Rédigée par JLM sur l'ouvrage de UNESCO (E. PORTELA, Ed.) : |
« Entre Savoirs, l'interdisciplinarité en actes : enjeux, obstacles, perspectives » Editions ERES, Paris, 1992, 358 pages. |
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Que l'UNESCO tente, courageusement, de remettre sur le métier la toile de Pénélope de l'interdisciplinarité, qui le regretterait ? Si nos institutions culturelles et scientifiques internationales ne prêchent pas par l'exemple, peut-on espérer que nos institutions nationales, spontanément conservatrices, prendront l'initiative ? Mais le projet épistémologique et pédagogique de l'interdisciplinarisation de nos cultures et de nos pratiques est projet complexe par excellence ; en l'oubliant ou en l'ignorant, on risque de le complexifier plus encore. La méthode des sermons de carême, faisant prêcher une trentaine de "prédicateurs" fort attachants (lors d'un colloque UNESCO d'avril 91) est-elle susceptible d'aider les citoyens et les responsables d'institutions scientifiques à accepter l'ascèse d'une exigeante méditation épistémologique ? On peut craindre une réponse négative, quelque soit l'intérêt ou la qualité intrinsèque des textes de quelques prédicateurs : Sergio Vilar (un participant du Programme MCX, sur "La recherche interdisciplinaire en sciences sociales, entre le scientifique et l'artiste"), Marcel Jolivet (sur "L'environnement : un champ de recherche à construire en interdisciplinarité"), René Passet (sur "Développement durable et biosphère : de nouveaux réductionismes"), Michel Maffesoli (sur "Société complexe et savoir organique"), etc...
D'autant plus que l'ouvrage ne constitue guère par lui-même un bon exemple de recherche interdisciplinaire : les trente articles sont tous rédigés dans une ostensible indifférence mutuelle ; et si nomadisme des concepts il y a, celui-ci n'est a priori nullement délibéré. Aucun index, ni par thème, ni par auteur, qui faciliterait les recherches croisées sur lesquelles se construit précisément toute recherche interdisciplinaire (Existerait-il qu'il serait sans doute attristant : rares sont les références communes à deux textes ou plus !). Aucune mise en perspective non plus : je retrouve avec émotion le monumental travail entrepris par le même UNESCO dans les années soixante (" Tendances principales de la recherche dans les sciences sociales et humaines", Mouton-UNESCO, Paris, 1970 : 987 pages pour la seule première partie) qui fondait la première entreprise collective d'élaboration du projet de l'interdisciplinarité, dans une problématique globalement très piagétienne (J. Piaget avait rédigé plus du quart de l'ouvrage !). Avons-nous progressé - ou régressé - depuis vingt ans sur les fronts de l'interdisciplinarité ? La question n'aurait-elle pas mérité un peu d'attention, vingt ans après ? Si l'UNESCO ne garde pas mémoire, qui le fera ? Inattention aussi au Colloque du CNRS français sur l'interdisciplinarité tenu (dans les locaux de l'UNESCO à Paris) un an auparavant (fév. 1990), et publié sous le titre "Carrefour des sciences" (cf. un commentaire dans la lettre MCX 14) : pourtant la proximité des deux événements aurait pu inciter à une sorte de motion fraternelle ? Rien non plus sur l'audacieuse entreprise de l'UNU (Université des Nations Unies) réalisant en 1984 un travail collectif interdisciplinaire sur "Les Sciences et Pratiques de la Complexité" (Documentation Française 1986). Apparemment le concept même de science de la complexité semble quasi ignoré par "l'interdisciplinarité en acte à l'UNESCO" ! Les réalisateurs d"'Entre-Savoir" objecteront que la critique est aisée et que l'on n'institue pas l'interdisciplinarité par décret - convenons-en, mais les citoyens et les chercheurs qui s'efforcent de construire cette "interdisciplinarité en acte" ne sont-ils pas fondés à demander à l'UNESCO une exemplarité, sinon une perfection, qui contribue à convaincre les institutions que l'interdisciplinarité n'est pas "la perte d'une expertise irremplaçable" : l'argument, sans cesse martelé par J.P. Changeux, depuis quelques années, ne conduit-il pas nos institutions scientifiques et administratives à rejeter, au nom d'une illusoire vertu positiviste, tant d'entreprises difficiles d'interdisciplinarité ?
Que cette déception ne dissuade pas le lecteur : il y a, dans cet "Entre Savoir" quelques fort bons textes qui nous aideront, dans notre intelligence collective de la complexité même si "l'épistémologie de l'interdisciplinarité" reste encore à produire... et à assimiler, au moins par l'UNESCO !
Fiche mise en ligne le 12/02/2003