Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de KOURILSKY-BELLIARD, Françoise : |
« Du désir au plaisir de changer. Comprendre et provoquer le changement » (Préface de P. Watzlawick), Ed. Inter Editions. Paris 1995. 324 pages. |
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L'expérience et la réflexion des psychothérapeutes familiaux et des consultants formés "à l'Ecole de Palo Alto" constituent aujourd'hui une ressource féconde pour le développement des sciences de la complexité : expérience et réflexion qui les conduisent souvent à réélaborer de nouvelles formes d'intelligence stratégique de l'action au coeur de la complexité des relations humaines... et qui incitent quelques uns d'entre eux à nous narrer les mille heuristiques qu'ils explorent en tâtonnant... et en raison et éthique gardant ! La "Parabole des deux planètes Alpha et Beta" de Ph. Caillé (1993), l"'Ecologie des liens" de J. Miermont (1993), l"'Analogie, instant du processus" de C. Guitton... quelques autres références récemment évoquées dans les Cahiers desLectures MCX nous reviennent à l'esprit aujourd'hui pour accompagner la lecture de l'essai (ou peut-être mieux, du manuel) de Françoise Kourilsky-Belliard : un essai au titre heureux : le désir et le plaisir de changer. N'est-il pas vrai que trop souvent le changement était perçu comme une punition ou un mal nécessaire : ce sont toujours les autres qui veulent que l'on change ! Et pourtant ne pouvons-nous "recadrer" notre compréhension du changement, qu'il soit celui de l'individu ou des rapports interindividuels ou celui de l'organisation du travail, des loisirs ou de la société !...Riche d'une expérience originale qui enchevêtre le conseil en entreprise et la psychothérapie familiale, Françoise Kourilsky-Belliard nous invite avec chaleur et enthousiasme à ce changement de regard, à ce "recadrage du changement... qui est lui même recadrage", en nous proposant mille anecdotes qui font voir, ou imaginer, et autant d'heuristiques plausibles qu'elle a su trouver dans sa propre expérience et dans les recherches de quelques uns de ses maîtres préférés P. Watzlawick, M. Erikson, F.Farelly (... connaissiez-vous les techniques du rire ?) etc. Elle s'efforce ce faisant d'assurer les prises épistémologiques qui peuvent justifier ces méthodes qui risqueraient sans cela d'apparaître comme des trucs ou des recettes de circonstance (on sait les artifices de la PNL !), et elle sait demander à la modélisation systémique et aux épistémologies constructivistes les quelques repères conceptuels nécessaires à ces cadrages des recadrages". Assurances sans doute un peu superficielles dans leur présentation (qu'elle emprunte principalement à P. Watzlawick et à E. Morin), mais d'autant mieux venue que l'attention éthique du propos est manifeste et se révèle souvent aux détours de maints exemples ou commentaires. L'enthousiasme de l'écriture et la variété des expériences évoquées ne protègent pas toujours de quelques maladresses de forme qui surprennent par leur caractère inattendu dans le contexte (faut-il toujours "diviser en parcelles" un champ problématique présumé trop vaste, p.113 ?) ou, après avoir recommandé d'éviter les "objectifs négatifs", faut-il conclure que "I'efficacité de la conduite du changement repose sur l'absence d'a priori et de théorie", p. 311 ?...). Mais ces petites "provocations" sont peut-être délibérées chez un auteur qui veut manifestement inciter son lecteur à être intelligent et à retrouver le subtil "plaisir du changement" alors qu'il répète à l'envie que "plus ça change et plus c'est la même chose"... Et si justement, cela devenait autre chose, ou plutôt autre action ?
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003