Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de DUPUY Jean-Pierre : |
« Introduction aux sciences sociales - Logique des phénomènes collectifs » Ed. Ellipses - Ecole Polytechnique - Paris - 1992 - 247 p. |
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C'est sans doute l'ambiguïté à peine dissimulée de son titre et de sa présentation (chez un "éditeur des classes préparatoires et des grandes écoles" !) qui donne à ce récent recueil de Jean-Pierre Dupuy son caractère à la fois attachant, irritant et stimulant. S'agit-il d'une "introduction aux sciences sociales" ? L'auteur nous précise d'emblée que les textes que rassemble ce manuel "n'ont pas été d'abord conçus pour des étudiants. Il s'agit de travaux de recherche menés depuis quelques dix annces au sein du CRÉA". S'agit-il d'un "traité de logique des phénomènes collectifs" ? Sans doute pas puisque l'essentiel de la thèse de J.P. Dupuy tient dans la démonstration de l'impuissance de la logique à rendre compte des phénomènes collectifs. S'agit-il alors d'un essai ou d'une thèse innovante ? Les quinze chapitres que rassemble ce recueil ont presque tous été publiés dans des ouvrages ou dans des revues d'accès aisé aux chercheurs en sciences sociales et en épistémologie au cours des dix dernières années, et font donc partie de cette culture commune contemporaine que le CREA a si heureusement contribué à développer. Rien de véritablement "nouveau" donc, d'autant plus qu'une part essentielle de l'argumentation développée vient d'être présentée dans un autre ouvrage de J.P.Dupuy publié la même année ("Le sacrifice et l'envie, le libéralisme aux prises avec la justice sociale", Calman Lévy 1992).
Peut-être faudrait-il considérer cette Collection d'études plutôt comme la description du tissu moiré sur lequel fut peint "Le sacrifice et l'envie", que comme une introduction aux sciences sociales. Sa lecture alors devient fort stimulante, rappelant nombre de réflexions sur le raisonnement spéculaire, sur la théorie du "Common Knowledge" (que l'on devrait sans doute appeler par son nom : les connaissances implicites communes, par exemple) ou sur la nécessaire et impossible complexification de la doctrine occidentale dite de "l'individualisme moderne" (pourquoi moderne ?). Réflexions riches, vivifiantes, qui suscitent l'esprit critique du lecteur plus parce qu'elles délaissent que parce qu'elles développent Les enjeux épistémologiques (constructivisme piagétien, paradigme de la Pensée complexe d'Edgar Morin, paradigme de la rationalité procédurale d H. Simon... par exemple) seront souvent masqués, suggérant une tentante interprétation : cette inattention ne révèle-t-elle pas un "enfermement" dans un cercle culturel dont René Girard et la théorie mimétique seraient le centre ? La capacité de l'acteur social à imaginer et à inventer, à construire sa propre conscience de sa capacité à symboliser et à co-symboliser, semble non pas niée, mais ignorée. Si bien que l'on est surtout tenté de considérer les réflexions de J.P.Dupuy comme des ingrédients alimentant, souvent de facon originale dans les cultures contemporaines, les heuristiques tâtonnantes par lesquelles peuvent s'élaborer nos ingéniéries de l'action collective. Ce n'était peut-être pas le projet de son "Introduction aux sciences sociales". Mais rien ne nous contraint à ne concevoir qu"'une méthode en sciences sociales qui soit un individualisme... préservant l'autonomie des phénomènes collectifs" ; nous pouvons tout aussi bien, entre le Charibde de l'individualisme et le Scylla du holisme, inventer de nouvelles formes d'interactionismes méthologiques nous ouvrant les voies moins technologiques et plus ingéniérale, d'un renouvellement de l'Intelligence des hommes en société dans un univers qu'ils construisent autant qu'il les construit.
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003