Note de lecture
Rédigée par JLM sur l'ouvrage de VOM HOFE Alain : |
« INTERACTIONS HOMMES-SYSTEMES, perspectives et recherches psycho-ergonomiques » Ed. Hermés, revue d’Intelligence artificielle Vol 14, N° 1-3, 2000243 pages |
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C'est le souvenir d'un incident industriel qui aurait pu être dramatique qui m'a incité à faire attention à ce dossier qui fait un point récent des études sur ces systèmes complexes par excellence que sont les systèmes dits homme-machine.
Dans une installation très automatisée, la salle de contrôle croulait sous les multiples prescriptions que devaient connaître les opérateurs pour faire face à tous les événements et incidents concevables. La règle de base était : 'Tout ce qui n'est pas expressément autorisé par la consigne est formellement interdit sous peine de sanctions graves pour l'opérateur'. Or une nuit, une brutale inondation coupa cette usine du reste du monde et noya complètement, en sous-sol, la salle des pompes qui assuraient la régulation thermique de l'ensemble. Incident imprévu par les consignes, d'autant plus délicat que les opérateurs de la salle de contrôle n'avaient pas à connaître les détails du fonctionnement de la salle des pompes, la réciproque étant vraie pour les opérateurs de la salle des pompes.
Bien que cela ne soit pas autorisé par les consignes, les deux groupes d'opérateurs se rencontrèrent et échangèrent leur expérience des manœuvres des interconnexions manuelles et des télécommandes des vannes. Ils parvinrent en tâtonnant, en infractions apparente avec les prescriptions, à agencer des circuits insolites en boucles successives, des différents fluides, ce qui retardait, voire évitait les montées en pression et en température qui, dans la nuit et sous une pluie diluvienne, auraient du conduire à une explosion incontrôlable.
Plutôt que de s'acharner à appliquer le règlement (ce qui dans ce cas aurait été vain), ils s'ingéniaient à comprendre les fonctionnements enchevêtrés de ces circuits afin d'élaborer des solutions plausibles susceptibles d'atténuer, puis d'enrayer, un emballement qui aurait été dramatique.
Rien que de très normal, dans ce comportement collectif en situation de crise, où chacun cherche " à comprendre pour faire ", direz vous ?. Certes, mais l'histoire m'avait retenu par sa conséquence visible : La Direction Sécurité du groupe avait publié peu après une circulaire prescrivant sous peine des pires sanctions, de nouvelles prescriptions très contraignantes. Et nul, apparemment, ne tirait la leçon principale de cette crise : Les êtres humains sont souvent capables, lorsqu'ils parviennent à se représenter le contexte dans lequel ils agissent, de le comprendre assez pour élaborer en raison gardant, des solutions non pré programmées et pourtant pertinentes. Plutôt que de partir du principe : " Tout ce qui n'est pas expressément autorisé est interdit ", ne vaudrait il pas mieux du principe : " Tout ce qui n'est pas expressivement interdit est autorisé ", en suscitant les conditions qui facilitent la compréhension de l'action dans et sur le contexte, en se souvenant que ce contexte agit sur les opérateurs qui le transforment.
Cette observation, somme toute banale en effet, a, pour la conception des systèmes hommes machines, une conséquence souvent oubliée : Si l'opérateur ne comprend pas ce que fait la machine et ce que représentent les interfaces qui le mettent en communications active avec ses artefacts machiniques, pourra t il les piloter intelligemment.. ? Insistons sur le caractère fonctionnel (ou systémique) de cette compréhension. Les schémas habituels des systèmes machiniques décrivent souvent plus leur anatomie (De quoi sont-ils faits ?) que leur physiologie (Que font ils ? , que devraient ils faire ? , que pourraient ils faire ? ), et ils postulent couramment une définition linéaire de la relation organe-fonction, alors qu'elle est souvent 'pléïotropique' (disent les biologistes : Plusieurs fonctions assurées par un même organe. Ainsi la clé anglaise qui peut aussi enfoncer un clou !)
Les études rassemblées dans ce dossier indiquent que l'on progresse, lentement encore, dans cette voie. Les pesanteurs analytiques de la culture des ergonomes, (culture si longtemps imprégnée par la mesure en erg du travail humain et l'évaluation des postes de travail en " points Bedeaux ") pèsent sans doute encore dans le langage et dans la conception linéaire du rapport compétence-performance. Mais en se " cognitivisant ", l'ergonomie explore des champs nouveaux qui l'incitent à élargir son éventail épistémologique. En outre la transformation de nos images des interactions hommes - systèmes devient si familière qu'elle ne peut plus être seulement affaire d'experts ergonomes : La " navigation sur le web " enrichit considérablement les terrains d'expérience (ce qui nous vaut ici quelques études intéressantes sur l'impact des animations d'écrans ou sur l'intégration des images dans la compréhension des textes). Les études de J M Hoc sur le caractère dynamique des relations homme-machine (Donner à l'homme des cadres pour interpréter l'action, et inventer de " nouvelles idées de machines "), et de Nizet-Amalberti (sur la prise en compte des routines cognitives et organisationnelles dans les environnements) illustrent cette évolution. Evolution qui semble encore timide, tant chacun craint de sortir de sa spécialité et d'affronter l'intelligible complexité de l'action humaine : Est-il vraiment important de savoir, comme le suggère l'article de J. Long, s'il faut vraiment séparer la psychologie cognitive de l'ergonomie cognitive ?
Ces études, qui nous indiquent quelques une des perspectives des recherches actuelles sur les interactions homme systèmes, me remettent en mémoire la parabole de la gestion des carrefours routiers :
- Si on parie que les opérateurs sont capables seulement d'appliquer le règlement sans chercher à le comprendre, on installe des réseaux de feux de régulation de la circulation, commandés par un ordinateur central qui sait toujours mieux que les conducteurs, ainsi 'trivialisés', ce qui est bon pour eux.
- Si on parie qu'ils sont normalement intelligents et autonomes, capables d'élaborer leur comportement dés lors qu'ils peuvent s' informer aisément sur le contexte de l'action, on installe des giratoires qui, forçant à ralentir, permettent à chacun, ainsi autonomisé, d'interagir en bonne intelligence avec le système.
Deux types d'interactions homme - systèmes, dont nul ne peut prouver que l'un est toujours supérieur à l'autre. Ce qui nous laisse la liberté de choisir celui que civiquement nous préférons ici et maintenant. La parabole se généralise aisément à bien des interactions hommes - systèmes familières que nous percevons complexes !
JLM.
Dans une installation très automatisée, la salle de contrôle croulait sous les multiples prescriptions que devaient connaître les opérateurs pour faire face à tous les événements et incidents concevables. La règle de base était : 'Tout ce qui n'est pas expressément autorisé par la consigne est formellement interdit sous peine de sanctions graves pour l'opérateur'. Or une nuit, une brutale inondation coupa cette usine du reste du monde et noya complètement, en sous-sol, la salle des pompes qui assuraient la régulation thermique de l'ensemble. Incident imprévu par les consignes, d'autant plus délicat que les opérateurs de la salle de contrôle n'avaient pas à connaître les détails du fonctionnement de la salle des pompes, la réciproque étant vraie pour les opérateurs de la salle des pompes.
Bien que cela ne soit pas autorisé par les consignes, les deux groupes d'opérateurs se rencontrèrent et échangèrent leur expérience des manœuvres des interconnexions manuelles et des télécommandes des vannes. Ils parvinrent en tâtonnant, en infractions apparente avec les prescriptions, à agencer des circuits insolites en boucles successives, des différents fluides, ce qui retardait, voire évitait les montées en pression et en température qui, dans la nuit et sous une pluie diluvienne, auraient du conduire à une explosion incontrôlable.
Plutôt que de s'acharner à appliquer le règlement (ce qui dans ce cas aurait été vain), ils s'ingéniaient à comprendre les fonctionnements enchevêtrés de ces circuits afin d'élaborer des solutions plausibles susceptibles d'atténuer, puis d'enrayer, un emballement qui aurait été dramatique.
Rien que de très normal, dans ce comportement collectif en situation de crise, où chacun cherche " à comprendre pour faire ", direz vous ?. Certes, mais l'histoire m'avait retenu par sa conséquence visible : La Direction Sécurité du groupe avait publié peu après une circulaire prescrivant sous peine des pires sanctions, de nouvelles prescriptions très contraignantes. Et nul, apparemment, ne tirait la leçon principale de cette crise : Les êtres humains sont souvent capables, lorsqu'ils parviennent à se représenter le contexte dans lequel ils agissent, de le comprendre assez pour élaborer en raison gardant, des solutions non pré programmées et pourtant pertinentes. Plutôt que de partir du principe : " Tout ce qui n'est pas expressément autorisé est interdit ", ne vaudrait il pas mieux du principe : " Tout ce qui n'est pas expressivement interdit est autorisé ", en suscitant les conditions qui facilitent la compréhension de l'action dans et sur le contexte, en se souvenant que ce contexte agit sur les opérateurs qui le transforment.
Cette observation, somme toute banale en effet, a, pour la conception des systèmes hommes machines, une conséquence souvent oubliée : Si l'opérateur ne comprend pas ce que fait la machine et ce que représentent les interfaces qui le mettent en communications active avec ses artefacts machiniques, pourra t il les piloter intelligemment.. ? Insistons sur le caractère fonctionnel (ou systémique) de cette compréhension. Les schémas habituels des systèmes machiniques décrivent souvent plus leur anatomie (De quoi sont-ils faits ?) que leur physiologie (Que font ils ? , que devraient ils faire ? , que pourraient ils faire ? ), et ils postulent couramment une définition linéaire de la relation organe-fonction, alors qu'elle est souvent 'pléïotropique' (disent les biologistes : Plusieurs fonctions assurées par un même organe. Ainsi la clé anglaise qui peut aussi enfoncer un clou !)
Les études rassemblées dans ce dossier indiquent que l'on progresse, lentement encore, dans cette voie. Les pesanteurs analytiques de la culture des ergonomes, (culture si longtemps imprégnée par la mesure en erg du travail humain et l'évaluation des postes de travail en " points Bedeaux ") pèsent sans doute encore dans le langage et dans la conception linéaire du rapport compétence-performance. Mais en se " cognitivisant ", l'ergonomie explore des champs nouveaux qui l'incitent à élargir son éventail épistémologique. En outre la transformation de nos images des interactions hommes - systèmes devient si familière qu'elle ne peut plus être seulement affaire d'experts ergonomes : La " navigation sur le web " enrichit considérablement les terrains d'expérience (ce qui nous vaut ici quelques études intéressantes sur l'impact des animations d'écrans ou sur l'intégration des images dans la compréhension des textes). Les études de J M Hoc sur le caractère dynamique des relations homme-machine (Donner à l'homme des cadres pour interpréter l'action, et inventer de " nouvelles idées de machines "), et de Nizet-Amalberti (sur la prise en compte des routines cognitives et organisationnelles dans les environnements) illustrent cette évolution. Evolution qui semble encore timide, tant chacun craint de sortir de sa spécialité et d'affronter l'intelligible complexité de l'action humaine : Est-il vraiment important de savoir, comme le suggère l'article de J. Long, s'il faut vraiment séparer la psychologie cognitive de l'ergonomie cognitive ?
Ces études, qui nous indiquent quelques une des perspectives des recherches actuelles sur les interactions homme systèmes, me remettent en mémoire la parabole de la gestion des carrefours routiers :
- Si on parie que les opérateurs sont capables seulement d'appliquer le règlement sans chercher à le comprendre, on installe des réseaux de feux de régulation de la circulation, commandés par un ordinateur central qui sait toujours mieux que les conducteurs, ainsi 'trivialisés', ce qui est bon pour eux.
- Si on parie qu'ils sont normalement intelligents et autonomes, capables d'élaborer leur comportement dés lors qu'ils peuvent s' informer aisément sur le contexte de l'action, on installe des giratoires qui, forçant à ralentir, permettent à chacun, ainsi autonomisé, d'interagir en bonne intelligence avec le système.
Deux types d'interactions homme - systèmes, dont nul ne peut prouver que l'un est toujours supérieur à l'autre. Ce qui nous laisse la liberté de choisir celui que civiquement nous préférons ici et maintenant. La parabole se généralise aisément à bien des interactions hommes - systèmes familières que nous percevons complexes !
JLM.
Fiche mise en ligne le 02/06/2003