Rédigée par LE MOIGNE JL. sur l'ouvrage de MONTUORI Alfonso, ed : |
« Edgar MORIN and the CHALLENGE of COMPLEXITY » World Futures: The Journal of General Evolution Publisher: Routledge, part of the Taylor & Francis Group Issue: Volume 60, Numbers 5-6 / July-September 2004 |
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Alfonso Montuori, qui anime le ‘California Institute of Integral Studies’, a eu l’excellente idée de consacrer un numéro spécial de la revue anglo saxonne ‘World Futures’ à une ‘autre lecture’ de l’œuvre d’Edgar Morin. Spontanément sans doute, il mettait en œuvre cette recommandation d’Edgar Morin : « L’observateur ne doit pas seulement pratiquer une méthode qui lui permette de passer d’un point de vue à l’autre. … Il a besoin aussi d’une méthode pour accéder au méta point de vue sur les divers points de vue, y compris son propre point de vue... »[i]. Il a dans ce but invité des lecteur(e)s d’Edgar Morin formé(e)s et s’exprimant dans et par des cultures très différentes les unes des autres, à nous faire percevoir quelques uns de leur points de vue sur ‘l’idéal de complexité de la science contemporaine’[ii] tel que Edgar Morin le renouvelle par toute son œuvre depuis un demi siècle.
L’exercice est particulièrement intéressant et enrichissant pour les lecteurs formés dans les cultures de la Latinité (Latino américaine et francophones principalement) souvent accoutumés depuis vingt-cinq ans à des interprétations du paradigme Morinien de la complexité construites à partir des mêmes ‘points de vue’. La seule énumération des ‘statuts’ des auteurs suffit peut-être à préciser cet argument : La formation des infirmières en Californie (C.S. Clark), la ‘gouvernance du développement durable’ (K.H. Whiteside), l’Institut de philosophie de l’Académie des sciences de Russie (Helena Kniazeva), l’Université de Changsha, province du Hunan, Chine (Yi-Zwuang Chen), la recherche en Gèophysiologie, Université de Leiden, Pays-Bas (P Westbroek), les sciences sociales et politiques, Université de Colombie Britannique, Canada (L Dobuzinskis), un professeur à l’université de Naples, successeur peut-être de G Vico ((M Maldonato). Et bien sûr, une belle présentation de ce dossier par A Montuori, qu’il a intitulée ‘Edgar Morin : A partial introduction’ .Titre un peu trop modeste, car il s’agit presque d’un ‘méta point de vue sur les divers points de vue, y compris son propre point de vue’.
Sur ces ‘divers points de vue’, je ne peux bien sûr que faire état de mon propre point de vue ! Et j’observe avec intérêt qu’il transforme déjà mon point de vue précédent. Chacun des articles de ce dossier peut éclairer l’argument.
Ainsi le texte de H Knyazeva (Moscou), qui nous invite à relier le ‘pensant complexe’ morinien à la Synergétique selon H Haken, ceci sous un bel exergue de P. Valéry (‘L’intérêt de la science gît dans l’art de faire la science’), pendant qu’elle me fait prendre conscience de la traduction retenue par la langue anglaise pour exprimer ‘la Pensée Complexe’ : ‘The « Complex Thinking »’ ; Le ‘pensant complexe’, l’acte de penser , et non seulement la substantifique ‘pensée’.
Ou le texte de Yi-Zwuang Chen, qui nous invite à mettre en valeur le théorème d’incomplétude de Gödel en l’éclairant par les célèbres interprétations de D Hofstadter, pour relire les pages sur le caractère dialogique et récursif de la compréhension que développe E Morin dans le Tome III de La Méthode ;
Ou le texte de P Westbroek nous invitant à reconsidérer l’Hypothèse Gaïa dans le contexte épistémique du paradigme de la complexité nous introduisant à l’intelligence de ‘La Terre Patrie’.
Ou celui de CS Clark sur la formation des infirmières reconnaissant dans le paradigme de la complexité un cadre duquel s’inscrirait si ‘naturellement’ le témoignage et la réflexion d’A Perrault-Soliveres, sur la formation du ‘savoir de la nuit’ dans et par l’activité nocturne des infirmières hospitalières[iii] (Témoignage que nous méditions ici il y a trois ans et que nous retrouvons dans son article à l’ouvrage[iv] « Expériences de la modélisation, modélisation de l'expérience », F Lerbet-Sereni, ed. )
On pourra poursuivre l’exercice et percevoir ainsi les dialogues qui s’amorcent en des lieux et sur des thèmes que l’on n’anticipait peut être pas. M Maldonato assure en conclusion que la pensée d’Edgar Morin est une ‘pensée catalytique’ La métaphore me semble juste. C’est une pensée qui catalyse les interactions entre les intelligences, au prix sans doute d’une certaine ascèse (ou plutôt d’une certaine modestie sur la forte pertinence de notre propre point de vue), activant l’exercice de nos intelligences et par là, l’intelligence éthique de nos actes.
Les cultures de la Latinité[v] disposent sans doute aujourd’hui d’un assez riche éventail de ‘points de vue’ enrichissant notre ‘intelligence de la complexité’. Eventail que cet ouvrage, formé dans de multiples ‘autres cultures’, et exprimé en langue anglaise, va nous aider à déployer d’avantage encore. (Regrettons seulement que la version électronique de ce seul numéro de World Future soit vendue par l’éditeur $126.50 USD, chiffre à comparer à celui des éditeurs européen de e-book de format analogue : autour de 15 €)
[i] ‘La Méthode’ T 1 p.179
[ii] G. Bachelard, ‘Le nouvel esprit scientifique’, 1934, p.147 (Ed. PUF)
[iii] cf la note de lecture que nous en proposait I Stengers : http://archive.mcxapc.org/cahier.php?a=display&ID=353.
[v] Voir le texte de la conférence d’E Morin ‘La latinité’ à http://archive.mcxapc.org/docs/conseilscient/latinite.pdf
Fiche mise en ligne le 28/05/2005