Rédigée par JLM sur l'ouvrage de CARRIER : |
« L'analyse économique des conflits : éléments d'histoire des doctrines » (Préface de H. Bartoli), Publications de la Sorbonne, Paris 1993. 160 pages. |
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En présence de situations conflictuelles, l'esprit humain semble disposer de deux stratégies antagonistes : simplifier ou complexifier les représentations de ces situations, l'une comme l'autre devant conduire à la résolution ou à la dissolution du conflit. En Occident depuis trois siècles, la première stratégie est abondamment examinée et enseignée, la seconde est sans doute pratiquée mais rarement prônée, en particulier dans le champ des conflits économiques ou marchands. Monodimensionnaliser le conflit permet de le raisonner simplement et de calculer son issue par une équilibration harmonieuse : c'est sans doute pour cela, observe B. Carrier, que les doctrines économiques ont si longtemps semblé ignorer la notion même de conflit, lui substituant la notion plus rassurante d'équilibre. Il va, dans un bref essai fort richement documenté, nous montrer que cette méconnaissance était peut-étre plus apparente que réelle, et plus contrainte par les insuffisances des outils (mathématiques) d'investigation que par l'inattention des économistes : Mandeville et la fable des abeilles,- F. Quesnay et physiocrates, Adam Smith, A. Cournot, L. Walras, W. Pareto... B. Carrier va relire toutes les "doctrines" économiques classiques et néo-classiques, en s'efforcant d'y repérer, sous la trame, quelques modèles embryonnaires de traitement de conflits... trop complexes et multidimensionnels pour que la "doctrine puisse les résoudre : cette recherche de nouvelles théorisations, plus ouvertes, va se poursuivre jusqu'à nos jours, s'accélérant peut-être avec l'essor contemporain de la théorie des jeux et des "applications" à l'économie de la dynamique des systèmes non linéaires (chaos, bifurcations, catastrophes, etc...). "Nouvelles" mathématiques qui contraignent pourtantà l'unidimensionnalisation des critères de régulation des systèmes, et qui, malgrél'enthousiasme de B. Carrier, ne semblent guére susceptibles de "créer de la transparence pour comprendre une réalité économique, fonction majeure des mathématiques en économique" (p. 155) ! La modélisation des systèmes complexes ne passe peut-étre pas par une mathématisation classique ou "standard", bien mal armée pour rendre compte de la multidimensionnalité et de la récursivité des tensions et des conflits perçus par les acteurs sociaux. Plutôt que de s'acharner à développer une "nouvelle économie mathématique", les modélisateurs ne peuvent-ils s'efforcer de rendre compte de leur perception empirique complexe d'une économie "tendue" entre les projets "de créativité et de solidarité" ? Il lui faut sans doute pour cela inventer de nouveaux langages (comme la chimie sut le faire au XIXème siècle pour identifier son propre projet, observait déjà H.A. Simon en 1965/67) : c'est le projet de la modélisation de la complexité. L'essai de B. Carrier participe à cette entreprise en aidant son lecteur à formuler cette future "dynamique des systèmes multidimensionnels conflictuels" que son préfacier, H. Bartoli, appelle de ses voeux.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003