Rédigée par J.L.M. sur l'ouvrage de SALANSKIS J.M. et SINACEUR H. (Eds) : |
« Le labyrinthe du continu, Colloque de Cerisy » Ed. Springer Verlag, France, Paris, 1992. 452 p. |
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Ce "Labyrinthe fameux", dans lequel "notre raison s'égare bien souvent" (l'exergue est de Leibniz) est celui du continu, ou des indivisibles, ou de l'infini : et voilà qu'au moment où le bourbakisme nous assurait que, grâce à la théorie des ensembles et au modèle du continu hérité de Dedekind et de Cantor, l'on était enfin sorti du labyrinthe, nous reprenons conscience de son irréductible complexité et nous nous réapprenons à nous étonner et à nous émerveiller de nos étonnements.
C'est probablement le message le plus stimulant que nous livre ce volumineux recueil qui accueille à la fois des monstres sacrés et des mathématiciens non conformistes (en privilégiant sans doute les tenants de l'Analyse Non-Standard), quelques historiens des sciences, quelques épistémologues et quelques physiciens : nous savons que nous ne savons pas, et nous le savons un peu mieux et un peu plus richement : nul ne peut décidément nous chasser de "la Cité des sciences", dans laquelle la Société transforme nos expériences individuelles en consciences collectives, en arguant de la non conformité de notre propos aux thèses bourbakistes et aux thèses thomistes ! Et le procédé qui consiste à substituer à "la raison pure" d'E. Kant une mystérieuse "rationalité mathématique" qu'on se garde bien de définir, ne suffira plus à nous faire croire que le mathématicien qui s'y réfère nous aide à nous représenter de façon intelligible notre rapport à l'Univers !...
"Le style bourbachique, conclut Cl. Lobry, est un style mathématique qui... a pesé très fortement sur toute la génération des mathématiciens de la seconde moitié du XXème siècle. Ce style impose au nom de la rigueur (mais nous savons maintenant que c'est en partie une imposture) de ne parler que d'objets mathématiques "bien définis" dans la théorie des ensembles..., (ce qui) a l'inconvénient de l'enfermer a priori dans un ensemble... Si l'on ajoute que les ensembles en question sont tellement abstraits qu'il est de plus en plus problématique d'y reconnaitre quoi que ce soit, on voit que le prix à payer pour garder le style Bourbaki devient franchement prohibitif ! (p. 444-5)" Méditer sur l'indivisibilité des substrats continus, et donc sur l'infini, conduit, on le voit, à des propos qui frisent encore l'iconoclastie ! Que les tenants de l'ordre mathématique se rassurent pourtant, tout le monde a droit à la parole. Mais le paradoxe de "Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d'Elée ! " continuera à percer "de cette flèche ailée qui vibre, vole, et qui ne vole pas" ceux qui persisteront à enfermer dans un ensemble" les irréductibles systèmes auxquels nous savons, pourtant, donner du sens... fut-ce en le construisant !...". On est tenté, en achevant cette vivante et provocante lecture, d'inviter tous ceux qui dans l'enseignement, l'administration ou l'entreprise, s'efforcent de raisonner rigoureusement comme on leur a appris, à s'intéresser à ces méditations enchevêtrées : peut-être seront-ils alors moins sûrs d'eux-mêmes, et par là plus intelligents ?... Une bonne condition pour s'exercer à la modélisation des systèmes complexes !
P.S. : La lecture de ce dossier m'a incité à redécouvrir deux textes (encore aisément accessibles à l'IREM de l'Université Paris Nord, Av. J.B. Clément, 93430, Villetaneuse) présentant "la philosophie intuitionniste et ses conséquences mathématiques" de D. Van Dalen (n° 6, Séminaire Philosophie et Mathématique du 17.3.93) et une sorte de "Défense des formalistes bourbakistes" rédigée par J. Dieudonné : "Les grandes lignes de l'évolution des mathématiques" (Cahier n°1) : ce dernier règle (en 1980) le cas des "intuitionnistes, constructivistes, etc..." avec un argument statistique : en 1980, 2 références sur 1500 dans "Mathematical Reviews" : pas la peine donc de s'y intéresser !!... Treize ans plus tard, en va-t-il de même ?
J.L.M.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003