Rédigée par COLLECTIF CIRESS sur l'ouvrage de COLLECTIF (ROGGERO Pascal, Direction) : |
« ANTHRO-POLITIQUE et GOUVERNANCE des SYSTEMES COMPLEXES TERRITORIAUX » Ed. Presses de l’Université de Sciences Sociales de TOULOUSE 1, 2005, ISBN 2-915699 09 7, 460 pages. |
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NDLR Pour présenter ce dialogue encore original entre chercheurs et praticiens sur la gouverna&ce des systèmes territoriaux entendus dans leur complexité,-il nous a semblé judicieux de reprendre la ‘Présentation’ rédigée par l'équipe du CIRESS, université de Toulouse, qui a réalisé cette Rencontre et nous permet d'en garder trace par ce livre. Nous les remercions de leur concours.
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Pour penser le territoire comme un système complexe et agir en conséquence, il est peu de rencontres effectives entre des chercheurs et des praticiens. Souvent, sans doute trop, la recherche en sciences sociales est faite par et pour les seuls chercheurs. Tout aussi fréquemment, les praticiens vivent immergés dans leurs pratiques. C’est dire que la communication entre eux est loin d’être une évidence alors même qu’elle le devrait. Si Durkheim pouvait affirmer que la sociologie ne vaudrait pas une minute de peine si elle ne contribuait pas à faire changer la société, que dire de pratiques ignorantes des nouvelles manières de penser le social. Le dialogue est nécessaire, aujourd’hui peut-être plus qu’hier. Cette journée de réflexion, intitulée Anthro-Politique et gouvernance des systèmes complexes territoriaux, organisée le 21 mai 2003, à l’hôtel de la Région Midi-Pyrénées à Toulouse, participe modestement de cette perspective.
Ce dialogue entre chercheurs et praticiens sur le sujet de l’action territoriale a connu un succès qui n’était pas donné d’avance. Les délais d’organisation, à peine trois mois et demi, le titre que d’aucuns ont pu qualifier d’ « inimaginable » en liant cette manifestation à une polémique de bien basse politique, les agendas chargés de nos prestigieux invités, tout cela réuni faisait de cette manifestation un pari risqué. Si la réussite fut au rendez-vous tant quantitativement – près de 150 participants le matin – que qualitativement – la qualité des communications fut largement soulignée –, elle résulte du projet d’une équipe, du soutien d’une institution et du parrainage d’une association scientifique et civique.
L’équipe est celle du LEREPS-CIRESS de l’université des Sciences sociales de Toulouse. Le Centre Interdisciplinaire de Recherche et d’Etudes sur les Systèmes Sociaux (CIRESS) constitue l’une des trois composantes du Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur l’Economie, les Politiques et les Systèmes (LEREPS). Le CIRESS-LEREPS représente l’un des rares centres en France à tenter d’appliquer la systémique complexe à l’étude des phénomènes sociaux, en l’occurrence territoriaux. L’axe fort de son projet scientifique réside donc dans l’opérationalisation de cette pensée si féconde sur les plans épistémologique et théorique qu’est la pensée complexe. Il s’agit d’un défi car comme l’a écrit E. Morin « la complexité est plus un mot-problème qu’un mot-solution ». Pourtant, un déficit d’intelligibilité apparaît nettement dans un monde où les interdépendances de toute nature s’accroissent induisant un processus d’obsolescence rapide de nos cadres de pensée et de nos savoir-faire, de nos institutions et de nos modes de gestion. Marquée par la spécialisation la connaissance s’approfondit dans le registre du ténu et du partiel alors même qu’émerge un impérieux besoin de globalité. Or, le corpus théorique de la systémique et de la complexité propose des concepts autorisant une connaissance à la fois plus globale et plus consciente de ses propres limites. Face à l’incertitude, ce corpus nous enseigne la nécessité de la stratégie qui, faute de pouvoir l’annihiler, sait s’y adapter et en tirer parti. Bien sûr, il s’agit là de propos très généraux et nous mesurons la nécessité de les concrétiser à travers un projet d’opérationnalisation. Cette journée était l’occasion de faire connaître ce projet et elle n’aurait pas pu avoir lieu sans le soutien du Conseil Régional de Midi-Pyrénées.
Il nous faut remercier Martin Malvy, son président, qui, avec une ouverture d’esprit dont nous lui savons gré et en conformité avec les missions de la région, a accepté de soutenir et de participer à cette initiative. Dans ce dialogue entre chercheurs et praticiens autour de l’action territoriale il a su prendre une place décisive, tant par la qualité de son intervention que par le souci de l’accueil et la capacité logistique dont ont fait preuve ses services.
Reste le parrainage de l’association européenne de modélisation de la complexité (AE-MCX) présidée par Jean-Louis Le Moigne sur lequel nous avons pu compter dès le début du projet. Cette journée fut en effet l’acte de fondation d’un atelier éponyme au sein de l’association, l’atelier 33 Anthropolitique et gouvernance des systèmes complexes territoriaux. L’esprit de veille épistémologique et citoyenne qui caractérise cette association a fortement inspiré notre propre démarche qui a su trouver un écho régional, national et quelquefois international.
Il faut aussi indiquer la participation indirecte de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF), représentée par son trésorier, Daniel Fîlatre et par les animateurs du comité de recherche 5 Systèmes complexes et politiques territoriales, Simon Laflamme et Pascal Roggero. Nous voyons par là que cette journée fut à l’intersection de plusieurs réseaux tant scientifiques qu’associatifs et institutionnels.
Si l’idée initiale était donc un dialogue entre chercheurs et praticiens, pourquoi avoir choisi ce titre, possiblement énigmatique : Anthropolitique et gouvernance des systèmes complexes territoriaux ? Derrière l’opacité relative des mots, l’orientation se voulait claire. Depuis déjà longtemps, les fonctions politiques ont connu un processus de rationalisation débouchant sur la forme la plus aboutie qu’est la technocratie. Dès lors, comme l’a bien montré Edgar Morin, elle se révèle incapable de prendre en compte l’ensemble des dimensions de l’humain. En se focalisant sur la technique, elle tend à développer une logique des moyens qui se substitue à celles des fins, la fameuse « cage de fer » décrite par Max weber, dont l’incarnation actuelle peut facilement être trouvée dans l’économisme ambiant. Une « politique de l’homme », une anthropolitique, consiste donc à prendre en considération que l’homme n’est pas réductible à l’homo faber, l’homme travailleur-consommateur, mais s’élargit à l’homo ludens, l’homme qui joue, celui des loisirs et de la gratuité, et à la solidarité et la compassion. Comment prendre en compte ces multiples dimensions – rationnelles, affectives, symboliques et culturelles – du phénomène humain dans l’action politique ? A l’heure de la mondialisation l’enjeu est de taille et le problème posé… Les réponses sont à construire, elles passent à la fois par un effort de pensée articulé à une bonne connaissance des pratiques concrètes et des besoins effectifs. De ce point de vue, l’action territoriale inscrite dans la localité constitue un terrain de réflexion privilégié – dimensions limitées, enjeux concrets, innovations participatives plus aisées –. La question de l’anthropolitique s’inscrit donc pleinement dans la dimension du territoire qu’il s’agit de tenter de comprendre.
La question de l’anthropolitique ne peut se poser que dans l’optique où les territoires sont en mesure de se co-construire eux-mêmes. Sous cet angle uniquement, les notions à fort contenu anthropologique comme celle d’action, de décision ou de projet peuvent prendre sens. En utilisant encore un concept d’Edgar Morin, on peut dire qu’un territoire « s’auto-éco-ré-organise ». L’ « auto » renvoie à la capacité de l’entité territoriale à se reproduire ou à conserver son identité. L’« éco » signifie que le territoire entretient une relation de dépendan-ce à l’égard de son ou plutôt ses environnements. Le « ré » pointe la dimension historique de l’évolution du territoire. Le processus à l’œuvre est fondamentalement un processus d’organisation dont E. Morin a fait, dans une acception qui lui revient, un concept central au cœur de tout processus créateur. Dans ce cadre conceptuel, on peut, à bon droit, identifier le territoire à un système complexe id est capable d’ « auto-éco-ré-organisation ». Le terme de gouvernance, aujourd’hui décidément à la mode, trouve dans cette approche un fondement théorique dont il n’est pas, par ailleurs, pleinement assuré. Il n’est en effet pas sûr que décrire la multiplication des acteurs, des relations et des procédures dans les modes de décision pourra, sans autre support théorique, échapper à la seule vocation descriptive. Dans le cadre de la systémique complexe, fort d’un solide corpus théorique, on peut alors définir la gouvernance comme étant l’ensemble des processus par lesquels une entité territoriale « s’auto-éco-ré-organise » et tenter d’en opérationnaliser les différentes dimensions. Voilà le cadre général dans lequel nous employons le syntagme « gouvernance des systèmes complexes territoriaux ».
Quand on se pique de complexité, on se doit de tenter de mettre en pratique ses idées. Organiser une rencontre entre praticiens et chercheurs sur le thème Anthropolitique et gouvernance des systèmes complexes territoriaux était, peut-être, intéressant mais comment le faire de manière complexe. . Nous ne voulions pas d’une série de communications sur le mode traditionnel du colloque académique. Mais alors quoi ?
Nous avons décidé de partager la journée en deux parties. D’une part, une matinée fut consacrée à des interventions de chercheurs à la compétence reconnue – Edgar Morin, Jean-Louis Le Moigne, Jean-Claude Lugan, Michel Roux et Daniel Fîlatre – précédée par une communication du Président Malvy posant les problèmes de l’acteur politique régional. Les interventions devaient, à la fois, nourrir la suite de la journée et permettre, le matin même, un débat avec public. La participation à cette séance plénière était ouverte à tous et permit d’accueillir un public nourri et varié, composé d’une cinquantaine de chercheurs, principalement régionaux, d’une quinzaine de consultants venant de nombreuses régions françaises, d’une dizaine d’élus régionaux et municipaux de Midi-Pyrénées, d’une dizaine de membres du Conseil Economique et Social Régional, d’une vingtaine de représentants du monde associatif, d’une quinzaine de fonctionnaires territoriaux et d’une trentaine d’étudiants généralement de troisième cycle ou en thèse. On peut cependant regretter que le débat n’est pas pu être suffisamment long. Qu’il est difficile de contraindre au respect du temps imparti aux uns et aux autres et le président de séance plaide coupable !
La seconde partie était organisée autour de deux ateliers sur la base, assez originale, d’une contribution écrite obligatoire des participants. L’originalité réside dans la possibilité de participer sous une double forme. D’autre part, les participants pouvaient proposer un texte long, de type communication scientifique, et, d’autre part, ils pouvaient aussi rédiger un texte plus court témoignant de simples interrogations, de pistes de réflexion, de comptes rendus d’expérience…. Cette ouverture à des textes de toute nature visait à la fois à exiger des participants une contribution intellectuelle personnelle sans la figer dans des formes académiques qui auraient de fait rebuté les non-chercheurs. Le principe, rappelons-le, était l’instauration d’un dialogue entre chercheurs et praticiens. Ces deux ateliers consacrés, pour l’un, au développement durable et, pour l’autre, à la délibération, ont été organisés sur le mode du débat à partir d’une synthèse des contributions par atelier. Ces synthèses communiquées par courrier électronique aux participants, ont été aussi exposées oralement au début des ateliers. Elles devaient permettre l’instauration d’un débat afin d’éviter la succession habituelle des communications généralement peu interactive. Le processus a fonctionné…sauf que nous n’avons pas su faire respecter la règle que nous avions fixée. Le nombre des participants effectifs aux ateliers, une trentaine pour le premier et une cinquantaine pour le second, excédait notablement le nombre de contributions, une quinzaine et vingt-cinq. Si ce nombre de participants, sans doute excessif, fut un handicap pour la tenue et la cohérence des débats notamment dans l’atelier consacré à la délibération, il témoigne cependant de la résonance du thème et de l’intérêt suscité par la démarche. De ce point de vue, on doit s’en féliciter car il augure de suites possibles sinon souhaitables à cette initiative. Nous en reparlerons en conclusion de cet ouvrage. Une mise en commun terminait l’après-midi avec l’intervention d’un grand témoin par atelier, Simon Laflamme pour le premier et Jean-Louis Le Moigne pour le second. La conclusion revenait au président de séance qui ne pouvait que remercier les membres du LEREPS-CIRESS actifs dans ce projet, les intervenants, le public et le conseil régional, pour la tenue de cette rencontre réussie.
La restitution de cette journée par le présent ouvrage est nécessairement partielle. Tout ce qui s’est passé n’y est pas consigné. L’état d’esprit, l’ambiance, les échanges lors des débats n’apparaissent pas. Seules les traces écrites figurent. Elles sont organisées de manière chronologique en intégrant dans une première partie les contributions de la séance plénière du matin qui sont précédées du texte d’orientation générale de la journée. Dans la seconde partie, nous avons fait le choix, ainsi que nous l’avions annoncé, de faire figurer l’ensemble des contributions écrites quelle que soit leur nature. Le lecteur pourra de la sorte se rendre compte de la variété des interrogations, des réactions voire des propositions des différents participants. Il s’agit d’un matériau brut qui a valeur de témoignage. Si les articles académiques apparaissent en nombre, il y a aussi des textes dont certains pourraient nous reprocher l’insuffisante sélection. Il s’agirait, on l’aura bien compris, d’un faux procès. Notre projet, rappelons-le, consiste à nouer le débat entre chercheurs et praticiens et le présent ouvrage témoigne de cette tentative.
Fiche mise en ligne le 27/07/2006