Rédigée par J.L. Le Moigne. sur l'ouvrage de WALLISER B. : |
« L'Intelligence de l'Economie, une science singulière » Ed. Odile Jacob. Paris 1994. 282 p. |
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Ah le beau titre ! Trop beau peut-être puisqu'il risque de susciter l'ultérieure déception du lecteur invité à "visiter les coulisses de l'économie" (présumée intelligente) sans avoir la liberté de se forger une bonne intelligence de cette discipline. Car pour la comprendre, il faudrait qu'il l'entende simple, voire simplette, "définie par son projet, l'allocation optimale des ressources matérielles et humaines disponibles" (p. 7). Ce projet sera-t-il celui de la discipline, ou celui des politiques qui la sollicitent ? Le critère d'optimalité sera-t-il universel et invariant ou se complexifiera-t-il au gré des événements (la guerre, la crise, la survie, le grand soir, la passion...) ? Ces ressources seront-elles toutes et toujours connaissables, dénombrables, mesurables, ... ? N'est-il aucun autre projet que puisse se proposer la discipline ? : la représentation créatrice des actes d'échanges confiants et méfiants ?, l'anticipation raisonnée des conséquences politiques de ces actes, l'invention et la re-découverte de nouvelles formes d'actes d'échange, l'écologie de l'action humaine,... ? Autant d'alternatives qui retiennent parfois l'attention des économistes considérant et interprétant les représentations des actions d'échange et de leur élaboration cognitive, par l'adaptation oscillante de moyens et de fins, par la formation de conventions confiantes, par l'institutionnalisation de normes sans cesse regénérées pour limiter les dangers de la méfiance, par la reconnaissance du plaisir de faire, de la passion de risquer, du goût du jeu, de la jouissance de créer, de l'hédonisme du don...
En restreignant sa belle médiation sur les fondements épistémologiques d'une science économique réduite à son statut économique standard (... à la fin du XXème siècle), B. Walliser nous livre certes un exposé fort bien argumenté et rassurant de la discipline telle qu'elle est aujourd'hui classiquement enseignée. Et il rend ce faisant grand service à l'étudiant mais aussi à nombre de ses confrères économistes dont l'inculture épistémologique effraierait le citoyen qui la percevrait. Mais, en reprenant sa conclusion, ne va-t-on pas introduire le second volume qu'appelle cette "intelligence de l'économie" : une "économie de l'intelligence" peut-être ? : "L'Economie doit...perpétuer sans complexe son approfondissement épistémologique (lequel risque fort d'être complexe !). Si elle nuance les comportements individuels (ou plutôt leur représentation) sans rompre avec la rationalité (disons : le bon usage de la raison, qui n'est pas exclusivement déductif et qui s'exprime souvent de façon discursive), si elle diversifie les structures collectives sans renoncer à l'équilibration (mais en renonçant à l'obsession de l'équilibre, général ou pas !), si elle spécifie les dynamiques d'apprentissage sans négliger le long terme (mais comment apprendre ces spécifications ?), elle pourra même servir de pivot aux sciences sociales fragmentées (n'est-ce pas à l'épistémologie qu'il faut demander cette fonction intégratrice ? Faut-il confier à la seule économie une telle mission impossible ?). Si elle abandonne son illusion formaliste sans sacrifier sa rigueur, si elle délaisse sa désinvolture empirique sans menacer son imagination, si elle dépasse sa naïveté opérationnelle sans perdre son assurance (la modestie lui nuirait-elle ?), elle pourra même constituer le prototype d'une science sociale intelligente" (p. 271).
J'aime penser que non seulement elle le pourra, mais que déjà elle le peut lorsqu'elle médite sur son épistémé fondatrice, celle de l'ineffable complexité des actions d'échanges tangibles et intangibles entre les humains.
J.L. Le Moigne.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003