Note de lecture
Rédigée par G. LE CARDINAL sur l'ouvrage de MONROY Michel : |
« LA SOCIETE DEFENSIVE, Menaces actuelles et réponses collectives » Ed. PUF, paris, 2003, ISBN 2 13 053191 1, 170 pages |
Voir l'ouvrage dans la bibliothèque du RIC |
Ndlr : Cette note de lecture de l'ouvrage de M.Monroy reprend le texte de la préface que notre ami Gille Le Cardinal (animateur de l'Atelier-Forum MCX 22, 'Dynamiques de la confiance' a rédigée pour 'La société défensive. Au nom des lecteurs pensifs qui visisitent le Cahier des Lectures MCX, nous le remercions vivement, ainsi que l'éditeur de ce livre (PUF - Collection Sociologie d'aujourd'hui).
La stratégie défensive, tous les amateurs de football savent qu'elle est incarnée par le célèbre catenachio (cadenas) italien, fondé sur l'idée que l'équipe qui gagne une partie, c'est celle qui encaisse un but de moins que l'autre. Cela donne des matchs ternes, ennuyeux, qui se terminent souvent par le score 0 à 0, ou par des victoires étriquées.
Notre société n'est-elle pas entrain d'adopter systématiquement des attitudes défensives, en pensant plus à se protéger de ce qui la menace, qu'à tirer parti des opportunités qu'ouvre la complexité d'un monde qui se tisse et construit les moyens techniques et organisationnels de son unité.
Aujourd'hui, la menace est partout, nous dit Michel Monroy ; elle a toujours existé, mais, ce qui caractérise notre époque, c'est sa diversité. Elle a un caractère aussi bien local, car elle vise notre vie, notre santé, notre ordinateur, notre maison, notre quartier, notre ville, mais aussi global, puisqu'elle touche l'économie européenne, les marchés mondiaux, l'atmosphère de la planète, le niveau des mers. Nous nous sentons menacés par la nourriture que nous mangeons, par les informations que nous transmettent les médias, par l'air que nous respirons, par les risques inhérents à ce que nous entreprenons, par les organisations que nous mettons en place, par les lois parfois que nous décrétons, par les attaques terroristes imprévisibles, par les défenses même que nous mettons en place pour parer certaines menaces.
Attention, nous dit l'auteur, à ce que les réactions de défense face aux menaces ne soient pas pires que le mal auquel nous tentons de faire face.
Le problème, dit en substance Paul Watzlawick, c'est souvent la solution que nous avons mise en place pour faire face à une situation que nous avons ressentie comme dangereuse et qu'on ne pense plus à remettre en cause. Nous réagissons aux menaces nouvelles de façon épidermique, sur la base des ressentis, loin de la réalité des dangers. Les mesures d'urgence peuvent générer les effets pervers à moyen ou long terme, pires que le mal qu'elles prétendaient amoindrir ou éviter.
Gérer les risques devient en effet la grande affaire du 21° siècle.
Pas d'accroissement de savoir, de savoir-faire, de pouvoir financier, de progrès technologique ou organisationnel sans croissance simultanée des risques, des défauts, des défaillances, des accidents ou de catastrophes nouvelles.
Or, notre monde recherche pourtant avidement la quiétude, que vient troubler et annihiler la menace, en générant la peur, mère de l'inquiétude. Lorsqu'un certain seuil d'inquiétude est franchi, nous sommes stressés, traumatisés, cela peut aller jusqu'à la névrose, la phobie, voire même la psychose. Le psychiatre qu'est Michel Monroy est bien placé pour nous alerter sur le caractère parfois infiniment plus grave de la maladie mentale, que des dangers qu'elle prétendait éviter.
Comme le dit Erol Franko, toute personne se comporte de la façon la plus satisfaisante possible par rapport à sa représentation du monde qui inclut sa culture, ses valeurs, son expérience et ses émotions. Si les réactions défensives à des dangers réels créent plus de mal que les dangers eux-mêmes, c'est que nos représentations sont inadaptées. L'auteur nous invite à prendre conscience de ces inadaptations; par exemple, les ressentis d'un danger ou d'une menace peuvent être disproportionnés par rapport à la situation réelle. Nos réactions peuvent aller du rejet de la complexité du monde pour retrouver la quiétude grâce à une pensée simpliste ou fondamentaliste, jusqu'au surinvestissement sur un type particulier de menaces, que nous surévaluons par rapport aux autres, en passant par des mesures visant le court terme et s'avérant contre-productives dans le long terme. Nous filtrons souvent le moucheron en laissant passer le chameau, faute de critères précis, de statistiques fiables, d'étude économique prenant en compte le long terme.
" La meilleure défense, c'est l'attaque " est un proverbe qui justifie toutes les guerres.
Existe-t-il un juste milieu entre la société vivant sur la fuite des réalités et la société " va-t-en guerre " contre la dernière menace? Comment, avant d'agir, évaluer objectivement les risques, chercher les raisons qui les expliquent, trouver les moyens à long terme de les tarir, identifier les liens, les multiples boucles de rétroaction, les règles de l'interaction entre tous les acteurs d'une situation où les causes et les effets sont enchevêtrés?
On ne gère bien les risques, nous suggère l'auteur, que si toutes les parties concernées - les scientifiques, les politiques, les militaires, les entreprises, les associations et les populations concernées- construisent à travers un dialogue démocratique une représentation commune, informée et concertée de la situation dangereuse et de son contexte. On peut alors élaborer un projet cohérent impliquant des objectifs innovants, tenant compte des multiples contraintes repérées par les uns et les autres. Après s'être mis d'accord sur un certain nombre de critères et leur pondération, véritable tableau de bord servant de support aux décisions, on peut alors conduire un projet de société consensuel. Il ne s'agit plus alors de se défendre, mais d'inventer un avenir qui tienne compte du réel dans toutes ses dimensions de risques, mais aussi d'opportunités, d'invention et de progrès.
Remercions Michel Monroy d'attirer notre attention sur le repliement progressif d'une société frileuse vers des attitudes uniquement défensives qui risquent, si nous n'y prenons garde, de nous enfermer davantage dans nos certitudes inquiètes et de nous éloigner du climat de confiance nécessaire au développement d'une société créative.
Sortir de la naïveté première, nous disait Jacques de Bourbon-Bussay, est la première condition pour construire une société adulte et responsable. Mais prenons garde à ne pas basculer non plus dans la désillusion, la dérision et la perte d'espérance qui constituent les dérives mortelles de la société défensive. Il nous faut retrouver la naïveté seconde de celui qui connaît les dangers et leurs conséquences mais choisit malgré tout de faire des projets risqués en prenant les précautions raisonnables.
J'entends cet ouvrage comme un appel à construire une société qui ait du sens, c'est à dire qui soit au service des desseins les plus élevés de ses citoyens. Inventer une culture, assurer la protection de tous et la solidarité avec les plus vulnérables, pour que chacun puisse mettre au monde son potentiel de créativité.
L'équipe qui gagne nous rappelle les brésiliens, c'est aussi l'équipe qui marque un but de plus que l'autre. Cela donne un jeu créatif, virevoltant, passionnant, où le talent de chacun peut s'exprimer en enflammant le stade.
Ce livre est un cri d'alarme qui nous prévient que, sans réaction de notre part, nous dérivons vers la société défensive et son cortège d'effets pervers. Son utilité est de nous appeler à réagir.
La stratégie défensive, tous les amateurs de football savent qu'elle est incarnée par le célèbre catenachio (cadenas) italien, fondé sur l'idée que l'équipe qui gagne une partie, c'est celle qui encaisse un but de moins que l'autre. Cela donne des matchs ternes, ennuyeux, qui se terminent souvent par le score 0 à 0, ou par des victoires étriquées.
Notre société n'est-elle pas entrain d'adopter systématiquement des attitudes défensives, en pensant plus à se protéger de ce qui la menace, qu'à tirer parti des opportunités qu'ouvre la complexité d'un monde qui se tisse et construit les moyens techniques et organisationnels de son unité.
Aujourd'hui, la menace est partout, nous dit Michel Monroy ; elle a toujours existé, mais, ce qui caractérise notre époque, c'est sa diversité. Elle a un caractère aussi bien local, car elle vise notre vie, notre santé, notre ordinateur, notre maison, notre quartier, notre ville, mais aussi global, puisqu'elle touche l'économie européenne, les marchés mondiaux, l'atmosphère de la planète, le niveau des mers. Nous nous sentons menacés par la nourriture que nous mangeons, par les informations que nous transmettent les médias, par l'air que nous respirons, par les risques inhérents à ce que nous entreprenons, par les organisations que nous mettons en place, par les lois parfois que nous décrétons, par les attaques terroristes imprévisibles, par les défenses même que nous mettons en place pour parer certaines menaces.
Attention, nous dit l'auteur, à ce que les réactions de défense face aux menaces ne soient pas pires que le mal auquel nous tentons de faire face.
Le problème, dit en substance Paul Watzlawick, c'est souvent la solution que nous avons mise en place pour faire face à une situation que nous avons ressentie comme dangereuse et qu'on ne pense plus à remettre en cause. Nous réagissons aux menaces nouvelles de façon épidermique, sur la base des ressentis, loin de la réalité des dangers. Les mesures d'urgence peuvent générer les effets pervers à moyen ou long terme, pires que le mal qu'elles prétendaient amoindrir ou éviter.
Gérer les risques devient en effet la grande affaire du 21° siècle.
Pas d'accroissement de savoir, de savoir-faire, de pouvoir financier, de progrès technologique ou organisationnel sans croissance simultanée des risques, des défauts, des défaillances, des accidents ou de catastrophes nouvelles.
Or, notre monde recherche pourtant avidement la quiétude, que vient troubler et annihiler la menace, en générant la peur, mère de l'inquiétude. Lorsqu'un certain seuil d'inquiétude est franchi, nous sommes stressés, traumatisés, cela peut aller jusqu'à la névrose, la phobie, voire même la psychose. Le psychiatre qu'est Michel Monroy est bien placé pour nous alerter sur le caractère parfois infiniment plus grave de la maladie mentale, que des dangers qu'elle prétendait éviter.
Comme le dit Erol Franko, toute personne se comporte de la façon la plus satisfaisante possible par rapport à sa représentation du monde qui inclut sa culture, ses valeurs, son expérience et ses émotions. Si les réactions défensives à des dangers réels créent plus de mal que les dangers eux-mêmes, c'est que nos représentations sont inadaptées. L'auteur nous invite à prendre conscience de ces inadaptations; par exemple, les ressentis d'un danger ou d'une menace peuvent être disproportionnés par rapport à la situation réelle. Nos réactions peuvent aller du rejet de la complexité du monde pour retrouver la quiétude grâce à une pensée simpliste ou fondamentaliste, jusqu'au surinvestissement sur un type particulier de menaces, que nous surévaluons par rapport aux autres, en passant par des mesures visant le court terme et s'avérant contre-productives dans le long terme. Nous filtrons souvent le moucheron en laissant passer le chameau, faute de critères précis, de statistiques fiables, d'étude économique prenant en compte le long terme.
" La meilleure défense, c'est l'attaque " est un proverbe qui justifie toutes les guerres.
Existe-t-il un juste milieu entre la société vivant sur la fuite des réalités et la société " va-t-en guerre " contre la dernière menace? Comment, avant d'agir, évaluer objectivement les risques, chercher les raisons qui les expliquent, trouver les moyens à long terme de les tarir, identifier les liens, les multiples boucles de rétroaction, les règles de l'interaction entre tous les acteurs d'une situation où les causes et les effets sont enchevêtrés?
On ne gère bien les risques, nous suggère l'auteur, que si toutes les parties concernées - les scientifiques, les politiques, les militaires, les entreprises, les associations et les populations concernées- construisent à travers un dialogue démocratique une représentation commune, informée et concertée de la situation dangereuse et de son contexte. On peut alors élaborer un projet cohérent impliquant des objectifs innovants, tenant compte des multiples contraintes repérées par les uns et les autres. Après s'être mis d'accord sur un certain nombre de critères et leur pondération, véritable tableau de bord servant de support aux décisions, on peut alors conduire un projet de société consensuel. Il ne s'agit plus alors de se défendre, mais d'inventer un avenir qui tienne compte du réel dans toutes ses dimensions de risques, mais aussi d'opportunités, d'invention et de progrès.
Remercions Michel Monroy d'attirer notre attention sur le repliement progressif d'une société frileuse vers des attitudes uniquement défensives qui risquent, si nous n'y prenons garde, de nous enfermer davantage dans nos certitudes inquiètes et de nous éloigner du climat de confiance nécessaire au développement d'une société créative.
Sortir de la naïveté première, nous disait Jacques de Bourbon-Bussay, est la première condition pour construire une société adulte et responsable. Mais prenons garde à ne pas basculer non plus dans la désillusion, la dérision et la perte d'espérance qui constituent les dérives mortelles de la société défensive. Il nous faut retrouver la naïveté seconde de celui qui connaît les dangers et leurs conséquences mais choisit malgré tout de faire des projets risqués en prenant les précautions raisonnables.
J'entends cet ouvrage comme un appel à construire une société qui ait du sens, c'est à dire qui soit au service des desseins les plus élevés de ses citoyens. Inventer une culture, assurer la protection de tous et la solidarité avec les plus vulnérables, pour que chacun puisse mettre au monde son potentiel de créativité.
L'équipe qui gagne nous rappelle les brésiliens, c'est aussi l'équipe qui marque un but de plus que l'autre. Cela donne un jeu créatif, virevoltant, passionnant, où le talent de chacun peut s'exprimer en enflammant le stade.
Ce livre est un cri d'alarme qui nous prévient que, sans réaction de notre part, nous dérivons vers la société défensive et son cortège d'effets pervers. Son utilité est de nous appeler à réagir.
Fiche mise en ligne le 12/03/2003