Note de lecture
Rédigée par JLM sur l'ouvrage de MORIN Edgar, MOTTA Raul, CIURANA Emilio : |
« EDUQUER POUR L’ÈRE PLANETAIRE, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine. » Ed. Balland Paris. 2003, ISBN 2 7158 1454 2, 158 P. |
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"Or au moment où la planète a de plus en plus besoin d'esprits aptes à saisir ses problèmes fondamentaux et globaux, apte à comprendre leur complexité, … les systèmes d'enseignemen,t en tous pays, continuent à morceler et disjoindre les connaissances qui devraient être reliées. … Notre formation scolaire, universitaire, professionnelle fait de nous des aveugles politique et nous empêche d'assumer notre condition désormais nécessaire de citoyen de la Terre. D'où l'urgence vitale d' ''éduquer pour l'ère planétaire'', …" (p. 10). Ainsi s'annonce le projet de ce petit livre au titre ambitieux. Ambitieux et pourtant si manifestement légitime à l'aube du XXI° siècle ! N'est ce pas l'UNESCO qui a lancé un projet transdisciplinaire sous le titre : " Eduquer pour un avenir viable " ? Projet qui a suscité la constitution en Amérique latine d'une 'chaire itinérante Edgar Morin pour la pensée complexe', suscitant ainsi nombre " de riches et multiples expériences en Colombie, Mexique, Brésil, Bolivie, Argentine, Chili ", expériences qui mobilisent encore les trois auteurs de cet ouvrage. La longue amitié que l'Argentin R. Motta, l'Espagnol E. R. Ciurana, et Edgar Morin ont forgé au fil de ces itinérances, a activé leurs réflexions : Il fallait prolonger et réactiver les thèses que dégagent les trois " classiques de l'éducation" d'Edgar Morin ( 'La tête bien faite', 1999, 'Relier les connaissances', 1999, et 'Les sept savoirs', 2000 ), en " éclairant la notion d'ère planétaire, dans sa perspective historique et sa complexité multidimensionnelle ".(p. 12).
Pour le lecteur francophone familier de l'œuvre d'Edgar Morin, les cent cinquante pages de ce nouvel Essai sont particulièrement intéressantes, puisqu'il dispose ainsi d'un autre regard, plus hispanophone, sur le même paysage : Ces glissements del'éclairage mettent en valeur des zones encore peu observées, et atténuent la brillance de quelques autres que l'on privilégiait ; Ce sera par exemple le cas de la lecture de 'La Méthode', entendue comme son nom ne l'indique pas, comme " chemin, essai génératif et stratégique 'pour' et 'de' la pensée " (p. 18).
Ah, combien est vif mon regret du refus de l'étymologie de reconnaître dans ce mot "Méthode " la conjonction des mots grecs 'Métis' (la ruse, l'invention) et 'Hodos' (la voie, le chemin) ! Méthode, chemins tâtonnant ('Essai', disent aussi nos auteurs, reprenant volontiers le mot de Montaigne) de l'invention, de la création, de l'expérience. La 'méthode - chemin' … " ne précède pas l'expérience, mais émerge pendant celle ci et se manifeste à la fin, en vue d'un nouveau voyage, peut-être. " (p. 21).
L'Essai donc est organisé en trois parties, les deux premières ('La méthode' et 'La complexité de la pensée complexe') étayant et convergeant vers la dernière : " Les défis de l'ère planétaire ". Celle ci occupe légitimement la moitié de l'ouvrage, puisqu'il s'agit ici d'expliciter " la mission de l'éducation pour l'ère planétaire " (p. 132 +). " Qui éduquera les éducateurs ? ". Allons-nous une fois encore reprendre la réponse passe partout de Platon : " Ce seront les prêtres et les prêtresses qui ont reçu des cieux la sagesse divine " ? ou préférerons-nous la réponse de Ménon, ou plus proche de nous, celle de G Vico : " Puisque l'humanité est son œuvre à elle-même ", ne sera t elle pas capable de produire aussi l'éducation qui la produit ? C'est à dessein que je cite ici G. Vico (que citait J.Michelet se différenciant d'Auguste Comte divinisant l'Humanité pour mieux assurer son autorité symbolique de 'Grand Prêtre') : Il ne s'agit pas de substituer le culte de la Terre Patrie à celui de 'l'Humanité-Matrie' (p. 98). Il s'agit de reconnaître que " l'Odyssée de l'humanité demeure inconnue ", et la mission de l'éducation planétaire est d'humaniser l'hominisation (p. 135), de " civiliser la civilisation " (p. 148). Elle est de reconnaître que le sous développement moral, psychique et intellectuel des développés s'accroît aujourd'hui avec le développement techno économique (p. 139), et que nous pouvons aussi " repenser le développement ", inventer une politique de civilisation qui ne se fonde plus sur " la certitude absolue d'une loi du progrès " (p. 143). " Ce n'est pas l'espérance qui fait vivre, c'est l'existence qui crée l'espérance qui permet de vivre " (p. 151).
Puisque je ne peux ici développer les arguments et les principes que reprend cet essai qui s'adresse à tous et pas aux seuls éducateurs (mais qui saura les définir de façon spécifique ?), me revient en mémoire une page que P. Valery écrivait en 1933. Comme je m'irritais du nombre des 'il faut que…' qui parsèment les pages de cet essai, leur donnant par moment un tour quelque peu moralisateur, je me suis souvenu que P. Valéry, lui aussi, méditant sur le même sujet (qu'il intitulait " La politique de l'esprit, notre souverain bien " O.C. T 1, Ed. Pléiades, p. 1040), n'échappait pas à ces 'il faut que…'. " …En somme,il devient de plus en plus vain, et même de plus en plus dangereux, de prévoir à partir de données empruntées à la veille ou à l'avant-veille ; mais il demeure sage … de se tenir prêt à tout, ou à presque tout. Il faut conserver dans nos esprits et dans nos cœurs la volonté de lucidité, la netteté de l'intellect, le sentiment de la grandeur et du risque, de l'aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain, s'éloignant peut-être démesurément des conditions premières et naturelles de l'espèce, s'est engagé, allant je ne sais où !".
Eduquer pour l'ère planétaire, n'est ce pas se préparer à participer à cette 'aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain,… s'est engagé, allant je ne sais où ' ? Les réflexions, riches d'expériences et de dialogues dans tant de cultures et de lieux divers, que nous propose cette Troïka de 'la méthode d'apprentissage dans l'incertitude', nous y aide aujourd'hui.
J.L. Le Moigne
Pour le lecteur francophone familier de l'œuvre d'Edgar Morin, les cent cinquante pages de ce nouvel Essai sont particulièrement intéressantes, puisqu'il dispose ainsi d'un autre regard, plus hispanophone, sur le même paysage : Ces glissements del'éclairage mettent en valeur des zones encore peu observées, et atténuent la brillance de quelques autres que l'on privilégiait ; Ce sera par exemple le cas de la lecture de 'La Méthode', entendue comme son nom ne l'indique pas, comme " chemin, essai génératif et stratégique 'pour' et 'de' la pensée " (p. 18).
Ah, combien est vif mon regret du refus de l'étymologie de reconnaître dans ce mot "Méthode " la conjonction des mots grecs 'Métis' (la ruse, l'invention) et 'Hodos' (la voie, le chemin) ! Méthode, chemins tâtonnant ('Essai', disent aussi nos auteurs, reprenant volontiers le mot de Montaigne) de l'invention, de la création, de l'expérience. La 'méthode - chemin' … " ne précède pas l'expérience, mais émerge pendant celle ci et se manifeste à la fin, en vue d'un nouveau voyage, peut-être. " (p. 21).
L'Essai donc est organisé en trois parties, les deux premières ('La méthode' et 'La complexité de la pensée complexe') étayant et convergeant vers la dernière : " Les défis de l'ère planétaire ". Celle ci occupe légitimement la moitié de l'ouvrage, puisqu'il s'agit ici d'expliciter " la mission de l'éducation pour l'ère planétaire " (p. 132 +). " Qui éduquera les éducateurs ? ". Allons-nous une fois encore reprendre la réponse passe partout de Platon : " Ce seront les prêtres et les prêtresses qui ont reçu des cieux la sagesse divine " ? ou préférerons-nous la réponse de Ménon, ou plus proche de nous, celle de G Vico : " Puisque l'humanité est son œuvre à elle-même ", ne sera t elle pas capable de produire aussi l'éducation qui la produit ? C'est à dessein que je cite ici G. Vico (que citait J.Michelet se différenciant d'Auguste Comte divinisant l'Humanité pour mieux assurer son autorité symbolique de 'Grand Prêtre') : Il ne s'agit pas de substituer le culte de la Terre Patrie à celui de 'l'Humanité-Matrie' (p. 98). Il s'agit de reconnaître que " l'Odyssée de l'humanité demeure inconnue ", et la mission de l'éducation planétaire est d'humaniser l'hominisation (p. 135), de " civiliser la civilisation " (p. 148). Elle est de reconnaître que le sous développement moral, psychique et intellectuel des développés s'accroît aujourd'hui avec le développement techno économique (p. 139), et que nous pouvons aussi " repenser le développement ", inventer une politique de civilisation qui ne se fonde plus sur " la certitude absolue d'une loi du progrès " (p. 143). " Ce n'est pas l'espérance qui fait vivre, c'est l'existence qui crée l'espérance qui permet de vivre " (p. 151).
Puisque je ne peux ici développer les arguments et les principes que reprend cet essai qui s'adresse à tous et pas aux seuls éducateurs (mais qui saura les définir de façon spécifique ?), me revient en mémoire une page que P. Valery écrivait en 1933. Comme je m'irritais du nombre des 'il faut que…' qui parsèment les pages de cet essai, leur donnant par moment un tour quelque peu moralisateur, je me suis souvenu que P. Valéry, lui aussi, méditant sur le même sujet (qu'il intitulait " La politique de l'esprit, notre souverain bien " O.C. T 1, Ed. Pléiades, p. 1040), n'échappait pas à ces 'il faut que…'. " …En somme,il devient de plus en plus vain, et même de plus en plus dangereux, de prévoir à partir de données empruntées à la veille ou à l'avant-veille ; mais il demeure sage … de se tenir prêt à tout, ou à presque tout. Il faut conserver dans nos esprits et dans nos cœurs la volonté de lucidité, la netteté de l'intellect, le sentiment de la grandeur et du risque, de l'aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain, s'éloignant peut-être démesurément des conditions premières et naturelles de l'espèce, s'est engagé, allant je ne sais où !".
Eduquer pour l'ère planétaire, n'est ce pas se préparer à participer à cette 'aventure extraordinaire dans laquelle le genre humain,… s'est engagé, allant je ne sais où ' ? Les réflexions, riches d'expériences et de dialogues dans tant de cultures et de lieux divers, que nous propose cette Troïka de 'la méthode d'apprentissage dans l'incertitude', nous y aide aujourd'hui.
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 17/06/2003