Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
Association pour la Pensée Complexe
 

Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de MIERMONT Jacques :
« Ecologie des liens. Essai »
     Ed. ESF, Collection Communication et Complexité. Paris 1993. 317 p.
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC

"Comment créer des liens et préserver l'identité personnelle ?" Est-il plus passionnant programme de réflexion sinon de recherche pour chaque être humain : nous ne pouvons pas ne pas communiquer, créer des liens, et pour communiquer nous ne pouvons pas ne pas être nous-mêmes, identifiables s'identifiant ! Liens nécessairement perçus dans leur complexité, irréductibles à tout modèle fini, à toute théorie achevée. Et pourtant liens intelligibles et souvent surprenants, ceux de l'amour, de la haine, de l'affection, de la violence, de l'amitié, de la jalousie, de la puissance, de la compassion... Liens qui, s'enchevêtrant, construisent ces noeuds que nous entendons par la personne humaine par le groupe familial et social, par la cité ou par la Terre-Patrie.

Ce projet de réflexion que se proposait J. Miermont a pu se développer en liberté grâce à ce "rite épistémique" qu'est l'Essai, (depuis Montaigne et sans doute grâce à lui) : il a pu, puisant dans sa grande culture, "s'essayer" à méditer sur son expérience exceptionnelle de clinicien et de chercheur, de psychiatre et de psychanalyste, de psychothérapeute systémicien et d'écologue, d'éthologue et de sémiologue, de neurologue et d'anthropologue ; car c'est dans toutes ces disciplines et dans toutes ses pratiques qu'il cherche sève - ou lien - pour féconder sa méditation sur "la nature de ces liens qui nous unissent" (formule que j'emprunte à un essai récent de Monique Génelot).

Il le fera de façon originale en articulant son propos autour de trois concepts fondateurs dont il ne nous révèle pas, hélas, la genèse : pourquoi trois, et pourquoi ces trois-là ? A son lecteur de le découvrir pour lui-même, et je gage que chaque itinéraire de lecture conduira à d'autres "épilogues" : liberté et modestie de l'essai, J. Miermont veille presque trop à ne pas acculer ses lecteurs à ses conclusions, et son propre épilogue, pourtant fièrement intitulé "le paradigme écosystémique" risque de désappointer celui, qui, pressé, ne lirait que le prologue et l'épilogue : le coeur du propos est dans les trois parties ordonnées successivement autour de l'écologie des liens que décrivent le rituel (I), qui "canalise les échanges", (le "quoi ?"), le mythe (II) qui les organise en systèmes de croyances (le "pourquoi ?"), et l'épistémé (III) qui les rend intelligibles, systèmes de connaissance et de reconnaissance, "schèmes de liaison, pattern which connect" (le "comment"). Explorer "les liens qui nous unissent" dans leur inépuisable complexité, en privilégiant tour à tour chacun de ces regards, c'est nous inviter à une exploration spiralée qui active l'intelligence sans s'y substituer ; c'est je crois, créer de nouveaux regards, plus complexes, tour à tour actualisant et potentialisant l'observation et la réflexion. Qu'ici ou là, ce lecteur s'étonne, surtout peut-être s'il n'est pas psychiatre de profession, quoi de plus normal ? J'aurais pour ma part aimé plus de "liens" avec les réflexions parallèles et denses sur ces mêmes thèmes d'E. Morin, d'Y. Barel, de J. Piaget ou d'H.A. Simon, voire de J. Dewey, de C.S. Peirce ou de W. Dilthey et bien sûr de P. Valéry ! Et je ne suis pas certain que les nombreuses références à R. Thom (et, dans une moindre mesure à S. Lupasco) apportent au propos de J. Miermont des  arguments nouveaux et stimulants pour notre intelligence des liens : "La théorie des catastrophes dit que... : Et alors ?" Mais même pour pouvoir formuler une telle conclusion, en supposant qu'on la tienne pour recevable, ne fallait-il d'abord pas "y aller voir" ? L'effort d'exploration multidimensionnelle, (et même multiréférentielle, pour reprendre une distinction que je crois féconde de J. Ardoino) nous permet précisément de relier mieux ce qui était, non pas disjoint, mais s'ignorant : n'est-ce pas là l'archétype des exercices de modélisation de systèmes complexes auxquels nous voulons ici nous exercer ? Est-il système plus complexe que celui de "ces liens qui nous unissent" ?

J.L. Le Moigne

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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