Rédigée par J.L. Le Moigne sur l'ouvrage de Centre International de Synthèse : |
« La Classification des Sciences » Revue de Synthèse, Tome CXV, 4e S., n° 1-2,janvier 1994 |
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Les travaux d'historiens (et ici d'historiens des sciences) sont toujours intéressants et souvent un peu décevants : intéressants parce qu'ils mettent à jour les tâtonnements, les motivations, les hésitations, les tensions dans lesquelles se formèrent puis se déformèrent les grandes classifications des sciences (les plus institutionnelles) vues de France au XVIIIe et XIXe siècle, du plan de l'Encyclopédie de Diderot aux tableaux synoptiques des disciplines d'Auguste Comte ou de Michèle Fodera, 1823) : en les lisant, on est plus que jamais tenté de désacraliser ces classifications décidément bien arbitraires et fortement idéologiques, classifications qui pèsent encore sur nos cultures et dans nos enseignements un siècle et demi plus tard !
Mais un peu décevant, car aucun des neuf historiens dont les articles constituent ce dossier n'a cherché à mettre sa discussion "locale" en perspective épistémologique et historique : les places de la biologie, ou de la physiologie, pour l'un, de la physique, pour l'autre, de la chimie pour le suivant,... sont scrupuleusement examinées dans leur contexte "1750-1850". Mais les conséquences des critiques épistémologiques internes que ces découpages allaient engendrer au sein de chacune de ces disciplines comme dans la progressive émergence de l'épistémologie générale et de la philosophie des sciences qu'ils allaient provoquer sont pratiquement ignorées. "L'aperçu historicocritique de la classification des sciences" que J. Piaget rédigeait en 1967 pourl'Encyclopédie Pléiade "Logique et Connaissance Scientifique" n'aurait-il pas dû intéresser aussi les historiens qui travaillent trente ans plus tard, par exemple ? Petite déception du lecteur qui s'était intéressé à cette histoire de la classification des sciences... présentée dans une "Revue de Synthèse"... parce qu'il présume que ces classifications ont suscité bien des effets pervers, mais qui ne doit pas l'emporter sur l'intérêt que mérite ce dossier bien documenté (et qui permet, fut-ce à l'insu des auteurs, de mieux comprendre pourquoi on est arrivé à un tel déni de l'inter et de la transdisciplinarité à la fin du XXe siècle). Ainsi sollicités, les historiens remettront peut-être leur ouvrage sur le métier ?
J.L. Le Moigne
Fiche mise en ligne le 12/02/2003