Note de lecture
Rédigée par LE MOIGNE Jean-Louis sur l'ouvrage de CHASTEL André : |
« LEONARD ou les SCIENCES de la PEINTURE » Editions Liana Levy, 2002, ISBN 2 86746312 2, 89p |
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" Ainsi pour la première fois dans l'histoire, on voit placer au sommet de l'organum, de l'ensemble des connaissances la peinture, c'est dire la réalisation graphique, visuelle, de la représentation "(P.67). En campant dans ces termes le projet épistémologique de Léonard de Vinci, A Chastel soulignait l'importance de cette innovation - ou de cette restauration - pour la formation contemporaine des connaissances scientifique.
Provocation, (ou sacrilège) s'écriront les conservateurs du Mausolée de " la science positive " ! Occasion plutôt de " réfléchir un peu sur cette signification exaltée de la peinture " répondait A. Chastel dans ce texte qui fut celui de sa dernière allocution publique, présentée à la Cité des sciences et de l'Industrie le 12 Juin 1990.
Si l'idée que nous avons de la peinture " avec notre expérience du XIX° et du XX° siècle ", ne coïncide pas avec celle que se formait Léonard, " l'activité de représentation dans l'espace ". " La peinture est d'abord dans l'esprit de celui qui la conçoit et ne peut venir à sa perfection sans l'opération manuelle " écrit il, ajoutant : " Les premiers principes vrais et scientifiques de la peinture établissent ce qu'est le corps opaque, l'ombre primitive et dérivée, l'éclairage, c'est à dire obscurité, lumière, couleur volume, figure, emplacement, distance, proximité, mouvement et repos. … Tout cela se comprend mentalement, sans travail manuel ; Cela constitue la science de la peinture, résidant dans l'esprit du théoricien qui la conçoit, une 'cosa mentale' (une 'chose mentale')". Mais, ajoute Léonard, " La science de la peinture procède ensuite à l'exécution., beaucoup plus noble que ladite théorie ou science " (p.69)
Il y a là, souligne A Chastel, la base de presque toute sa réflexion : La représentation dans l'espace entraîne l'assimilation du visuel (c'est à dire le sensoriel) au conceptuel (c'est à dire au mental), (p.70). En terme contemporain on peut je crois traduire le projet épistémologique de Léonard en une devise des épistémologies constructivistes ou pragmatistes : 'Par la modélisation, nous pouvons consciemment transformer l'expérience en science avec conscience'. A Chastel le développe en des termes saisissants :
" L'idée est que le passage par la représentation graphique est essentiel, finalement, à toutes les connaissances. Quand Léonard soutient que l'œil est le prince des mathématiques, qu'il a crée l'astronomie, la cosmographie, etc., il veut dire que l'œil- c'est à dire l'activité sensorielle - est lié à l'activité graphique, laquelle est l'intermédiaire entre la découverte sensorielle et la représentation mentale. Voilà, je crois la clef du système de Léonard " (p.72). "Tout relève des sens, mais appelle le constat graphique" (p.73). A. Chastel ne francise pas ici le mot " Disegno ", cher à Léonard, le 'dessin à dessein' traduirait-on, la modélisation dirons-nous aujourd'hui en perdant un peu la saveur de la transition verbale et cognitive qui mène du Disegno italien au Design anglo-saxon.
Comment ne pas être sensible à la prégnance cette métaphore de la médiation par laquelle l'expérience sensible se transforme en science avec conscience ('Cosa mentale'), médiation artificieuse de' l'activité graphique', le 'disegno' par construction de systèmes de symboles. Médiation par laquelle, dira G Vico plus tard, " l'ensemble des sensation est transformé en un monde de signification ". Médiation qu'appellera ensuite P. Valéry " On a toujours cherché des explications quand c'était des représentations qu'on pouvait seulement essayer d'inventer ".Ou, plus prés de nous, H A Simon : " La modélisation est le principal outil pour l'étude des comportements des systèmes complexes "
J'ai privilégié ici le troisième chapitre ('Peinture et science', 1990) de ce petit opus posthume d'A Chastel, au titre singulier encore dans les institutions scientifiques traditionnelles, puisqu'il en appelle aux sciences de la peinture, laquelle, assure-t-on souvent encore ne saurait être ni objet ni projet de sciences. Les deux premiers chapitres, rédigés en des circonstances moins académiques et plus anciennes (1952 et 1982), peuvent pourtant être appelées aussi au crédit de cette thèse créatrice du grand historien de l'Art (et en particulier de l'art de la renaissance). On y voit plus intensément peut-être l'attention exemplaire qu'attachait Léonard dans ses cahiers à la 'critique épistémologique interne' de ses propres recherches ('hostinato rigore'). Il faut savoir gré à l'éditeur et à Mme C Lorgues-Lapouge qui a compilé, illustré et organisé cet ouvrage de leur initiative. Les chercheurs et praticiens attentifs à la légitimation des modélisations des systèmes complexes qu'ils rencontrent sans cesse risquaient pourtant d'ignorer ce repère épistémologique si bienvenu aujourd'hui, car ce livre dans une collection " Art " qui ne leur est peut-être pas familière. C'est ce qui m'a incité à insérer cette Note de Lecture dans le Cahier des Lectures MCX.
Peut être trouverons-nous, chemins faisant, quelques autres lecteurs qui nous rappelleront l'attention épistémologique que nous pourrions prêter aussi aux traités oubliés sur les sciences de l'architecture (de Vitruve à Ph Boudon), de la musique, des jardins, ou du génie théâtral ?
Provocation, (ou sacrilège) s'écriront les conservateurs du Mausolée de " la science positive " ! Occasion plutôt de " réfléchir un peu sur cette signification exaltée de la peinture " répondait A. Chastel dans ce texte qui fut celui de sa dernière allocution publique, présentée à la Cité des sciences et de l'Industrie le 12 Juin 1990.
Si l'idée que nous avons de la peinture " avec notre expérience du XIX° et du XX° siècle ", ne coïncide pas avec celle que se formait Léonard, " l'activité de représentation dans l'espace ". " La peinture est d'abord dans l'esprit de celui qui la conçoit et ne peut venir à sa perfection sans l'opération manuelle " écrit il, ajoutant : " Les premiers principes vrais et scientifiques de la peinture établissent ce qu'est le corps opaque, l'ombre primitive et dérivée, l'éclairage, c'est à dire obscurité, lumière, couleur volume, figure, emplacement, distance, proximité, mouvement et repos. … Tout cela se comprend mentalement, sans travail manuel ; Cela constitue la science de la peinture, résidant dans l'esprit du théoricien qui la conçoit, une 'cosa mentale' (une 'chose mentale')". Mais, ajoute Léonard, " La science de la peinture procède ensuite à l'exécution., beaucoup plus noble que ladite théorie ou science " (p.69)
Il y a là, souligne A Chastel, la base de presque toute sa réflexion : La représentation dans l'espace entraîne l'assimilation du visuel (c'est à dire le sensoriel) au conceptuel (c'est à dire au mental), (p.70). En terme contemporain on peut je crois traduire le projet épistémologique de Léonard en une devise des épistémologies constructivistes ou pragmatistes : 'Par la modélisation, nous pouvons consciemment transformer l'expérience en science avec conscience'. A Chastel le développe en des termes saisissants :
" L'idée est que le passage par la représentation graphique est essentiel, finalement, à toutes les connaissances. Quand Léonard soutient que l'œil est le prince des mathématiques, qu'il a crée l'astronomie, la cosmographie, etc., il veut dire que l'œil- c'est à dire l'activité sensorielle - est lié à l'activité graphique, laquelle est l'intermédiaire entre la découverte sensorielle et la représentation mentale. Voilà, je crois la clef du système de Léonard " (p.72). "Tout relève des sens, mais appelle le constat graphique" (p.73). A. Chastel ne francise pas ici le mot " Disegno ", cher à Léonard, le 'dessin à dessein' traduirait-on, la modélisation dirons-nous aujourd'hui en perdant un peu la saveur de la transition verbale et cognitive qui mène du Disegno italien au Design anglo-saxon.
Comment ne pas être sensible à la prégnance cette métaphore de la médiation par laquelle l'expérience sensible se transforme en science avec conscience ('Cosa mentale'), médiation artificieuse de' l'activité graphique', le 'disegno' par construction de systèmes de symboles. Médiation par laquelle, dira G Vico plus tard, " l'ensemble des sensation est transformé en un monde de signification ". Médiation qu'appellera ensuite P. Valéry " On a toujours cherché des explications quand c'était des représentations qu'on pouvait seulement essayer d'inventer ".Ou, plus prés de nous, H A Simon : " La modélisation est le principal outil pour l'étude des comportements des systèmes complexes "
J'ai privilégié ici le troisième chapitre ('Peinture et science', 1990) de ce petit opus posthume d'A Chastel, au titre singulier encore dans les institutions scientifiques traditionnelles, puisqu'il en appelle aux sciences de la peinture, laquelle, assure-t-on souvent encore ne saurait être ni objet ni projet de sciences. Les deux premiers chapitres, rédigés en des circonstances moins académiques et plus anciennes (1952 et 1982), peuvent pourtant être appelées aussi au crédit de cette thèse créatrice du grand historien de l'Art (et en particulier de l'art de la renaissance). On y voit plus intensément peut-être l'attention exemplaire qu'attachait Léonard dans ses cahiers à la 'critique épistémologique interne' de ses propres recherches ('hostinato rigore'). Il faut savoir gré à l'éditeur et à Mme C Lorgues-Lapouge qui a compilé, illustré et organisé cet ouvrage de leur initiative. Les chercheurs et praticiens attentifs à la légitimation des modélisations des systèmes complexes qu'ils rencontrent sans cesse risquaient pourtant d'ignorer ce repère épistémologique si bienvenu aujourd'hui, car ce livre dans une collection " Art " qui ne leur est peut-être pas familière. C'est ce qui m'a incité à insérer cette Note de Lecture dans le Cahier des Lectures MCX.
Peut être trouverons-nous, chemins faisant, quelques autres lecteurs qui nous rappelleront l'attention épistémologique que nous pourrions prêter aussi aux traités oubliés sur les sciences de l'architecture (de Vitruve à Ph Boudon), de la musique, des jardins, ou du génie théâtral ?
Fiche mise en ligne le 02/03/2004