Modélisation de la CompleXité
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"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de KLIR George J. :
« Facets of Systems Science »
     Plenum Press, New York, 1991, 664 pages.

En publiant en 1965-1967 "Cybernetic modelling" (avec M. Valach) G. Klir contribua de façon décisive à l'essor contemporain de la Systémique : pour la première fois, la modélisation l'emportait sur le modèle et s'institutionnalisait au sein de la science des systèmes : systèmes alors quasi fermés, pilotables et perturbables (cybernétique) puis système en général, avec la publication peu après, de "An approach to General Systems Theory" (U.N. Reinhold, 1969) puis de "Trends in general systems theory" (Wiley 1972). G. Klir devint dès lors une autorité et un animateur de la communauté systémique nord-américaine (en créant un des premiers départements universitaires de Systémique, à S.U.N.Y., Bighampton), et Internationale, en lançant la revue "International Journal of General Systems".

Il fut ainsi un des premiers à libérer la naissante science des systèmes de l'impérialisme de la biologie théorique (la doctrine du "Systems Everywhere" de L. Von Bertalanffy) et, dans une moindre mesure, du déterminisme réducteur de la neuro-cybernétique (de McCulloch à Ashby jusqu'aux connexionistes contemporains) : en privilégiant la façon de modéliser (modélisation) comme un système sur l'universalité "du" modèle du système en général, il contribua à ouvrir la voie sur laquelle la Systémique a pu se développer à partir des années soixante dix : la discipline qui fait son projet de la modélisation à fin d'intervention des phénomènes perçus complexes.

Mais, pour des raisons historico-culturelles aisées à repérer, il fut conduit, dès l'origine, à demander à la seule théorie mathématique des ensembles une théorie de la modélisation, encouragé en cela par la plupart des systémiciens Nord-américains (et soviétiques). Si bien qu'il n'entendit pas l'appel de P. Weiss : "Un système n'est pas un ensemble, c'est un processus", et qu'il ne parvint pas à porter une attention autre que de politesse aux courants qui se développaient en francophonie à partir des contributions décisives de J.Piaget et d'E. Morin, ou aux U.S A., à partir du paradigme du traitement complexe de l'Information développé dès les années cinquante par H.A. Simon.

C'est cette raison qui explique, me semble-t-il, le peu de renouvellements apportés à la systémique par l'Ecole de Bighampton : une très bonne source de documentation anglo-saxonne, une production mathématique et informatique intéressante, mais qui n'apparaissait pas spécifiquement systémique.

Si bien que l'annonce de la publication du nouveau cours de sciences des systèmes proposé par G. Klir à Bighampton devait nous intéresser vivement : une excellente occasion de faire le point.

L'origine de ce livre, que narre l'auteur en Préface, confirmait notre hypothèse initiale : il est né d'une revendication de ses étudiants en 1989 : "Nous apprenons beaucoup de concepts, de principes et d'outils mathématiques, informatiques, heuristiques..., mais nous n'apprenons rien sur la science des systèmes elle-méme : qu'est-elle ? que sont ses racines ? que sont ses buts ?...." Pour leur répondre, il fallait rédiger un manuel de systémique (une "visite guidée" dit-il), et le compléter par une bonne collection de "lectures de base". C'est au demeurant cette deuxième partie de l'ouvrage qui m'incite le plus à conseiller son entrée dans toutes les bonnes bibliothèques : ces 400 pages rassemblent 35 articles dont une quinzaine sont des classiques encore difficiles à trouver, au moins en Europe : le constructiviste radical Glasersfeld y côtoie l'ontologiste intégral Bunge, sans que l'on sache si cet oecuménisme épistémologique est accidentel ou délibéré ! W. Weaver, I. Prigogine, H.A. Simon, F. Varela, R. Ashby, K. Boulding... La galerie des portraits du Hall de la Systémique anglo-saxonne est désormais aisé à visiter !... (en anglais !).

Sur la première partie, je confesse que je reste sur ma faim : les pages consacrées à la modélisation sont peu nombreuses, celles consacrées à la complexité sont réduites à la définition des complexité computationnelles, et la téléologie est toujours un concept oublié au profit de quelques généralités sur les systèmes "goal oriented" ; rien sur les fonctions de symbolisation, de mémorisation, de finalisation ; rien sur les dialectiques Information-Organisation-Décision ; rien sur les heuristiques de modélisation de la complexité ; etc... N'y a-t-il pas là un paradoxe révélateur de l'incomplétude épistémologique des nouvelles sciences ? Cette difficulté de la systémique anglo-saxonne à préter attention au paradigme de la complexité re-formulé par Edgar Morin, par exemple, n'a-t-elle pas sa racine dans l'inattention de nos disciplines à leurs propres fondements ? L'occasion du dernier livre de G. Klir est bonne, nous invitant à nous poser de telles questions. Car, bien sûr, elles doivent pouvoir se retourner de l'autre côté de l'Atlantique : que ne savons-nous pas voir ?

J.L. Le Moigne.

Fiche mise en ligne le 12/02/2003


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