Note de lecture
Rédigée par Simon LAFLAMME sur l'ouvrage de THERET Bruno : |
« PROTECTION SOCIALE et FÉDÉRALISME. L’Europe dans le miroir de l’Amérique du Nord » Bruxelles, Presses Interuniversitaires Européennes-Peter Lang et Québec, Presses de l’Université de Montréal, 2002, 495 p |
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Comme plusieurs spécialistes, l'auteur estime que l'Union européenne doit prendre la forme d'une fédération. Il souligne que ce regroupement de nations, bien qu'il ait pour corollaire une économie transfrontalière, doit veiller à la " protection sociale ". Il se demande alors si ce projet ne pourrait pas s'inspirer de l'exemple de quelque fédération existante. Sa réponse est affirmative : le Canada.
La position de Bruno Théret repose sur une analyse critique qui oblige à mettre de côté les " États unitaires décentralisés " qui ne sont pas de " véritables fédérations " (p. 28). Il y a réellement fédération, soutient l'auteur, que lorsque les entités réunies, malgré qu'elles se soumettent à un gouvernement central, disposent de pouvoir réels grâce auxquels elles peuvent se reproduire dans leur spécificité. Une fédération est, par définition, plurielle, et cela se manifeste dans l'ordre du politique comme dans celui de l'économie, de la culture, de l'histoire. Puisqu'il en est ainsi, Bruno Théret rejette le cas états-unien. Les États-Unis apparaissent davantage comme une fédération intra-étatique qu'inter étatique. Ils sont, en cela, comme l'Allemagne ou la Suisse. Ils ne peuvent représenter un modèle pour l'Union européenne. Il faut ajouter à cela que les États-Unis sont animés par une vision libérale, néo-libérale qui limite énormément les responsabilités de l'État envers les citoyens et qui soumet aisément les questions sociales aux impératifs du libre-échange. Un tel esprit est peu compatible avec les traditions européennes.
À l'heure de la mondialisation, toutefois, si l'État-providence est toujours nécessaire, il est impossible pour les gouvernements de faire abstraction des contraintes extranationales de l'économie. L'Europe, ici, doit savoir tirer des leçons de l'Amérique du Nord où la nouvelle économie participe plus normalement du politique. Mais Bruno Théret rappelle que " c'est moins l'économique que le politique qui conforme les systèmes nationaux de protection sociale " (p. 424). S'il est vrai que l'économique est déterminant, une analyse comparée des États-Unis et du Canada à cet égard révèle à quel point les positions que prennent ou doivent prendre les autorités politiques agissent elles-mêmes sur l'économique. Puisqu'il en est ainsi, la forme que prennent les gouvernements est fondamentale. Au sein d'une fédération où les États disposent de moyens pour intervenir sur eux-mêmes, sur les autres et sur le gouvernement central, il est moins possible pour ce gouvernement d'assujettir l'ensemble aux simples facteurs économiques. Mieux encore, il lui est plus facile de généraliser des politiques sociales. Mais alors la politique peut aussi bien prendre la voie du conflit que celle de la coopération, avec des variations dans le temps, avec des mouvances entre les régions, avec des protagonistes différents. Sur une longue période, ces fluctuations, cet ensemble complexe d'actions contextuelles sont " propice[s] à l'innovation politique " (p. 429) en ce sens qu'ils favorisent une intégration des politiques économiques et sociales : " [la forme fédérale de gouvernement] n'a pas été au Canada un obstacle au développement d'un État-providence développé " (p. 429). Cette capacité qu'ont les États à agir sur le gouvernement central, et celui-ci sur ceux-là, en faisant en sorte que soit toujours rappelée l'importance des politiques sociales, elle en vient à assurer, comme par une étrange dialectique, la reproduction identitaire des entités constituantes ; la fédération se reproduit alors dans la diversité en assurant l'existence de chacune des parties.
La thèse est intéressante. Elle l'est par son originalité. L'Union européenne se voit bien plus souvent dans le miroir des États Unis - c'est-à-dire d'après ce qu'elle ne veut pas être - que dans celui du Canada. Elle est aussi originale par l'ampleur du travail qui a été réalisé. Elle s'appuie sur de nombreuses théories, sur plusieurs analyses, sur une grande diversité d'opinions ; or, elle ne se laisse pas distraire par chacune d'elle ; elle est toujours critique et elle se donne toujours de la perspective. Elle est critique des autres théories dont elle devient une synthèse prudente qui se risque malgré tout à déclarer que : " les systèmes fédéraux sont inventés pour résoudre des problèmes politiques et non pas économiques, leur justification ultime résidant dans leur capacité à maintenir la paix sur leur territoire, en empêchant toute domination sur les autres d'une des unités politiques composant la fédération et en protégeant l'ensemble fédéré contre toute agression extérieure " (p. 62). Sur la situation canadienne, la thèse est bien documentée ; mais sa force est très certainement d'avoir tenu compte de ce qui avait été écrit sans se laisser aveugler par les attitudes discursives, si prégnantes soient-elles. Le livre est ainsi très instructif sur la fédération canadienne.
Dans quelle mesure les conclusions de l'ouvrage serviront-elles l'objectif de la démarche de l'auteur ? Il est difficile de répondre à cette question. Et en vertu même de ses propres conclusions : les rapports entre les États qui se regroupent et le gouvernement qui les réunit sont tels qu'ils sont capables d'innovation, c'est-à-dire de générer leur propre histoire, et donc leurs propres institutions. Mais l'exercice aura sans nul doute su informer les acteurs politiques des facultés d'un État-providence fédéral en Amérique du Nord.
La position de Bruno Théret repose sur une analyse critique qui oblige à mettre de côté les " États unitaires décentralisés " qui ne sont pas de " véritables fédérations " (p. 28). Il y a réellement fédération, soutient l'auteur, que lorsque les entités réunies, malgré qu'elles se soumettent à un gouvernement central, disposent de pouvoir réels grâce auxquels elles peuvent se reproduire dans leur spécificité. Une fédération est, par définition, plurielle, et cela se manifeste dans l'ordre du politique comme dans celui de l'économie, de la culture, de l'histoire. Puisqu'il en est ainsi, Bruno Théret rejette le cas états-unien. Les États-Unis apparaissent davantage comme une fédération intra-étatique qu'inter étatique. Ils sont, en cela, comme l'Allemagne ou la Suisse. Ils ne peuvent représenter un modèle pour l'Union européenne. Il faut ajouter à cela que les États-Unis sont animés par une vision libérale, néo-libérale qui limite énormément les responsabilités de l'État envers les citoyens et qui soumet aisément les questions sociales aux impératifs du libre-échange. Un tel esprit est peu compatible avec les traditions européennes.
À l'heure de la mondialisation, toutefois, si l'État-providence est toujours nécessaire, il est impossible pour les gouvernements de faire abstraction des contraintes extranationales de l'économie. L'Europe, ici, doit savoir tirer des leçons de l'Amérique du Nord où la nouvelle économie participe plus normalement du politique. Mais Bruno Théret rappelle que " c'est moins l'économique que le politique qui conforme les systèmes nationaux de protection sociale " (p. 424). S'il est vrai que l'économique est déterminant, une analyse comparée des États-Unis et du Canada à cet égard révèle à quel point les positions que prennent ou doivent prendre les autorités politiques agissent elles-mêmes sur l'économique. Puisqu'il en est ainsi, la forme que prennent les gouvernements est fondamentale. Au sein d'une fédération où les États disposent de moyens pour intervenir sur eux-mêmes, sur les autres et sur le gouvernement central, il est moins possible pour ce gouvernement d'assujettir l'ensemble aux simples facteurs économiques. Mieux encore, il lui est plus facile de généraliser des politiques sociales. Mais alors la politique peut aussi bien prendre la voie du conflit que celle de la coopération, avec des variations dans le temps, avec des mouvances entre les régions, avec des protagonistes différents. Sur une longue période, ces fluctuations, cet ensemble complexe d'actions contextuelles sont " propice[s] à l'innovation politique " (p. 429) en ce sens qu'ils favorisent une intégration des politiques économiques et sociales : " [la forme fédérale de gouvernement] n'a pas été au Canada un obstacle au développement d'un État-providence développé " (p. 429). Cette capacité qu'ont les États à agir sur le gouvernement central, et celui-ci sur ceux-là, en faisant en sorte que soit toujours rappelée l'importance des politiques sociales, elle en vient à assurer, comme par une étrange dialectique, la reproduction identitaire des entités constituantes ; la fédération se reproduit alors dans la diversité en assurant l'existence de chacune des parties.
La thèse est intéressante. Elle l'est par son originalité. L'Union européenne se voit bien plus souvent dans le miroir des États Unis - c'est-à-dire d'après ce qu'elle ne veut pas être - que dans celui du Canada. Elle est aussi originale par l'ampleur du travail qui a été réalisé. Elle s'appuie sur de nombreuses théories, sur plusieurs analyses, sur une grande diversité d'opinions ; or, elle ne se laisse pas distraire par chacune d'elle ; elle est toujours critique et elle se donne toujours de la perspective. Elle est critique des autres théories dont elle devient une synthèse prudente qui se risque malgré tout à déclarer que : " les systèmes fédéraux sont inventés pour résoudre des problèmes politiques et non pas économiques, leur justification ultime résidant dans leur capacité à maintenir la paix sur leur territoire, en empêchant toute domination sur les autres d'une des unités politiques composant la fédération et en protégeant l'ensemble fédéré contre toute agression extérieure " (p. 62). Sur la situation canadienne, la thèse est bien documentée ; mais sa force est très certainement d'avoir tenu compte de ce qui avait été écrit sans se laisser aveugler par les attitudes discursives, si prégnantes soient-elles. Le livre est ainsi très instructif sur la fédération canadienne.
Dans quelle mesure les conclusions de l'ouvrage serviront-elles l'objectif de la démarche de l'auteur ? Il est difficile de répondre à cette question. Et en vertu même de ses propres conclusions : les rapports entre les États qui se regroupent et le gouvernement qui les réunit sont tels qu'ils sont capables d'innovation, c'est-à-dire de générer leur propre histoire, et donc leurs propres institutions. Mais l'exercice aura sans nul doute su informer les acteurs politiques des facultés d'un État-providence fédéral en Amérique du Nord.
Simon Laflamme
Fiche mise en ligne le 20/09/2003