Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de GAZIER Bernard (Ed.) :
« Emploi, nouvelles donnes »
     Ed. Economica, Paris, 1993. 230 pages

L'Emploi, en 1993 ? : "Le sentiment de l'urgence économique et sociale", rappelle Roland Lautner ouvrant cette réflexion collective organisée en 1992 par la Direction de la Recherche du Ministère français de l'Education Nationale. Urgence, certes, mais qu'espérer ? A-t-il suffit, comme pour ces autres urgences que sont les propagations du cancer ou du sida, de consacrer de gros budgets à une recherche scientifique spécifique pour se convaincre que nos sociétés ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour enrayer le mal ? Poser la question c'est déjà anticiper une réponse négative ; d'autant plus que les chercheurs que l'on présumait les plus compétents sinon les plus concernés par ce fléau, répondent volonders qu'ils ne savent pas l'expliquer et se livrent volontiers à des disputes d'école qui laissent dubitatifs les citoyens et les gouvernants. Mais alors que faire ? Tenter au moins de re-formuler la question, de renouveler les représentations, jusqu'à ce qu'émerge enfin un peu d'intelligence nous libérant de cette impression de malédiction universelle, attachée au mythe prégnant et cruel de "l'Ordre Social Spontané" auquel tant d'économistes se référent encore ? C'est sans doute ce que la réflexion collective que présente cet ouvrage, se propose d'amorcer. Il faut savoir gré à Bernard Gazier d'avoir su être un coordinateur actif : en rédigeant de solides introductions aux trois chapitres qui fédèrent les contributions ainsi rassemblées : les relations professionnelles à l'épreuve, les itinéraires du chômage... et des chômeurs, le renouvellement des marges de manoeuvres), il permet une lecture intelligente qui révèle autant les manques que les apports. Manques et apports que l'on repère d'autant plus aisément que R. Lautner, dans un solide avant-propos, a caractérisé quelques-uns des arguments essentiels que les économistes et les politiques ne peuvent pas ignorer : y a-t-il un ou des "marchés du travail" ?, Comment interpréter les rythmes de la mutation technologique, en particulier dans le tertiaire ? Peut-il y avoir des issues par la croissance macro-économique ? Et peut-on échapper a... d'impossibles concertations internationales ?

On ne sera pas surpris si ce "grand débat" (titre de la collection dans laquelle paraît l'ouvrage) apporte plus par son existence que par ses résultats : l'écart entre la finesse et l'originalité de certaines analyses, et la perception du chômage que peut avoir aujourd'hui le citoyen salarié ou non, est parfois impressionnant : on se prend à se poser des questions naïves : les économistes (et les socio-économistes statisticiens qui les accompagnent) peuvent-ils, en s'aidant de leurs cultures et de leurs langages actuels, concevoir des réponses ? S'ils ne les renouvellent pas - malgré l'urgence - la réponse est désespérément négative : et si ce n'est pas eux qui le font, qui le fera ? R. Lautner et B. Gazier invitent certes leurs partenaires à un effort de réflexion épistémologique d'envergure, mais ne sont-ils pas trop imprudents ou trop timorés ? Il y a urgence !

Lors de la grande peste qui dévasta Milan l'été 1484, Léonard de Vinci comprit qu'il ne fallait plus d'abord chercher une médecine, mais qu'il fallait inventer l'urbanisme... et il conçut un plan de Milan en trois niveaux, dont s'inspirent aujourd'hui tous les concepteurs de villes nouvelles. L'analogie peut éclairer les enjeux : l'économiste face à cette peste qu'est le chômage contemporain, plutôt que chercher le Docteur miracle (Marx ? Hayek ? Keynes ?), ne doit-il pas s'efforcer de construire... non plus l'urbanisme... mais les nouvelles sciences de la complexité ? Les entreprises produisent du sens bien plus qu'elles ne produisent des biens et services. Aussi longtemps que nous les représenterons à l'aune des grandeurs de l'Energétique (et donc du travail, qu'on ne sait "mesurer" que depuis deux siècles), ne passerons-nous pas à côté de l'essentiel, un essentiel qu'il nous faut collectivement re-formuler aujourd'hui. Les économistes, riches de la curieuse histoire de leur inter-discipline, ne sont pas mal placés pour y parvenir. A conclition qu'ils le veuillent assez. "L'Emploi, Nouvelles Donnes" nous incite à espérer, un peu, un peu seulement. Car il y a urgence.

J.L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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