Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Sandrine Raynard sur l'ouvrage de GOLDFINGER Charles :
« L'utile et le futile; l'économie de l'immatériel »
     , Editions Odile Jacob, Paris, 1994. 622 p.

Le Cahier des Lectures MCX a reçu deux notes de lecture de l'ouvrage de Ch. Goldfinger. Bien qu'elles ne proposent pas des commentaires de fond très différents, il nous a semblé légitime d'appliquer notre règle du jeu rédactionnel et de publier les deux textes qui proposent deux registres de lecture de ce même ouvrage.


Pour nous entretenir de l'économie de l'immatériel, faut-il un si volumineux matériel ? : 622 pages... Il est vrai que, le titre l'annonce, l'utile y voisine le futile, (joli mot, n'est-il pas vrai, en français au moins ?), et l'académique y voisine l'anecdotique. L'auteur a un manifeste talent de journaliste de magazine économique et il sait faire voisiner la caution académique rassurante (G. Becker, O. Williamson... !) et les potins du monde du grand business (le golden boy M. Milken en prison !); mais l'exercice littéraire intéressera-t-il ses lecteurs attirés par le sous-titre de son livre : "L'Economie de l'lmmatériel" ? : N'est-ce pas là un des thèmes les plus pertinents pour la recherche en économie à la fin du XXe siècle ? En lisant la dernière phrase du livre, on peut craindre que ces lecteurs ne se sentent quelque peu floués de leur gros effort de lecture : "C'est bien l'approche conceptuelle d'ensemble, tant au niveau de l'entreprise qu'à celui de l'économie nationale et internationale, qui reste déficiente. Il faut changer la perception de ce qui constitue le coeur de l'économie moderne". Le point est le point final. J'ai présumé un instant que l'éditeur, excédé par la lourdeur de ce pavé, avait coupé un ultime développement, qui nous aurait dit enfin par quoi il fallait "remplacer cette approche conceptuelle de l'économie" présumée déficiente. Mais en reprenant l'ouvrage, je crois que j'aurais fait un procès d'intention injuste à l'éditeur : l'auteur ne répond pas (ou pas encore ?) parce qu'il ne sait pas quoi répondre. Son diagnostic, intuitif dans sa méthode s'expose en un long document, difficile à interpréter car il ne porte pas en lui-même ses boucles de critiques internes, et ne conduit à aucune prescription : changer pour changer, le remède serait pire que le mal, si mal il y a ! Diagnostic qui dissimule mal les a priori idéologiques de l'auteur : en ne se référant par exemple qu'au physicien M. Gell-Man qui écrit que "derrière la complexité apparente se cache la simplicité profonde", (p. 581) n'incite-t-il pas son lecteur à ignorer tant d'autres chercheurs non moins attachants, qui soutiennent que "la pensée scientifique contemporaine essaye de lire le complexe sous l'apparence simple fournie par les phénomènes compensés" (G. Bachelard, 1934, p. 143) ?

Que ce désappointement d'un lecteur qui,  par le titre alléché, demandait à ce gros ouvrage plus qu'il ne pouvait donner, ne dissuade pourtant pas les chercheurs attentifs à l'étonnante émergence d'une "nouvelle économie" (qui n'est peut-être ni immatérielle, ni futile) d'engranger ce livre dans leur bibliothèque spécialisée : il est révélateur de la pauvreté des cadres conceptuels dont disposent aujourd'hui nos sociétés pour "se repérer", et il fournit bon nombre d'indications et de références (insuffisamment critiques hélas) qui aideront les prochains explorateurs à établir leur carte des territoires de "l'utile et du futile".


JLM

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"L'utile et le futile"... Serait-ce un ouvrage qui commente, voire critique la théorie économique de l'utilité ?, ou bien un ouvrage qui décrit, voire dénonce la société de consommation ? Pas vraiment, puisque à travers ce titre, Charles Goldfinger, consultant en stratégie, a tenté de représenter ce qui apparaît "irreprésentable" en science séconomiques : les immatériels. Ce concept ne se limite pas aux services, d'ailleurs souvent confondus et fondus dans un même ensemble "les biens et services". Les immatériels sont en effet différenciables, puisque n'obéissant pas aux lois économiques traditionnelles. L'auteur contredit d'ailleurs les économistes qui "affirment que la science économique peut tout traiter indépendamment de la nature du produit final et des structures de production et d'échange" (Chapitre 4, p. 107).

Car au delà du contenu de la notion d'immatériel (images, informatique, spectacle, loisirs, finance, etc.) dont Ch. Goldfinger discute dans la volumineuse troisième partie (pp. 255-379), l'émergence des immatériels implique une remise en question de la logique économique. "La logique de dématérialisation dégage l'économie des contraintes traditionnelles de la géographie et de la rareté des ressources. Le défi désormais n'est plus la gestion de la distance et de la rareté des ressources, mais celui du temps et de l'abondance."  Dommage que Ch. Goldfinger n'ait pas interagi avec son constat de l'abondance d'information, le concept de gestion de l'attention développé dans l'oeuvre d'H.A. Simon.

Il semble même qu'il y ait parfois confusion de concepts, ce qui donne à certaines pages du livre un ton journalistique plutôt que scientifique. Quand Ch. Goldfinger (p. 207) affirme que "la richesse de l'information ne garantit nullement une utilisation intelligente", on aimerait savoir s'il assimile richesse de l'inforrnation et quantité d'information, et ce que pourrait être une utilisation plus intelligente, etc.

Mais, outre les limites de la logique économique se pose le problème de la logique occidentale qui sépare, divise alors que les asiatiques auraient plutôt tendance à conjoindre, rassembler des concepts opposés. L'auteur se réfère notamment au discoursde spécialistes tels que Boye de Mente (p. 48) : "La complémentarité industrie-services reflète la culture japonaise, qui refuse l'opposition entre le matériel et l'immatériel, le durable et le périssable." Les produits immatériels que Ch. Goldfinger appelle artefacts sont inclassables puisqu'ils combinent des notions selon lui, irréconciliables par la théorie économique traditionnelle : l'éphémérité d'une chanson et la durabilité d'un livre, l'unicité d'un spectacle et la répétitivité des jeux Nitendo, l'artificiel et le naturel, le personnel et le collectif, le populaire et l'élitiste, ... On regrettera cependant que l'auteur n'ait pas utilisé des oeuvres plus consistantes telles que celles par exemple, de Descartes et Vico, pour donner plus de teneur aux arguments de poids de sa conclusion hardie.

Face à l'impossibilité de traiter les immatériels avec les outils de l'économie standard, les économistes se trouvent confrontés à un "défi de la connaissance" (p. 575). Ce défi pourrait être relevé, selon l'auteur, en renonçant en partie à l'utilisation du formalisme mathématique qui selon M. Allais, ne fait que cacher la pauvreté de la pensée et en sedonnant la liberté de concevoir de nouvelles méthodes d'investigation.


Sandrine Raynard

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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