience de la complexité de cette communication. Et je présume qu'I.Prigogine a été plus d'une fois excédé par l'injustice de certaines attaques ou de certains silences ! Pour ses lecteurs légitimement peu attentifs à ces contingences académiques, l'important est ailleurs : dans cette synthèse de quelques-uns des concepts tels que l'entropie ou le chaos que l'on manipule habituellement avec inquiétude, tant les conditions épistémologiques de leur interprétation sont habituellement ignorées. Sans doute faudra-t-il rester prudent dans leur bon usage, mais l'exercice devient un peu moins risqué après cette "rencontre du complexe", une rencontre qui est aussi celle de "l'essentiellement imprévisible". Paul Valery le soulignait et j'ai retrouvé avec intérêt cette même conclusion sous la plume de G. Nicolis et d'I. Prigogine (p. 162).
Fiche mise en ligne le 12/02/2003