Modélisation de la CompleXité
Programme européen MCX
"Modélisation de la CompleXité"

Association pour la Pensée Complexe
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Note de lecture

Rédigée par GUILLEBAUD Jean-Claude sur l'ouvrage de BARATIER Jacques :
« L’ENTREPRISE CONTRE LA PAUVRETE ; La dernière chance du libéralisme. »
     Editions Autrement – Frontières, Paris, 2005, ISBN 2 7467 0649 0, 185 pages

Ndlr. :Ce livre de J Baratier (écrit en collaboration avec Bruno Tillette) est présenté par l’éditeur dans ces termes : Un dirigeant d’entreprise engagé contre la pauvreté. L’idée peut paraître surprenante. Jacques Baratier nous rappelle que la vocation de l’entreprise est de libérer l’homme de la pauvreté et d’assurer son développement en créant des richesses. Quatre années de lutte contre l’oppression nazie, quarante de management d’entreprises, vingt consacrées à lutter contre la pauvreté grâce à l’association Agrisud  (Une ONG qui œuvre d’abord dans plusieurs pays d’Afrique (Congo, Gabon, Angola, Maroc etc.) puis qui ,s’implantr aujourd’hui dans l’Asie du sud est), . qu’il fonde et dote d’une partie de son patrimoine…L’expérience de Jacques Baratier le conduit à remettre les choses à leur place : l’objectif essentiel de l’économie est d’ordonner au service de l’homme les richesses et les relations humaines créées par l’entreprise. Les 53 000 emplois et les 12 000 micro-entreprises créés par Agrisud en Afrique et en Asie depuis 15 ans, constituent la preuve expérimentale que cet objectif peut être atteint. Cette idée se heurte à une crise du libéralisme qui a renversé l’ordre des choses. Il s’agit dans ce livre de dénoncer les fourvoiements destructeurs de l’idéologie néolibérale : l’entreprise travaillant contre les emplois, la richesse créée pour certains engendrant la pauvreté pour les autres, au nom de la soi disant loi supérieure du marché et de la concurrence. Sa conclusion : non seulement on peut créer de la richesse autrement, mais la lutte contre la pauvreté est la clé de la croissance. Le livre sonne à la fois comme un cri de colère contre le monde économique et politique néolibéral tel qu’il va, et un message d’encouragement.

Nous remercions chaleureusement J C Guillebaud, le préfacier de ce livre qui témoigne de façon si convaincante de ce que peut devenir l’Action intelligente en situations complexes, et les éditions Autrement, de reprendre son texte dans notre Cahier des lectures MCX.

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            L’esprit de résistance : Ce qui frappe immédiatement chez Jacques Baratier, c’est une qualité particulière - on pourrait dire une vertu - qui n’est pas donnée à tout le monde : l’esprit de résistance. On ne fait pas seulement allusion au passé et à l’histoire, qui auront vu l’auteur de ce livre continûment dressé contre la tyrannie. On pense plutôt à tout ce qui transparaît dès la première rencontre ou dès la première page écrite : une certaine disposition à la liberté d’esprit, à l’indépendance de pensée. Il existe une catégorie d’hommes qui savent briser les catégories et les routines ; échapper aux prétendues fatalités de classe, d’âge ou d’origine ; brouiller les classifications convenues. Quelques exemples viennent immédiatement à l’esprit.

D’abord l’incroyable jeunesse. Comment ne pas être frappé par cette impétuosité intacte, cette énergie curieuse, cette volonté d’apprendre et d’agir. À un âge qui correspond le plus souvent avec celui du retrait et du repos, Jacques Baratier semble habité par autant de projet que ne l’est ordinairement un moins de trente ans. Homme d‘action, il fut ; homme d’action il reste. Et cette condition induit chez lui une inclination pour le concret, les réalités tangibles, les vies de chair et de sang. On repère derrière les mots qu’il emploie une certaine façon d’être de plain pied avec le réel, sans jamais céder à cette insidieuse résignation qu’on appelle parfois — hélas ! — le « réalisme ». Autrement dit, la première classification qui se trouve ici brisée, c’est celle qui voudrait opposer les rêveurs aux hommes d’action, les utopistes au gens « sérieux ». Rien n’est plus subversif qu’un homme qui, tout en connaissant parfaitement la réalité quotidienne n’a pas renoncer, pour autant à la changer. Cet homme-là, en effet, échappe aux dualismes paresseux. Bien qu’il n’ait plus l’âge des anciens soixante-huitards, Jacques Baratier réhabilite l’un des plus beaux slogans articulés au printemps 68 : ‘Soyez réaliste, demandez l’impossible’.

Mais le monde a-t-il jamais progressé autrement que sous l’impulsion de ceux qui demandaient sérieusement l’impossible ?

On notera qu’en l’occurrence, c’est d’un chef d’entreprise qu’il s’agit. C’est-à-dire de quelqu’un à qui n’échappe pas le prix des choses ni la résistance des habitudes. Entrepreneur ayant fait ses preuves, dirigeant de société ayant, en tant que tel, affronté — et apprivoisé — toute sa vie les dures lois de l’économie, Jacques Baratier n’est pas le plus mal placé pour savoir ce qui n’est plus acceptable dans le « système ». Il sait, pour le vivre quotidiennement, ce que peuvent avoir de dévastateur une économie de marché livrée à ses propres logiques ; ce que peut avoir d’inhumain un néolibéralisme que ne tempère plus aucune résistance. La dénonciation des inégalités nouvelles, du mépris des plus pauvres, de l’accoutumance à l’injustice sociale : toutes ces protestations prennent sous sa plume une résonance particulière. En effet cette voix-là nous parle de l’intérieur même de la citadelle économique.

Les critiques qu’elle adresse au néolibéralisme et à la « pensée unique » contemporaine ne se fondent pas sur l’idéologie mais sur l’expérience de tous les jours.  Elle est parfaitement « renseignée », pourrait-on dire... On comprend que Jacques Baratier ait été séduit par les analyses sans complaisance de Joseph Stiglitz, ancien numéro deux de la Banque Mondiale, homme du sérail dénonçant les aveuglements du sérail. Ce dernier, comme on le sait, avait fini par être révolté par ce qu’il vivait concrètement dans les arcanes de la grande institution internationale. Ainsi le haut fonctionnaire devint-il un grand protestataire. Pour ce qui concerne Jacques Baratier, c’est pareillement la conduite d’une entreprise et la pratique des hommes qui lui ont fait comprendre que le système était en train, littéralement, de devenir fou. Qu’est-ce à dire ? Qu’il ne s’agit pas de remettre en question l’économie de marché en tant que telle mais de refuser sa dogmatisation.

Car c’est bien à cet étrange phénomène qu’il nous est donné d’assister depuis une quinzaine d’année. Privé d’adversaire, à l’abri des critiques sérieuses et des résistances organisée, le libéralisme donne l’impression de se rigidifier, de se dogmatiser. La vulgate tend à remplace l’analyse, l’indifférence au réel se substitue au pragmatisme, la dureté sociale est servilement accepté comme une fatalité tandis que prévaut peu à peu le plus démobilisateur de tous les discours : celui qui voudrait nous faire accroire que « nous n’avons pas le choix ». On se souvient que c’était là le refrain régulièrement entonné par Margaret Thatcher au tout début de la fameuse révolution conservatrice : « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative), discours tellement obsessionnel qu’il avait valu à la dame de fer de grande Bretagne le surnom de « Madame TINA ».

Comme tous ceux qu’anime l’esprit de résistance, au sens le plus noble du terme, Jacques Baratier pense au contraire qu’il existe toujours une alternative. Cela signifie que quiconque croit en la démocratie n’accepte jamais de se soumettre au principe d’inéluctabilité, qui n’est jamais qu’une parodie sinistre du « réalisme ». Non, la dureté envers les pauvres n’est pas une « fatalité » ; non la précarité réservé aux perdants n’est pas un « destin » ; non l’injustice généralisée n’est pas un résultat «  inévitable ». En un mot, en ce début de siècle et de millénaire, le vrai réaliste n’est pas celui qui se soumet, c’est, bien au contraire, celui qu’habite encore le projet de changer le monde. Jacques Baratier en est un bel exemple.

Qu’il soit remercié d’exister.

Jean-Claude Guillebaud



Fiche mise en ligne le 09/03/2006


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