Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de GREEN David et BOSSOMAIER Terry Eds. : |
« COMPLEX SYSTEMS, from biology to computation » I.O.S. Press. Amsterdam, 1993. 376 pages. |
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Les "systèmes complexes" dont il est question dans ce recueil ne sont sans doute pas aussi complexes qu'on pouvait l'espérer : dés la première ligne, le lecteur est informé : il s'agit des "systèmes dominés par les effets d'ordre deux", ou encore des "systèmes non linéaires". La plupart des systèmes que l'on perçoit complexes étant précisément complexes parce qu'ils sont irréductibles à des modèles de la dynamique des systèmes non linéaires, on pourrait craindre quelque déception chez le lecteur qui n'aurait pas prêté assez d'attention a priori au sous-titre de l'ouvrage : "De la biologie à la computation" veut dire qu'on ne considérera qu'une petite zone du vaste champ de la complexité. Les multiples zones de l'Ecologie humaine en particulier seront étrangères au projet de l'ouvrage.
Il serait pourtant regrettable que ce constat retienne les chercheurs en sciences de la complexité (lisant l'anglais) loin de ce livre. Pour deux raisons au moins.
La première est que l'ouvrage est une entreprise collective de nombreux chercheurs australiens qui témoignent, à travers lui, d'une remarquable vitalité interdisciplinaire ; comme de leur capacité à comprendre et à interpréter plusieurs langages disciplinaires entrouvant dans les développements de la bio-informatique (ou vie artificielle) et de quelques nouvelles disciplines connexes, les repères conceptuels qui leur permettent de communiquer. Parce qu'en Europe nous sommes encore trop souvent inattentifs aux mouvements des idées et des cultures qui se développent aussi aux antipodes, ce "regard australien" nous est fort bénéfique, renouvelant nos propres capacités d'attention.
La seconde tient à la richesse et à l'actualité documentaire de ce dossier déployant l'éventail contemporain des modèles - en général computables - rendant compte des systèmes perçus hyper-compliqués : les quatre parties (vie artificielle, chaos et dynamiques non-linéaires, systèmes de commandes, calcul parallèle) incluent chacune huit articles, avec trés peu de redondances, tous de bonne facture, et dans l'ensemble rédigés avec un souci d'intelligibilité et de documentation qui est presque exemplaire. L'indexation certes est pauvre, et révèle trop peu de références croisées entre les articles (criticalité, fractal, graphe, optimisation, changement de phase, stabilité...). Elle révèle surtout les "concepts manquants" que l'on espérait rencontrer dans un ouvrage consacré aux systèmes complexes : heuristiques, stratégies de recherche, téléologie, modélisation (disegno et ingenium), récursivité, raisonnement dialectique, rationalité procédurale, auto-éco-ré-organisation, hologrammorphie, herméneutique, sémiologie, pragmatique...
Il faut pourtant donner acte à cette entreprise de son effort difficile pour prendre quelque recul par rapport à son projet : une anthropologue (M. Lyon, Camberra) rappelle "les séductions et réductions des modèles non linéaires dans les sciences sociales" (mais pas dans les autres disciplines ?), en soulignant les implications idéologiques des métaphores thermodynamiques dans l'interprétation des phénomènes sociaux...
Comme il faut, à nouveau, souligner les vertus pédagogiques de nombre des articles : je pense par exemple à la présentation (par J. Mc Cormack) des "Systèmes de Lindenmeyer" mis en oeuvre en modélisation informatique graphique (un Il System" est un système opérant dans un alphabet quelconque, qui peut être très court : 2 symboles A et B, et disposant d'une grammaire de quelques règles de transformation permettant de passer itérativement d'un état au suivant : des phénotypes émergeant d'un génotype : en terme de modélisation informatique graphique, ces fractals deviennent des "graftals".
Ne serait-ce que par la problématique originale de ce recueil, qui est "de comprendre la vie comme une computation naturelle et la computation comme une vie artificielle", il faut l'incorporer dans notre bibliothèque des sciences de la complexité en émergence.
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003