Rédigée par J.L.Le Moigne sur l'ouvrage de BRUTER C.P. (Ed.) : |
« Modèles et transformations - La biologie théorique et Pierre Delattre » Edition Polytechnica, Paris, 1993 , 160 pages. |
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Actes des "journées P. Delattre" au Collège de France, (Déc. 1987), avec des études de J. Delforge, P. Delattre, E. Bernard-Weil, C.P. Bruter, R. Thom, Y. Bouligand...
Pour tous ceux qui sont entrés dans le projet des sciences de la complexité par les ouvrages de la "Collection Interdisciplinaire" (que P. Delattre créa, chez Maloine, à partir de 1970), et en particulier par "Systéme, Structure, Fonction, Evolution" devenu un classique de la Première Systémique, ce recueil va constituer une occasion de méditation rétrospective : la connaissance se construit par tâtonnement, hésitation et effroi devant les changements de paradigme. Pour les nouvelles générations de chercheurs, en revanche, je crains que ces études ne soient guère aisément décodables ? Peut-être faudra-t-il un jour, pour aider les futurs historiens de la science, narrer l'histoire de cette bifurcation dont une éphémère "ATP CNRS Analyse de Système" fut le prétexte en 1979 ? R. Thom insiste à juste titre dans son article ("De la physique à la philosophie naturelle : l'itinéraire exemplaire de P. Delattre" : le choix des mots dit le projet de R. Thom !), sur l'importance du"grand rapport "théorie des systèmes et épistémologie"" rédigé par P. Delattre pour cette ATP. J'avais à l'époque été frappé par l'incapacité de cette première systémique (à l'époque on ne pensait pas encore en terme de génération) à prendre en compte les concepts de complexité, d'auto-organisation, de téléologie, d'interactivité, de dialectique ordre-désordre... que ré-introduisaient les oeuvres maîtresses d'H. Von Foerster, de J. Piaget, d'H.A. Simon, d'E. Morin, d'H. Atlan, d'I. Prigogine, de F. Varela, ... toutes accessibles en France depuis quelques années. Ceci conduisit à la rédaction de deux autres "grands rapports" sur ce même thème "Systémique et Epistémologie" (l'un par J.P. Dupuy, l'autre par moi-même). Les trois études furent publiées en un seul ouvrage (toujours disponible : "La notion de Système dans les Sciences Contemporaines, vol. II", J. Lesourne (éd.), Edition de la Librairie de l'Université, Aix-en-Provence, 1980). Réflexions alternatives que R. Thom ignore, sans doute parce qu'elles ne confortent pas son ambition, projet d'une "nouvelle Philosophie Naturelle" ? La pertinence intrinsèque de ses remarques critiques sur la pensée de P. Delattre s'entend au sein de cette épistémologie post-newtonienne dans laquelle il veut entendre la recherche scientifique contemporaine. Mais, à leur insu j'en suis sûr, en "enfermant" la pensée de P. Delattre dans un cadre épistémologique trop vite fermé, ses amis, maîtres et disciples, ne compromettent-ils pas ses chances de maturation féconde dans des environnements pourtant moins réticents que ceux qu'il connut de son vivant ? Je pense par exemple à son effort pour conceptualiser une "méthode axiomatico-inductive" : plusieurs auteurs rencontrant cette "thèse", incomplètement élaborée dans quelques textes de P. Delattre la mentionnent respectueusement sans envisager ses potentialités : en libérant la pensée de ses carcans naturalistes et positivistes, en acceptant l'ascèse difficile de quelques reconstructions, ne pourrait-on reprendre et redéployer le travail de ce pionnier, en le reliant à ceux des ouvriers des nouvelles générations ?
Je le crois... en invitant épistémologues et historiens des sciences à faire leur miel de ce témoignage collectif.
J.L.Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003