Rédigée par inattention à leurs projets autant qu'à leur histoire. sur l'ouvrage de DAVID A. et ROY B. : |
« RATP, la métamorphose. Réalité et théorie du pilotage du changement » Ed. Interéditions. Paris. 1994. 320 pages. |
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Toute réflexion sur la gestion des organisations sociales complexes rencontre traditionnellement l'objection de "l'argument concret" : "Montrez-nous un cas concret qui "prouve" que ça marche" ! Défi presque impossible à relever puisque, dès que l 'organisation est complexe, la seule description en termes intelligibles de son fonctionnement et de ses transformations décourage l'auditeur : plusieurs volumes n'y suffiraient pas... Et pendant le temps de leur écriture, l'organisation présumée gérée de façon exemplaire se sera à nouveau transformée... souvent de façon... moins exemplaire !
Défi qu'ont pourtant su relever Albert David et B. Roy s'attachant à décrire le cas sans doute le plus célèbre de "pilotage (exemplaire) du changement d'une organisation complexe" qu'on ait connu depuis longtemps : le cas de la RATP entre 1989 et 1992...voire 1994. Ils bénéficiaient il est vrai d'une circonstance favorable : sachant ou pressentant "qu'un système intelligent peut et doit s'observer lui-même" le charismatique P.D.G. de la RATP de l'époque Christian Blanc leur avait demandé, dès avril 1990 "d'écrire l'histoire des transformations, d'analyser le processus du changement par rapport aux théories et pratiques du management, et de contribuer à tirer de l'expérience RATP des enseignements utiles à la modernisation des services publics" (ceci sous la férule de J.P. Bailly, devenu, depuis, le nouveau PDG !). Ces observateurs étaient à la fois les chroniqueurs et les interprètes de leur propre chronique, sans être pourtant les journalistes d'investigation qu'on voudrait parfois rencontrer chez les rédacteurs de cas ! En préfaçant leur ouvrage, Christian Blanc et J.P. Bailly attestent implicitement la légitimité de ce récit mais ne garantissent pas la pertinence des interprétations. Difficile position de l'observateur chroniqueur, qui n'est ni juge, ni parti ! Difficulté qu'atténue ici la judicieuse addition, en annexe à la chronique, d'un "regard de l'intérieur" dû à E.Heurgon, qui pour évoquer les nouveaux aspects de la stratégie de la RATP en 1994 ("une nouvelle génération de service public"), suggérera discrètement quelques silences de la chronique ("Qu'il nous soit permis d'imaginer que... Ia direction générale a pratiqué à cette époque une certaine improvisation", p. 310. Suivent trois points de suspension pour que le lecteur entende l'ange qui passe).
Voilà donc l'étude de cas que les praticiens demandent avec tant d'insistance. Elle est littéralement passionnante, et elle illustre de façon convaincante ce que peut être l'exercice de "L'intelligence stratégique de la complexité" (le thème de la 4ème Rencontre MCX d'Aix-en-Provence, 1994). Cela étant, je crains qu'elles ne déçoivent les praticiens qui la réclamaient : "chez nous ça n'est pas pareil, et notre patron est tout le contraire d'un leader charismatique ; comme, sans Christian Blanc, rien de tout cela n'aurait pu se passer, attendons notre Messie local... et ne nous importunez plus avec vos appels à l'intelligence de l'action complexe". Objection classique qui mériterait pourtant d'être relevée, même si les chroniqueurs ne nous donnent que de trop brèves observations facilitant cette discussion : même sans Christian Blanc, même sans métamorphose symbolique, l'organisation complexe RATP aurait-elle été nécessairement à la catastrophe ? N'aurait-elle pas inventé d'autres adaptations ? Pour qui se souvient de la vitalité intellectuelle dont témoignait au début des années quatre-vingt, l'animation du projet mobilisateur "Réseau 2000", peut-on être certain que la capacité stratogique des acteurs à former et à vouloir projets, à ruser intelligemment avec les contraintes internes et externes, n'aurait jamais pu s'exercer ? Peut-être est-ce là ce que nous propose cette méditation sur la modélisation de la complexité de l'organisation : assez d'intelligence pragmatique et assez de culture épistémique pour n'être pas systématiquement dépendant d'un leader charismatique ? Et s'il vaut souvent mieux bénéficier quand même de sonconcours, préférer celui qui, à la manière de Christian Blanc, assume la complexité de l'organisation en ne s'acharnant pas à faire simple sous le prétexte désespérant que "les gens - les autres - ne sont jamais que des êtres humains" !
A. David et B. Roy, dans leurs derniers chapitres s'efforcent de théoriser la transformation d'un processus de pilotage charismatique ("par les relations") en un processus de pilotage politique (plutôt que gestionnaire), médiaté par "l'émergence des savoirs" de et dans l'organisation. Je crains que leur message ne soit difficilement décodable, mais je me dis qu'il nous faudrait faire collectivement l'effort de réfléchir encore sur cette dynamique cognitive par laquelle les acteurs forment projets en forgeant mémoire de leurs interactions. Peut-être alors la métaphore de la métamorphose de l'insecte qui mue, par laquelle nous est présenté ce "cas RATP", s'avérera-t-elle bien contingente ? Il s'agit peut-être de l'auto-éco-ré-organisation... habituelle de nos représentations collectives d'un service public, et l'image de la métamorphose est peut être trop simplette pour en rendre compte ? Avant, pendant, après, le métro et le bus marchaient... pas plus mal qu'ailleurs nous assure-t-on !
Confessons pourtant que l'on voudrait souvent "un peu de Ch. Blanc" dans nos universités, nos hôpitaux, nos ministères, nos mairies ou nos entreprises, publiques etprivées, tant il est lassant d'exercer son intelligence dans des organisations sclérosées par leur inattention à leurs projets autant qu'à leur histoire.
Fiche mise en ligne le 12/02/2003