Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par Jacques Miermont sur l'ouvrage de EHRLICH Marie-France, TARDIEU Hubert, CAVAZA Marc :
« Les modèles mentaux. Approche cognitive des représentations »
     (Introduction de P.N. Johnson-Laird), Ed. MASSON - Paris, 1993. 183 p.

Cet ouvrage apparaît à la fois comme une excellente initiation à la théorie des modèles mentaux développée à partir de 1980 et 1983 par P.N. Johnson-Laird, et comme un approfondissement de ses développements les plus actuels. Il s'agit d'une théorie sémantique de l'information verbale qui se réfère aux apports de la psychologie expérimentale, de la linguistique et de l'intelligence artificielle, et s'inscrit dans le courant des sciences de la cognition. La théorie des modèles mentaux est particulièrement utilisée aujourd'hui dans la compréhension du langage, des inférences déductives et inductives, des processus de conception et de décision (P. N. Johnson-Laird). Le raisonnement humain ne reposerait pas sur des représentations linguistiques de forme logique (Jean Piaget), mais sur la compréhension de significations et la manipulation de modèles mentaux fondés sur ces significations et sur les connaissances générales (P.N. Johnson-Laird). La fonction d'un modèle est de rendre explicites les objets, les propriétés et les relations pertinentes pour les actions potentielles dans une situation donnée, sans en passer nécessairement, ni par l'intermédiaire du discours linguistique, ni d'une figuration iconique totalement isomorphe à cette situation. Les modèles mentaux comporteraient des éléments qui représentent les individus, les objets, les notions abstraites, différents types de relations. La structure d'un modèle serait identique à celle de l'état du monde qu'il représente. Les relations fondamentales, spatiales, temporelles, causales définiraient la structure des modèles (Marie-France Ehrlich et Michel Tardieu). P.N. Johnson-Laird (1983) distingue ici nettement les représentations propositionnelles du langage naturel, les modèles mentaux qui sont des analogues du monde, et les images qui sont les corrélats perceptuels des modèles à partir d'un point de vue particulier. Les modèles mentaux trouveraient, selon P.N. Johnson-Laird, leur origine dans la perception, et établiraient un pont entre la perception et le raisonnement, alors que, dans la théorie modulariste de Fodor, le raisonnement et la perception sont conçus comme nettement séparés, le raisonnement étant appréhendé comme "calcul". Devant un problème à résoudre, le système construirait un modèle concret de l'espace de problème, représentant directement la situation à traiter et dans laquelle se déroulent les événements, et non pas un modèle abstrait des concepts du système (Marc Cavazza). Les modèles mentaux seraient construits au cours de la résolution de problème, ou de l'interprétation d'une phrase, et n'auraient qu'une existence transitoire dans la mémoire de travail, contrairement aux schèmes qui ont une existence a priori dans la mémoire à long terme.

Il existerait ainsi un certain nombre de différences entre les modèles mentaux, de nature essentiellement symbolique, et les images mentales, de nature iconique (Michel Denis et Manuel de Vega) :

  • les modèles mentaux seraient des représentations abstraites et simplificatrices des situations perçues ou conçues comme complexes ; les modèles mentaux permettent d'aboutir à une réduction des données, produisent une économie de moyens dans la compréhension et la résolution de problèmes, et correspondent à un faible degré de résolution analogique, nécessité par les conditions temporelles contraignantes liées au traitement "en ligne" de l'information verbale. L'interprétation des données verbales suivrait deux étapes :

    1. la construction d'une représentation propositionnelle initiale, assez superficielle ;

    2. la mise en oeuvre d'une sémantique procèdurale appliquée à la représentation propositionnelle, qui construit le modèle mental de la situation décrite.

  • les images mentales seraient à l'opposé un instrument de figuration, centrées sur l'observateur, mises au service de la modélisation mentale, plutôt que comme une sorte de modèle. Le cheminement mental suivrait une chronologie inverse :

    1. la représentation perceptive initiale serait très proche de l'information perceptive, utilisée comme source ;

    2. l'image se formerait ensuite par réitération cyclique de la schématisation des traits les plus saillants de l'objet, aboutissant à une construction de plus en plus abstraite de celui-ci. Les images mentales sont un mode de représentation qui permettent d'intégrer des éléments dans une structure cohérente, et de spécifier leurs relations spatiales. Il existerait une différence individuelle dans les capacités de figuration visuelle des situations ; plus ces capacités sont présentes, moins les sujets commettent d'erreurs et plus leurs réponses sont rapides dans la tâche de vérification d'un repérage de type cartographique ; les images mentales sont très proches de la réalité qu'elles dépeignent, et possèdent un degré élevé de résolution analogique. Elles sont essentiellement centrées sur les propriétés spatiales, les distances métriques et les transformations cinématiques.

Les modèles mentaux et les images mentales présenteraient malgré tout des caractères communs : la calculabilité, le caractère fini, le constructivisme de la représentation, le principe d'économie, l'identité structurale.

Des développements intéressants concernent les rapports entre modèles mentaux, analogie et cognition. Le transfert analogique se fait à partir d'un problème source et d'un problème cible, éventuellement très éloignés l'un de l'autre. Le problème source aboutit à la construction d'une représentation des différentes informations contenues dans l'énoncé du problème, puis à une catégorisation de ces informations dans des classes plus générales, utilisées dans la résolution de problèmes. Le schéma de problème qui en dérive est une structure de niveau plus abstrait, qui permet d'établir un schéma de convergence entre le problème source et le problème cible. Ce schéma de problème, qui reflète de manière abstraite l'organisation causale du problème initial, serait stocké dans la mémoire à long terme. Le modèle mental d'une situation émergerait au moment du transfert analogique et dans le traitement de la situation présente. Le transfert analogique procéderait inductivement à partir de quatre opérations : l'encodage de la cible, la sélection d'un analogue, la projection et le transfert de règles (Marie-Dominique Gineste et Bipin Indurkhya). En fait, la théorie du modèle mental et du transfert analogique me semblerait pouvoir être davantage rapprochée de la théorie de l'abduction, telle qu'elle est abordée par un certain nombre d'auteurs historiques ou contemporains, que de celle de l'induction. Les diverses contributions de cet ouvrage apparaissent particulièrement stimulantes pour mieux apprécier les procédures sémantiques de prise de conscience évolutive des propriétés temporo-spatiales et causales du monde environnant.

Jacques Miermont

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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