Rédigée par CALLAT Henri sur l'ouvrage de THOMAS-FOGIEL Isabelle : |
« REFERENCE ET AUTOREFERENCE, Etude sur le thème de la mort de la philosophie dans la pensée contemporaine » Ed.VRIN, 2e trimestre 2005, ISBN 2-9521646-1-4, 336 pages |
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Des livres comme celui-ci, il en paraît peut-être un par siècle et par cette affirmation je suis certainement bien en-deça de l’importance de cet ouvrage !
Son ambition ? On pourrait la résumer dans cette formule : « Tous ceux qui nous ont précédés sont admirables, mais aucun n’est imitable ! »
Isabelle Thomas-Fogiel analyse la pensée de quelques uns parmi les plus grands de notre siècle : Heidegger et sa philosophie de « l’Etre » ; Husserl et sa prétention à faire de la philosophie une « science rigoureuse » ; Levinas et sa démarche prophétique ; Rorty et son agnosticisme sceptique ; Popper et sa conception de la vérité « falsifiable »… Tous ces penseurs, nous dit Isabelle Thomas-Fogiel, se retrouvent dans une situation intellectuelle identique : ils se situent hors de la démarche philosophique authentique en ce sens qu’ils conçoivent la pensée philosophique par « référence » à « quelque chose » d’extérieur à cette pensée elle-même et qui, par conséquent, n’est pas elle, c’est à dire n’est pas la vie philosophique proprement dite. D’où le titre de l’ouvrage « Référence et autoréférence » .
Sur quoi se fonde ce jugement dont la radicalité immanente constitue l’essentiel du raisonnement de l’auteure ?
Sur l’existence d’un piège, lui-même une impasse, vieux comme la philosophie elle-même, mais dans lequel tombent la plupart du temps, inconsciemment, les philosophes professionnels : « la contradiction performative » ! Qu’est-ce à dire ? Un enfant peut le comprendre (« Le petit Prince » le savait !) : parler de « quelque chose » sur le ton de l’affirmation, de la négation, du doute même, sans jamais s’interroger sur le statut – la légitimité si l’on préfère – de l’acte même d’énonciation .
Kant appelait cela « les conditions de possibilité de la connaissance » en-deçà de ce que l’on croit connaître empiriquement.
Quand je dis « je » par exemple, qui parle ? Un sujet splendidement isolé dans une subjectivité souveraine (le fameux « je pense donc je suis » de Descartes) ou plutôt un « nous » inconsciemment traversé, imprégné, structuré par les multiples flux d’une socio-culture historique ?
Désormais toute pensée philosophique inclura prioritairement dans sa démarche « une réflexion sur l’acte d’énonciation et le statut de l’énonciateur ». Ce qu’en philosophie traditionnelle on appelle « l’épistémologie », ou plus simplement, la justification d’une connaissance. Mais cette fois-ci, cette épistémologie a perdu toutes ses références relevant d’un quelconque « a priori » spéculatif, kantien ou autre. Elle est sans fondements idéologiques absolus. Nous voici proches du nihilisme !
Les conséquences de ce nouveau statut de la pensée sont à la fois immenses et totalement inédites. « Dis-moi comment tu cherches et je te dirai ce que tu cherches », dit le philosophe Wittgenstein. En effet, ce que les philosophes précités présentaient comme objet de la pensée philosophique (Etre, Autre, Vie, Prophétie, etc…) se trouve maintenant essentiellement lié au processus même qui l’affirme, le nie ou en doute… Au point qu’il devient impossible de parler d’un « objet » de la philosophie qui serait séparé de la subjectivité de celui qui le décrit (ce qui est d’ailleurs en parfait accord avec l’interprétation de la science moderne, notamment de la physique quantique).
Je me suis perdu, mais c’est dans le Monde et si je me retrouve ce ne peut être qu’avec lui !
Le superbe acosmisme du penseur classique est mort !
Conséquence de ces conséquences : un concept jusqu’à ce jour relégué dans les hauteurs aussi inaccessibles qu’incompréhensibles de la Métaphysique, réintègre notre Humanité, le concept de « création » ! Toute culture désormais ne peut être qu’une culture « engagée » et la « vérité » (écrite en minuscule) cesse d’être une notion purement spéculative. C’est « la défaite de Platon » (idéalisme) mais également d’un certain matérialisme objectiviste dont « l’atomisme » constituait l’armature intellectuelle.
Ainsi la philosophie devient-elle « autoréférente », c’est à dire, au-delà de son histoire, vie de la pensée dans son émergence la plus singulière et la plus actuelle !
Et Isabelle Thomas-Fogiel d’inventer un nouveau concept : « l’actologie » où l’acte et l’être ne font qu’un dans le devenir créateur opposé à « l’ontologie » classique qui figeait en les séparant et les hiérarchisant, les réalités du monde supposées déjà données et définies.
Ici se reconstruit effectivement un autre univers de l’homme et du monde, une autre philosophie, à la fois étrangers à tout nihilisme – la science ignore le néant – comme à tout dogmatisme – la science ignore le définitif – parce que reliant essentiellement dans l’acte créateur humain virtuellement élargi à ses dimensions cosmiques, ce qui jusqu’à ce jour nous était présenté comme séparé : le temps et l’éternité !
Henri CALLAT
Fiche mise en ligne le 30/04/2006